« Ce seront des guerriers inconnus, en quantité inconnue. Alors, puisque le symbole algébrique de l’inconnu est X, appelons-les X-Troop. » Il ne s’agit pas du prologue d’une bande dessinée Marvel, mais de la raison choisie en 1942 par Winston Churchill pour baptiser un commando pas comme les autres, selon l’écrivain Ian Dear, auteur d’un livre référence sur cette unité. Dans ses rangs, des Allemands, des Autrichiens, ou encore des Tchécoslovaques, tous Juifs et rêvant de prendre leur revanche sur le régime nazi qui les a forcés à fuir leurs pays. Mais oubliez tout de suite l’ultra-violence des Inglourious Basterds de Quentin Tarantino. Les missions de la « Troupe X » furent beaucoup plus discrètes et surtout secrètes. A l’occasion des cérémonies du 75e anniversaire du Débarquement en Normandie, franceinfo vous propose de découvrir cette unité, l’une des plus mystérieuses de la Seconde Guerre mondiale.
Nathan devient Norton
C’est en 1942 que l’état-major britannique décide de monter un commando composé de ces réfugiés. Tous avaient pour la plupart rejoint le Royaume-Uni juste avant la guerre, fuyant le régime nazi. Jusqu’à présent, ces « King’s Own Loyal Enemy Aliens » (« Les ennemis étrangers loyaux du roi »), comme ils se surnommaient, n’étaient pas destinés à combattre, en raison des risques d’espionnage qu’ils représentaient. Ils étaient affectés dans un premier temps au Royal Pioneer Corps, les troupes du génie. Mais leurs connaissances linguistiques et leur motivation furent rapidement exploitées par les Alliés.
Faire payer les Nazis était une motivation omniprésente… Notre commando juif était l’antithèse même des allégations d’agneaux qu’on emmène à l’abattoir. commando de la X-Troop
Placée sous le commandement de Bryan Hilton-Jones, la centaine d’hommes sélectionnés dans le plus grand secret s’entraîne à Aberdyfi, au pays de Galles, et à Achnacarry, en Ecosse, rapporte la BBC. « Aucun d’entre eux n’avait réellement la moindre idée de la raison pour laquelle ils y avaient été envoyés. La plupart avaient déjà participé à des exercices de parachute et à des entraînements spéciaux, mais ignoraient lamentablement l’exercice élémentaire et l’entraînement aux armes », reconnaîtra leur chef après-guerre. En plus de leur entraînement intensif, tous doivent changer de nom, pour cacher leurs origines et protéger leurs familles en cas de capture. Franck devient Franklyn ; Nathan est désormais Norton ; Stein s’appelle Spencer, note le Daily Mail.
Capturés et interrogés par la Gestapo
George Lane, de son vrai nom Dyuri Lanyi, est sans doute le commando le plus célèbre de cette troupe. Au cours de la deuxième semaine de mai 1944, il est chargé de débarquer de nuit sur les côtes françaises pour rapporter des photographies d’un nouveau type de mines installées sur les plages françaises, une innovation qui inquiète énormément le commandement à quelques semaines du Jour J.
Par une nuit sans lune et sous une pluie battante, il embarque sur une vedette rapide avec trois autres camarades, puis rejoint en canot pneumatique noir la plage de Ault (Somme). Jusque-là, tout va bien. Mais au moment de prendre en photo la fameuse mine, son appareil infrarouge émet un flash, raconte Giles Milton en ouverture de son livre D-Day : les soldats du Débarquement.
Immédiatement, des cris retentissent sur la plage, puis des tirs. Deux patrouilles allemandes, paniquées et sans aucune visibilité par cette nuit d’encre, se tirent dessus. George Lane et son camarade se plaquent dans l’eau de longues minutes avant de parvenir, sans se faire repérer, à rejoindre leur canot. Mais la vedette ne les a pas attendus. Les voilà seuls, dérivant sur la Manche.
Au petit matin, il sont capturés, interrogés de longues heures par la Gestapo avant d’être présentés à Erwin Rommel, l’un des plus haut gradés du IIIe Reich, dans son quartier-général au château de La Roche-Guyon (Val-d’Oise). A aucun moment leur véritable identité ne sera découverte. Et par miracle, les deux hommes ne sont pas fusillés, contrairement à ce qu’Adolph Hitler avait ordonné en 1942 lors de la capture d’espions. Ils finiront la guerre dans un camp de prisonniers en Allemagne.
Mission suicide au Pegasus Bridge
L’autre mission de ces soldats de l’ombre dans le Débarquement est de jouer les traducteurs pour les troupes fraîchement débarquées : interroger les prisonniers, lire les panneaux de circulation et décrypter les cartes ou autres messages interceptés. Des renseignements indispensables pour préparer l’arrivée des troupes alliées et faciliter leur progression. Des missions sans filet, où certains ont pris tous les risques.
C’est le cas du caporal Peter Masters, né Peter Arany, un juif autrichien. Il avait fui Vienne en 1938 et trouvé refuge en Angleterre avant de s’engager dans les commandos. Affecté à la troupe de Lord Lovat, il débarque en Normandie le 6 juin 1944, vélo pliant sous le bras, sur la plage de Sword avec la première vague. Après avoir interrogé sans succès quelques prisonniers d’origine polonaise, il est envoyé avec des éclaireurs en direction du pont de Bénouville, le célèbre Pegasus Bridge, pour faire la jonction avec les troupes britanniques parachutées dans la nuit.
Mais à 500 m de l’objectif, deux de ses camarades sont fauchés par un tireur embusqué à l’entrée du village. Toujours juché sur son vélo, le caporal Masters parvient à freiner à temps. Mais son commandant le désigne à nouveau comme éclaireur, seul cette fois. Masters tente de négocier en proposant de faire le tour du village mais rien n’y fait. « Il était maintenant clair pour moi que ce qu’il voulait, c’était que la mitraillette me tire dessus, afin qu’il puisse voir quelle position elle était placée. Ce fut un mauvais moment pour moi », explique-t-il dans le livre Ten Commando, de Ian Dear. Une véritable mission suicide.
Alors qu’il marche fébrilement, scrutant chaque fenêtre ou pas de porte, lui vient une idée. « Je me suis rappelé d’un vieux film avec Cary Grant [Gunga Din, sorti en 1939]. Il entre seul dans une forteresse de rebelles parce qu’il n’avait pas d’autre choix et il lance : ‘Vous êtes tous en état d’arrestation !’ Une réplique que j’ai toujours trouvé amusante. Alors j’ai décidé de faire la même chose. » Le soldat avance, fusil à la main, « jusqu’au centre de la route, où tout le monde pouvait me voir et j’ai commencé à crier en allemand ».
Allez, tout le monde dehors, les mains sur la tête ! La guerre est finie pour vous. Rendez-vous !
« Personne n’est sorti, bien sûr, poursuit le vétéran, mais personne n’a tiré non plus, sans doute parce qu’ils étaient curieux de voir ce qui se passerait ensuite. » Ce n’est qu’à la sortie du village qu’un soldat allemand finit par ouvrir le feu. Masters riposte. Mais chacun manque ses tirs, jusqu’à ce que le reste des troupes britanniques parviennent à sa hauteur et repoussent les Allemands.
D’autres n’ont pas eu cette chance. C’est le cas d’Harry Andrews, ou plutôt Hans Arenstein. Originaire d’Erfurt dans le centre de l’Allemagne, il avait quitté l’Allemagne lors de l’opération « Kindertransport » (décembre 1938-printemps 1939), durant laquelle près de 10 000 enfants juifs furent évacués et placés dans des familles d’accueil britanniques, des pensions et des fermes. Il aurait pu opter pour une vie paisible en Amérique du Sud, où ses parents avaient trouvé refuge. Au lieu de cela, il a préféré rejoindre le Royaume-Uni pour combattre. Affecté à la « Troupe X », il fut fauché dans le bocage normand par une mine en août 1944, alors qu’il menait une patrouille à l’arrière des lignes allemandes.
Pas de médailles pour ces braves
Ces soldats pas comme les autres ont payé un lourd tribut. Au total, sur les 44 commandos de la « Troupe X » qui ont participé au Débarquement, vingt-sept ont été tués, blessés ou fait prisonniers, selon la BBC. Pourtant, peu furent décorés et leurs histoires restent peu étudiées. D’après Peter Masters, dans une lettre écrite à l’auteur Ian Dear, c’est parce que ces hommes n’ont jamais combattu ensemble, mais ont été disséminés dans différentes unités où les commandants préféraient récompenser en priorité leurs hommes.
En septembre 1945, le commando est dissous, mais bon nombre de ses membres ont continué à travailler au sein des forces d’occupation, traquant par exemple les criminels de guerre ou encore en traduisant les documents saisis. Après la guerre, un hommage solennel leur fut rendu par Louis Mountbatten, chef des opérations combinées. Ce dernier salua, dans un discours rapporté par le Daily Express en 1946, « une troupe composée de réfugiés qui croyaient en la démocratie et la liberté dans leur pays. (…) La situation a été clairement expliquée à ces Allemands qu’ils seraient torturés s’ils étaient capturés. Aucun homme n’a dit non et aucun ne nous a laissé tombé. »
Source www.francetvinfo.fr