Son électorat revoterait pour lui à 90% si le scrutin avait lieu aujourd’hui.
À 17 heures à Washington, soit 23 heures à Paris, le mardi 24 septembre 2019, Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représentants, est venue faire une courte déclaration.
Elle a expliqué que le président des États-Unis, soupçonné d’avoir demandé au président ukrainien d’enquêter sur son rival politique Joe Biden, n’avait pas respecté la Constitution et a ajouté qu’une enquête était lancée contre Donald Trump. Tout cela peut-il conduire à un impeachment?
L’impeachment, 25e amendement
La procédure de mise en accusation du président ou d’un autre personnage officiel est prévue dans la Constitution américaine et se fait en deux étapes: la Chambre des représentants doit d’abord voter pour l’impeachment à la majorité simple, puis un procès est organisé devant le Sénat.
La Chambre prend sa décision après une enquête, qui débouche sur un débat. Suit un vote auquel participent tous les membres de cette assemblée. Quant à l’étape du Sénat, il s’agit bien d’un véritable procès, avec un jury composé de 100 élu·es. La personne accusée peut se faire assister par l’avocat·e de son choix. Ce procès est présidé par le vice-président des États-Unis, ou par le président de la Cour suprême si la procédure concerne le président du pays en personne. La condamnation et l’obtention de sa destitution supposent que le vote soit remporté par la majorité aux deux tiers.
Une arme politique
La Constitution prévoit trois crimes: la trahison, la corruption ou «d’autres crimes et délits». Ces derniers n’étant pas clairment définis, ils restent ouverts à toute interprétation. Il appartient à la Chambre des représentants de décider au cas par cas si une infraction justifie une mise en accusation.
C’est pourquoi l’on peut souvent lire que l’impeachment ne se limite pas à une action légale. Il est aussi une véritable arme politique. À ce jour, les décisions ont toujours été mesurées et la définition couramment admise comprend les crimes de droit commun, l’abus de pouvoir et la violation de la confiance publique au sens le plus large.
Le président Johnson en a fait les frais en 1868. Il a été le premier visé par une telle procédure. Johnson avait accédé au pouvoir dans les pires conditions, après l’assassinat d’Abraham Lincoln. Le Parti républicain s’était alors engagé en faveur de la reconnaissance des droits civiques pour les esclaves, alors que l’esclavage venait tout juste d’être aboli par le 13ᵉ amendement.
Le président Andrew Johnson. | Mathew Brady via Wikimedia
Johnson était un homme de dialogue et souhaitait tendre la main aux États du Sud, en évitant toute humiliation. Pour les sudistes, cela comprenait bien entendu l’abandon de cette loi sur les droits civiques, dans un but de pacification nationale. Le Congrès en a décidé autrement en adoptant le 14ᵉ amendement, accordant aux Noir·es des droits élémentaires dans une démocratie en les mettant à égalité avec les autres citoyen·nes contre l’avis du président.
Le climat est alors devenu électrique. C’est le limogeage de son secrétaire à la Guerre par Andrew Johnson qui a suffi pour que soit lancée une procédure d’impeachment. La Chambre des représentants a trouvé onze chefs d’inculpation en tout. La mise en accusation a été votée, ouvrant la voie au procès devant le Sénat. Heureusement pour lui, Andrew Johnson a été acquitté. Mais il est passé à deux doigts de la destitution, car son acquittement a été obtenu à une voix près.
Le Watergate et l’affaire Lewinsky
Depuis cette affaire, la procédure de l’impeachment n’a été déclenchée qu’à deux reprises contre un président des États-Unis.
Le deuxième cas touchant un locataire de la Maison-Blanche remonte à 1974, dans le si célèbre épisode du Watergate. La Chambre des représentants avait ouvert une enquête et retenu trois chefs d’accusation contre le président, après le scandale en 1972 du cambriolage des locaux du Parti démocrate dans l’immeuble du Watergate à Washington. On a reproché au président des financements irréguliers de campagne, un abus de pouvoir ou l’obstruction évidente à la justice. Nixon a préféré démissionner, ce qui a stoppé la procédure.
En 1970, Gerald Ford, alors député, a proposé une nouvelle définition des crimes pouvant y conduire par «n’importe quelle action que la majorité de la Chambre des représentants considère comme grave», consacrant ainsi le caractère politique de cette action.
En 1999, l’affaire Lewinsky éclabousse Bill Clinton. Aucune tentative de faire pression sur qui que ce soit n’y est à déplorer, ni même un abus de pouvoir. Un procureur indépendant, Kenneth Starr, avait été nommé pour enquêter sur une affaire immobilière douteuse remontant au temps où il était gouverneur de l’Arkansas. Au fil de son enquête, ce procureur a fini par mettre en évidence une relation extraconjugale entre le président et une stagiaire de la Maison-Blanche. Bill Clinton a choisi de nier les faits, se rendant coupable de parjure.
Le président Clinton le 5 mars 1999 à la Maison-Blanche (Washington), peu après qu’il a été acquitté. | Stephen Jaffe / AFP
À la fin de l’année 1998, sa mise en accusation a été votée. Elle comprenait deux chefs d’inculpation: le parjure devant le grand jury et l’obstruction à la justice. Le procès au Sénat s’est ouvert et a débouché sur un acquittement de Bill Clinton en janvier 1999 car la majorité des deux tiers n’a pas été atteinte.
«Chasse aux sorcières»
Les révélations qui se succèdent sans cesse et qui touchent le président des États-Unis depuis son élection sont certainement de nature à lui porter un véritable coup, notamment sur la question de son professionnalisme et du respect des intérêts de son pays.
La dernière affaire liée au président ukrainien est clairement l’une des plus sérieuses. L’éventualité de conséquences plus lourdes sur un plan judiciaire reste néanmoins incertaine, même si l’acte d’accusation peut porter en réalité sur n’importe quel sujet et que les Démocrates ne manquent pas, justement, de sujets en ce qui le concerne.
De manière générale, on a fini par comprendre que Donald Trump agit plus vite qu’il ne pense et cette impulsivité le décrédibilise. Sa naïveté à croire qu’il peut agir comme bon lui semble est déconcertante.
De là à imaginer que les rebondissements successifs, fussent-ils très nombreux, pourraient aboutir, à terme, à une destitution, comme certaines personnes semblent l’envisager, n’est pas raisonnable. On s’engage sur la voie de la pure spéculation: Donald Trump ne sera certainement pas destitué et ne fera peut-être même pas l’objet d’un impeachment, parce que les Républicains sont son meilleur rempart.
Aujourd’hui, Donald Trump n’est pas que leur président, il est leur «champion». Les adversaires de Trump savent bien que sa base électorale est plus solide que du béton. C’est bien là où réside leur problème: la cote générale de Trump n’a quasiment pas bougé pas depuis le 8 novembre 2016. On a même observé qu’elle remontait ces derniers jours pour atteindre désormais 45% d’opinions satisfaites.
Cette cote reste incroyablement élevée –environ 85%– auprès de la base électorale républicaine. Elle grimpe encore de manière phénoménale auprès des personnes qui ont voté pour lui aux précédentes élections: 93% leur donneraient à nouveau leur voix aujourd’hui.
Aucun·e élu·e républicain·e ne bougera le petit doigt avec de tels chiffres. Ce serait suicidaire politiquement. Quand on ajoute à ce tableau la perspective des élections législatives et sénatoriales de 2020, dont la campagne s’est déjà engagée en même temps que celle de la présidentielle. On comprend dès lors que les responsables politiques fassent le choix de la discrétion.
Donald Trump va attaquer à son tour, comme il l’a fait moins de 2 minutes après l’annonce de Nancy Pelosi, en expliquant qu’il est la victime d’une chasse aux sorcières indigne et que les Démocrates passent plus de temps à essayer de lui trouver des poux dans la tête qu’à travailler pour le bien du peuple américain, en proposant et en votant de nouvelles lois sur les armes, les infrastructures ou pour réformer le système de santé.
De tels arguments n’ont aucune chance d’émouvoir les militant·es ou les sympathisant·es démocrates, qui ne rêvaient que de ce moment depuis le 8 novembre 2016; en revanche, il n’est pas certain que les arguments de Trump ne fassent pas mouche auprès des indépendants, qui montraient déjà leur intérêt pour la campagne en cours et vont être déçus que l’actualité se concentre désormais sur les ennuis de Donald Trump et ses péripéties avec le Congrès.
C’est un drôle de pari politique que viennent de faire les Démocrates, car personne ne sait qui va sortir gagnant d’un tel bras de fer.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Source www.slate.fr