Un imam interdit de séjour en Belgique pour avoir appelé à «brûler des Juifs»
Cet imam, Mohamed Toujgani, qui prêchait jusqu’à l’an dernier à la mosquée Al-Khalil à Molenbeek (notre photo), l’un des plus grands lieux de culte musulman de Belgique, s’est vu retirer son permis de séjour le 12 octobre 2021.
Un imam marocain a été interdit de séjour en Belgique en octobre, considéré comme «une menace à la sécurité nationale», notamment pour avoir appelé à «brûler des Juifs» dans une vidéo, a indiqué jeudi 13 janvier le gouvernement. L’information, révélée par la chaîne publique flamande VRT, a été confirmée par le secrétaire d’État belge à l’Asile et la Migration, Sammy Mahdi.
Cet imam, Mohamed Toujgani, qui prêchait jusqu’à l’an dernier à la mosquée Al-Khalil à Molenbeek, l’un des plus grands lieux de culte musulman de Belgique, s’est vu retirer son permis de séjour «le 12 octobre» 2021, ont précisé dans un communiqué les services de Sammy Mahdi. Ce prédicateur «était contesté depuis un certain temps. En 2009, il avait encore appelé à brûler des Juifs», ajoute le communiqué. La vidéo avait refait surface en 2019, précise la VRT, soulignant que Mohamed Toujgani s’était excusé pour ces propos, évoquant «un dérapage» lié à «la guerre» menée par Israël contre les Palestiniens dans la bande de Gaza.
Mohamed Toujgani, considéré comme un religieux influent, responsable de la Ligue des imams marocains de Belgique, était surveillé par la Sûreté de l’État, le service de renseignement civil belge. Sammy Mahdi explique avoir décidé l’interdiction de séjour il y a trois mois «sur la base d’informations provenant des services de sécurité», et «en raison de signes d’un grave danger pour la sécurité nationale». Cette interdiction porte sur une durée de dix ans. «Nous ne tolérerons pas ceux qui divisent et menacent notre sécurité nationale», a insisté le secrétaire d’État.
«La plus grande institution musulmane de Belgique»
Pourquoi cette décision en 2021 ? Sollicitée par l’AFP, la Sûreté de l’État a répondu qu’elle «ne communique pas d’informations sur un dossier individuel pour lequel des procédures sont en cours». D’après la VRT, Mohamed Toujgani n’est plus en Belgique actuellement mais il a saisi un avocat pour contester son expulsion. L’imam, établi en Belgique depuis 40 ans, a une femme et des enfants résidant dans le pays, selon la chaîne flamande.
La mosquée Al-Khalil, située dans la commune bruxelloise de Molenbeek, est gérée par la Ligue d’entraide islamique (LEI) qui se présente comme «la plus grande institution musulmane de Belgique», comptant également des centres de formation et une école en langue arabe accueillant 500 enfants et adolescents.
Il s’agit d’«une affaire strictement privée sur laquelle notre institution n’a aucun commentaire à apporter», a réagi de son côté l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB), le plus ancien organe représentatif et interlocuteur de l’Etat belge pour la gestion du culte. L’EMB a aussi souligné, dans un communiqué publié sur son site internet, n’avoir «pas de lien d’autorité avec les imams non rattachés aux mosquées subventionnées».
Selon un rapport de la Sûreté de l’État transmis à Sammy Mahdi, l’imam marocain représente « un danger pour la sécurité nationale ». Sans vouloir entrer dans les détails, le secrétaire d’État à l’asile et la migration nous confirme : « Oui, il y a un ordre de quitter le territoire et une interdiction de revenir sur le territoire belge pendant 10 ans. Je pense que c’est important de garantir qu’on vit dans un monde où on est en sécurité et où les influences extérieures sont minimalisées ».
Dans l’après-midi, devant la Chambre, Sammy Mahdi insiste : « les services de sécurité estiment que cet homme doit être considéré comme un danger actuel, réel et sérieux pour la sécurité nationale. On parle ici d’extrémisme et d’ingérence ».
Ingérence du Maroc ?
Selon des sources bien informées au sein des services de renseignements, cette décision de retirer le permis de séjour de Mohamed Toujgani serait un signal donné par notre pays aux autorités marocaines. Une façon de mettre un coup d’arrêt à l’ingérence de leurs services secrets sur le culte musulman en Belgique.
On se rappellera qu’en décembre 2020, le ministre de la justice Vincent Van Quickenborne a recalé la reconnaissance de la grande mosquée de Bruxelles. Et cela à cause de soupçons d’ingérence marocaine de la part de la Sûreté de l’État.
Contacté à nouveau aujourd’hui, le cabinet du ministre de la Justice, en charge des cultes, n’a pas souhaité commenter cette actualité.
Son avocat est révolté
Georges-Henri Beauthier, l’avocat de l’imam Toujgani, est révolté par cet ordre de quitter le territoire. D’autant qu’il dispose d’un jugement daté du 1er octobre 2021. Vingt-six pages dans lesquelles le tribunal estime que rien ne s’oppose à ce que son client soit reconnu comme belge et que celui-ci ne poserait pas de danger pour la société.
En référence à ses propos polémiques, l’imam reconnaît être antisioniste, mais refuse d’être qualifié d’antisémite. « Il réfute d’ailleurs avoir utilisé cette phrase qui appelle à brûler les Juifs », insiste Me Beauthier. Avant de poursuivre : « Les déclarations du secrétaire d’État sont choquantes. Un, il y a la séparation des pouvoirs qui exige qu’il ne prenne pas position sur un jugement qui dit des choses très claires. Et deux, pourquoi jeter en pâture des choses fausses appelant à la haine ? Quelqu’un dont on dit qu’il veut brûler les juifs, c’est quelqu’un qui risque une série d’invectives si pas des actes plus dangereux ».
L’Exécutif des Musulmans de Belgique
En fin de journée, l’Exécutif des Musulmans de Belgique (EMB) a souhaité réagir suite aux nombreuses sollicitations reçues. « L’EMB tient à souligner qu’il n’a pas de lien d’autorité avec les imams non rattachés aux mosquées subventionnées ».
L’Exécutif rappelle, par ailleurs, qu’il avait fermement condamné « les propos antisémites de l’imam qui, entretemps, a regretté ses propos et présenté ses excuses à la communauté juive de Belgique ».
Stupéfaction à Molenbeek
À Molenbeek, le conseiller communal Ahmed El Khanouss se dit stupéfait, parle d’un homme qui œuvre pour rassembler les communautés : « Il a participé à de très nombreuses activités avec des catholiques et avec le grand rabbin de Bruxelles Albert Guigui ». Sur le discours violent de 2009, le conseiller communal estime que ces phrases ont été sorties de leur contexte. « C’était une période où Israël bombardait Gaza », rappelle-t-il.
Contactée également, la bourgmestre de Molenbeek, Catherine Moureaux, nous déclare : « Eu égard à la fonction de Président de la Ligue des imams marocains de Belgique de Monsieur Toujgani, j’ose espérer que Monsieur Mahdi dispose réellement d’un élément nouveau important pour expliquer la prise de cette décision. Personnellement, comme d’ailleurs mes services de police compétents, je n’ai pas été informée de la survenue d’un élément nouveau au sujet de monsieur Toujgani ».
Un observateur du monde musulman nous parle aussi d’un homme de dialogue. Abdessamad Belhaj est chercheur auprès du Centre Interdisciplinaire d’études de l’Islam dans le Monde Contemporain (CISMOC) de l’UCLouvain. « L’imam Toujgani n’est pas radical, il pratique un islam sunnite modéré même s’il est traditionnaliste et parfois émotionnel. Il appelle au vivre-ensemble, à la paix social et à la prévention contre la radicalisation ».
Une source proche des autorités marocaines nous a également confié son étonnement : « L’imam Toujgani pratiquait un islam modéré et n’avait jamais posé de problème », nous assure-t-il.
Si l’islam modéré consiste à demander de « brûler les Juifs », c’est qu’il n’y a peu, voire pas de différence, avec l’islamisme, terme inventé de toute pièce, pour éviter le fameux amalgame. Ceux qui disent qu’il n’y a pas de différence entre islam et islamisme n’auraient peut-être pas tort.
JForum – RTBF