En annonçant il y a six jours sa démission du poste de Premier ministre depuis l’Arabie saoudite et non depuis Beyrouth, Saad Hariri a créé la surprise générale et a, de fait, plongé son pays dans une crise majeure, qui provoque d’ores et déjà des bouleversements régionaux. Du reste, personne ne sait aujourd’hui où il se trouve, ni s’il est libre de ses actes. Lors de son discours, le leader sunnite a directement incriminé l’Iran et le Hezbollah, en faisant l’analogie avec l’assassinat de son père Rafic survenu en 2005 et pour lequel quatre membres de la milice chiite avaient été mis en cause. « L’Iran a une mainmise sur le destin des pays de la région. (…) Le Hezbollah est le bras de l’Iran non seulement au Liban mais également dans les autres pays arabes », a-t-il déclaré. Une référence à la Syrie, où le mouvement chiite libanais combat aux côtés des forces de Bachar el-Assad, sans rendre de compte à Beyrouth alors qu’il participait au gouvernement de Saad Hariri.
Ces lourdes accusations, inhabituelles, ont inévitablement laissé penser que la décision du chef du gouvernement libanais avait été édictée par l’Arabie saoudite, rivale sunnite de l’Iran, au moment même où la monarchie islamique organise des purges contre des dizaines de princes, de ministres, d’hommes d’affaires, au nom de la lutte contre la corruption, mettant ainsi Saad Hariri sous pression, lui qui détient la nationalité saoudienne et dont la société de BTP, Saudi Oger, qu’il dirige dans le royaume, est en pleine banqueroute.
L’Arabie saoudite a profité de cette annonce pour s’engager dans une confrontation directe avec l’Iran au Liban. L’entente précaire entre le Hezbollah, soutenu par le président chrétien Michel Aoun, et le camp sunnite d’Hariri, lié aux Saoud et hostile à Damas et Téhéran, n’aura pas longtemps fait illusion. Jeudi, l’Arabie saoudite, et ses deux principaux alliés dans le Golfe, le Bahreïn et les Emirats arabes unis, ont appelé leurs ressortissants se trouvant au Liban à le quitter immédiatement, et si ce type de consigne a déjà été émis dans le passé, elle signifie cette fois que le Liban pourrait être durablement déstabilisé alors qu’il a été relativement préservé ces dernières années. La classe politique libanaise est désormais unanime à réclamer son retour au pays. Le Hezbollah, qui tente pour l’instant de calmer le jeu, a accusé Riyad d’avoir contraint Saad Hariri. « Nous n’avons pas souhaité cette démission », a assuré Hassan Nasrallah. Le président Aoun a lui indiqué qu’il attendait le retour au Liban d’Hariri pour accepter ou refuser sa démission et commencer des consultations.
Pour les Saoudiens, le Liban est devenu en une semaine le théâtre de leur confrontation avec l’Iran. Là-bas, le système politique n’est préservé que si les communautés s’entendent, et si l’une d’elle prend le pas sur l’autre, comme c’est le cas du Hezbollah depuis plusieurs années, le spectre d’un conflit est imminent. Deux scenarios semblent alors se dessiner : soit il s’agit d’une crise institutionnelle, que le pays a déjà connue, et qui durera plusieurs mois, – pour rappel, la présidence est restée vacante de 2014 à 2016-, soit la démission de Saad Hariri peut engendrer un nouveau cycle de violences communautaires dans un pays qui a déjà payé un lourd tribut durant la guerre civile de 1975-1990.
Dans ce contexte, un axe inédit entre l’Arabie saoudite, Israël et les Etats-Unis se met en place autour de leur détestation commune du régime iranien et leur volonté de réduire son hégémonie régionale. Israël Katz, ministre du renseignement israélien a affirmé cette semaine que la démission de Saad Hariri a permis de dévoiler le vrai visage du Hezbollah, appelant la communauté internationale à imposer des sanctions contre le Liban tant que la milice chiite ne sera pas désarmée comme l’exige une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU.
La manœuvre saoudienne a toutefois peu de chance d’aboutir, Riyad n’ayant pas les moyens de sa politique et étant déjà embourbé au Yémen. Mais cette situation pourrait crisper durablement la région.
Source elnetwork.fr