En annonçant depuis l’Arabie saoudite qu’il renonçait à ses fonctions, le Premier ministre a manifesté qu’il ne supportait plus l’hégémonie de l’Iran.
PAR MICHEL COLOMÈS
La prise, vendredi, de Deir ez-Zor par les forces syriennes largement aidées par les troupes du Hezbollah, bras armé de l’Iran au Liban, n’est pas seulement la chute du dernier bastion de Daech en Syrie. C’est aussi l’aboutissement de la réussite du projet iranien d’une liaison sûre et directe entre Téhéran et Beyrouth, via l’Irak et la Syrie. Et donc la promesse du succès du plan hégémonique de Téhéran sur toute la région. Une ambition que la république des mollahs aura réussi à satisfaire au-delà du possible.
Grâce, d’abord, aux erreurs de George Bush, déstabilisant l’équilibre confessionnel irakien en mettant le sunnite Saddam Hussein hors de combat sans le remplacer. Puis en profitant ensuite des guerres en Syrie et en Irak contre le califat islamiste, qu’il a contribué à mettre en déroute, grâce à un appui massif de la Russie. L’Iran a bénéficié, enfin, d’une quasi-impuissance occidentale, qui n’a jamais pu transformer son réel effort de guerre en Syrie en avantage politique.
Il ne supportait plus « la mainmise destructrice »
En voyant ainsi l’influence sunnite marginalisée ou écrasée dans la plupart des pays du Levant – à l’exception de la Jordanie –, les dirigeants d’Arabie saoudite, en même temps qu’ils donnaient un spectaculaire coup de balai anticorruption dans les rangs de leurs élites, ont voulu manifester leur refus de voir le Liban tomber sans coup férir dans l’escarcelle des chiites d’Iran.
C’est la raison pour laquelle Saad Hariri, le Premier ministre libanais, n’a pas eu d’autre choix que celui – étrange – d’annoncer, depuis un pays étranger, qu’il avait résolu de donner sa démission. À la fois parce qu’il risquait de connaître dans son pays le même sort que son père Rafiq Hariri, assassiné par le Hezbollah en 2005, et surtout parce que, a-t-il dit, il ne supportait plus « la mainmise destructrice » de l’État iranien sur le Liban. Une emprise que le retour au pays des combattants du Hezbollah, forts de leur victoire sur Daech et surarmés grâce à l’Iran, va encore accentuer dans les semaines à venir.
Sans Hariri et son parti, le pouvoir devient bancal
Saad Hariri était devenu chef du gouvernement libanais il y a un an grâce à un accord entre les différentes confessions et les multiples partis de son pays. Un accord conclu sous les auspices de l’Arabie saoudite et sans que Téhéran trouve à y redire. L’équilibre était en principe assuré par la présence de Michel Aoun, allié du Hezbollah à la présidence de la République, et celle du sunnite Hariri pour diriger le gouvernement. Mais, si le Premier ministre a, dans les premiers mois de son mandat, montré sa détermination, notamment en demandant le désarmement des milices du Hezbollah, il a subi de telles pressions d’Aoun et de ses sbires pro-iraniens qu’il a fini par lâcher du lest. Au grand déplaisir de Riyad. Il avait même accepté tout récemment que le Liban envoie un ambassadeur à Damas. Une façon d’admettre la légitimité de Bachar el-Assad, reconnu et soutenu par le monde chiite et les Russes, mais toujours contesté par les Saoudiens et les Occidentaux.
En poussant Hariri à démissionner, l’Arabie saoudite vient d’indiquer, on ne peut plus clairement, qu’elle n’acceptera pas que le Liban connaisse le sort de l’Irak ou de la Syrie. Riyad compte pour cela sur le fait que, sans Hariri et son parti, le pouvoir devient bancal. Et connaissant la propension des Libanais à des discussions de bazar qui n’en finissent jamais, les Saoudiens peuvent espérer que le Hezbollah et ses alliés ne s’enlisent pas dans la recherche d’un improbable équilibre gouvernemental. À moins qu’ils ne décident de passer en force. Et, dans ce cas-là, ce sera probablement une nouvelle guerre.
Source www.lepoint.fr