L’exclusion des auteurs juifs dans l’édition américaine

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Un cas symbolique : Bernard-Henri Lévy

Le philosophe et écrivain Bernard-Henri Lévy incarne bien cette dynamique inquiétante. Figure mondialement reconnue pour son engagement auprès des opprimés, Lévy s’est rendu en Israël en octobre 2023 pour documenter les horreurs et les actes de bravoure sur le terrain. Ce voyage s’inscrivait dans une longue tradition d’implication directe dans les zones de conflit, de l’Ukraine à la Libye.

Son dernier ouvrage, La solitude d’Israël, explore les défis auxquels fait face l’État hébreu dans un monde de plus en plus polarisé. Si le livre a rencontré un succès immédiat auprès du public et des critiques, il a également été confronté à un rejet surprenant : une publicité pour l’ouvrage a été annulée par un bulletin influent du secteur, Shelf Awareness. L’éditeur a invoqué des « ennuis indésirables » dus à la présence du mot « Israël » dans le titre. Ce refus illustre une tendance croissante à censurer des œuvres perçues comme pro-israéliennes, quelle qu’en soit la qualité ou la pertinence.

Des listes noires en 2023 ?
Ce phénomène dépasse largement le cas de Lévy. James Kirchick, journaliste américain, a révélé l’existence de listes noires regroupant des écrivains et éditeurs identifiés comme « sionistes » ou trop attachés à leur identité juive. Ces listes, circulant dans les cercles professionnels, codifient le degré supposé de soutien à Israël des individus répertoriés. Être mentionné peut suffire à compromettre une carrière.

Des auteurs comme Emily St. John Mandel ou Kristin Hannah ont été stigmatisés pour leurs positions perçues comme pro-israéliennes. Des agents et éditeurs admettent, souvent sous anonymat, que publier des livres juifs ou israéliens devient risqué, avec des menaces de boycottage et d’exclusion professionnelle.

Un climat toxique
L’atmosphère hostile s’étend également aux institutions littéraires. Lors de la dernière cérémonie des National Book Awards, certains discours ont dénoncé Israël, accusé de « génocide » à Gaza, sans mentionner les victimes israéliennes du 7 octobre ou les otages encore détenus. Les tentatives d’équilibrer les débats se heurtent à des rejets brutaux.

PEN America, organisation historiquement dédiée à la liberté d’expression, a également cédé à des pressions exigeant une condamnation unilatérale d’Israël. Les membres signataires de pétitions accusent désormais l’organisation de « normaliser le génocide » en permettant des voix divergentes.

Que faire face à cette marginalisation ?
Pour Adam Bellow, éditeur influent et fils du prix Nobel Saul Bellow, les Juifs du secteur de l’édition se trouvent à une croisée des chemins. Faut-il continuer à se battre pour des espaces inclusifs ou créer des institutions alternatives ?

L’histoire montre que la créativité juive a souvent émergé en réponse à des exclusions similaires, qu’il s’agisse de l’essor de Hollywood ou des grandes maisons d’édition du XXe siècle. Mais ce choix reste douloureux, car il souligne une fois de plus la fragilité des acquis dans un contexte où l’antisémitisme semble se normaliser.

Un défi pour la liberté d’expression
La censure, qu’elle soit subtile ou explicite, représente une menace pour les principes fondamentaux de la littérature. L’exclusion des auteurs juifs ou pro-israéliens va à l’encontre des valeurs d’universalité et de pluralisme qui définissent l’art et la culture.

Il est crucial que l’industrie de l’édition, et plus largement la société, réagisse avec fermeté à cette dérive. Défendre la diversité, ce n’est pas seulement tolérer des opinions différentes, c’est aussi protéger celles qui défendent des positions parfois impopulaires. Ne pas le faire reviendrait à trahir l’esprit même de la littérature : un espace de réflexion et de dialogue au-delà des préjugés.

Jforum.fr

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