L’illusion du loup solitaire palestinien

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

On nous refait souvent le coup du loup solitaire qui attaque des civils israéliens. Selon les estimations initiales de Tsahal, présentées au chef d’État-major Aviv Kohavi, la fusillade au carrefour de Tapoua’h est le «résultat d’une attaque d’un loup solitaire, menée par un Palestinien dans un véhicule qui s’est brièvement arrêté près d’un arrêt de bus très fréquenté sur la route 60». Trois jeunes de Yechiva (école talmudique) sont entre la vie et la mort. À la sortie du lycée, ces jeunes prennent généralement une année sabbatique en Israël avant de rejoindre leur université à l’étranger ou l’armée en Israël.

Le sort du ou des tueurs est tracé d’avance et ils le savent, ce qui ne les a pas dissuadés d’agir. Et pourtant, malgré l’issue fatale inévitable à laquelle ils sont condamnés d’avance, les actions terroristes génèrent un sentiment d’incompréhension de la part des Israéliens. Les terroristes savent qu’ils ont une chance infime de s’en sortir et qu’ils finissent, dans la plupart des cas, par être éliminés ou capturés car ils ne peuvent ni échapper à l’armée, ni à la population israélienne. Qu’ils soient capturés vivants ou abattus, leur famille touche d’importantes compensations financières, de là à se demander s’il n’existe pas de volontaires de la mort pour uniquement régler une situation économique difficile dans certaines familles.

Le paradoxe est que la mort plane toujours sur les Juifs qui magnifient la vie et intensifient leur volonté de survie, mais aussi sur les terroristes palestiniens qui s’enferment dans le refus de vivre. Une femme palestinienne, d’un certain âge, armée d’un couteau, a tenté le 2 mai de poignarder au carrefour du Goush Etsion deux soldats armés. Elle savait qu’elle n’avait aucune chance de réussir son acte et pourtant elle a refusé de se soumettre aux sommations d’usage face à deux soldats déterminés et entrainés pour garder leur sang-froid. Elle n’avait que l’espoir de mourir ! C’est à se demander si elle recherchait le suicide ou un moyen de subsistance pour sa famille.

L’incompréhension vient de ce qu’aucune voix ne s’élève parmi les dirigeants palestiniens à l’exception cependant de Mansour Abbas qui a condamné l’acte. Les leaders arabes israéliens ne cherchent pas à dissuader leurs ouailles de renoncer à un combat perdu d’avance. Au contraire, ils les glorifient parce que l’Autorité et le Hamas se satisfont d’une situation qui leur permet de détourner les esprits de leur propre turpitude et surtout de leurs propres échecs. Ils glorifient ceux qu’ils envoient consciemment à la mort : «Notre héros et martyr s’est acquitté de son devoir de résistance et de défense de la terre de Palestine». Rien n’est dit sur la fin prématurée d’un jeune qui avait toute la vie devant lui. Les Palestiniens se satisfont de cette situation ubuesque et ils sont rares à réclamer un changement au sommet. Alors, comme il n’est pas certain qu’une fatwa palestinienne, prônant la suspension des attaques au couteau, ait un effet dissuasif, les jeunes à la fleur de l’âge meurent dans l’indifférence de leurs dirigeants.

L’attentat est un suicide en fait puisque le sort est toujours jeté d’avance. Perpétré par des «loups solitaires» sous influence, il est devenu aujourd’hui la forme d’attaque privilégiée au sein des organisations terroristes fondamentalistes. Intoxiqués par une idéologie extrémiste séculaire, les candidats au suicide deviennent dangereux après un endoctrinement permanent. Mais ils ne sont pas si solitaires que cela car ils agissent sur ordre, en fonction des impératifs politiques du moment. Par simple coïncidence, des élections palestiniennes doivent avoir lieu. Aujourd’hui, il s’agit de forcer la main de Mahmoud Abbas pour qu’il maintienne les élections législatives et présidentielle et d’obtenir des Israéliens le droit d’organiser les élections à Jérusalem. Les tueurs ne sont donc pas si solitaires que cela.

Israël et l’Occident sont confrontés à des terroristes issus des fondamentalistes musulmans qui, en manifestant des motivations divines ou mystiques, augmentent leur capacité de destruction. On l’a constaté en France et en Belgique, on le subit en Israël. Parfois des organisations agissent dans l’ombre pour intégrer ces attentats dans le cadre d’une action militante. Mais il existe une nébuleuse terroriste dotée d’un objectif unique. L’esprit de martyr et de sacrifice des jeunes au couteau est tel qu’une fois l’assassinat réalisé ou raté, leurs auteurs se laissent tuer par l’armée ou lyncher par la foule parce qu’ils ont la certitude que c’est le seul moyen pour eux de rencontrer D’, selon leur interprétation controversée du Coran. Leurs gourous leur font croire qu’ils sont victimes du sionisme et que leur action pourrait influencer et convertir le monde à leur image.

Les terroristes au couteau, souvent très jeunes, ne ressemblent certainement pas à des désespérés, nerveux, aux yeux hagards. Ils agissent de manière sereine, roulant en voiture et s’arrêtant face à des stations d’autobus, sans rechercher l’anonymat. Ils troublent la vie sociale par l’irruption inopinée d’un terrorisme qui apparaît souvent comme un substitut de la guerre. Ils adoptent des méthodes qui présentent certains avantages tactiques en frappant à l’improviste et en s’attaquant à des cibles civiles qui ne se tiennent pas sur leurs gardes. En quoi l’assassinat d’un jeune étudiant désarmé peut faire d’eux des héros ? Contrairement à eux, les nationalistes juifs de la guerre d’Indépendance ont toujours attaqué des soldats britanniques et ménagé les civils.

Il est difficile de croire que l’action terroriste est improvisée puisque les coups sont préparés minutieusement pour les porter à l’endroit où l’Israélien ne s’y attend pas et n’a donc pas pris de disposition efficace pour les parer. Pour maintenir l’impératif de discrétion, ils s’organisent en microcellules autonomes, difficiles à infiltrer, qui génèrent une méfiance dans l’espace public pour favoriser la suspicion généralisée. La mort de leurs victimes n’est pas une fin en soi car leur objectif consiste à provoquer la peur au sein de la population ce qui explique qu’ils frappent leurs cibles de manière aléatoire. Les civils anonymes, souvent armés uniquement de leur foi, sont des proies particulièrement faciles lorsqu’ils vaquent à leurs occupations ordinaires dans l’espace public. Le terroriste qui s’en prend à eux, sans sommation, fait alors voler en éclat la quiétude de leur vie quotidienne pour suggérer que plus personne n’est à l’abri.

C’est le but recherché, celui de désorganiser la vie de tous les jours en Israël. Parler de loup solitaire est un leurre quand on constate que plusieurs habitants du village d’Aqraba, en Cisjordanie, près de Naplouse, ont participé activement ou passivement à la tentative de meurtre contre trois jeunes innocents le 2 mai 2021.

Ils ont réussi à abolir la distinction entre combattant et civil dans une guerre asymétrique. Il ne se s’agit pas de combats classiques et localisés mais d’un affrontement impossible à circonscrire dans l’espace et donc susceptible de diffuser un ébranlement de large amplitude. Dans son entreprise de déstabilisation, le terrorisme sait utiliser les media comme caisse de résonance pour propager l’onde de choc de ses actions aussi loin que permettent les moyens mondiaux de communication. Et ils parviennent même à susciter à l’étranger de la sympathie à leur égard puisqu’Israël est souvent condamné par l’opinion internationale pour l’élimination des terroristes et même accusé d’apartheid. C’est pourquoi le Hamas voue une reconnaissance immense à ces sacrifiés.

D’autre part et c’est leur but, l’impact des attentats sur la relation conflictuelle israélo-palestinienne est certain. Malgré la supériorité militaire et économique d’Israël dans la région, le sentiment d’insécurité est progressivement ancré dans les esprits de la population. Tant que les attentats persistent, il n’y a aucune raison pour engager un dialogue politique. Le terrorisme contribue à diaboliser l’adversaire. L’attentat contre ces jeunes a pour but d’inciter les Juifs à considérer tous les Arabes comme des ennemis et à les empêcher d’intégrer la classe politique «sioniste». Au moment où l’on envisage un nouveau gouvernement avec le soutien actif ou tacite des partis arabes, ces attentats enlèvent toute illusion. Les terroristes deviennent donc complices de leurs propres ennemis. Mais ils savent que les Israéliens ne supportent pas qu’on touche un cheveu à leurs jeunes.

Les terroristes palestiniens en mal d’identité et manipulés, personnifient désormais le mal absolu aux yeux de nombreux Israéliens. Cependant, même s’ils savent que la mort est toujours au bout de leur chemin, les kamikazes persistent à s’engager sur une voie sans issue. Tant que leurs dirigeants refuseront de leur montrer un autre chemin pacifique ou pragmatique, alors leurs jeunes enduiront leurs mains du sang de leurs victimes innocentes. On ne cesse de rêver à une réconciliation arabo-juive, mais les loups ne sont pas si solitaires puisqu’ils s’évertuent à briser toutes les tentatives pacifiques.

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