Lé’ilouï nichmat rav Chalom zatsa’’l, rav Avraham zatsa’’l, tous nos disparus et en particulier ceux pour lesquels personne n’étudie ni ne prie. Une guérison rapide et complète pour tous nos malades et blessés. Que nos otages reviennent rapidement en bonne santé. Que nos soldats tombés au combat pour notre sécurité intercèdent en notre faveur.
Il est environ 13h00 en Erets en ce כ »ח טבת, heure à laquelle démarre la Levaya d’Eliyahou Brami za’’l notre ami de longue date, depuis les bancs si doux de Torath Emeth.
Qu’il est dur d’écrire au passé sur lui, cela ne semble pas réel, même si nous savons que nous nous reverrons, à condition de mériter d’être dans son périmètre spirituel.
Ces lignes sont également dédiées à Marcelle bath Louana Za’l, ma si chère grand-mère qui appréciait tant les frères Brami.
Nous nous permettons ici de déroger à l’habitude de toujours mentionner la référence de chaque citation, car les sources biographiques ramenées plus loin sont nombreuses et principalement citées de mémoire. Mais l’essentiel provient probablement d’un formidable ouvrage titré « Toldoth Adam », paru en 5644 (1884) à Vilna, relatant la vie de reb Zalman de Volozhyn, le frère de rav ‘Hayim (auteur du Néfech ha’hayim).
Dès sa plus tendre enfance, reb Zalman étudiait. Alors même qu’il était tout petit et savait simplement lire en hébreu, il apprenait par cœur les titres et le nombre de chapitres de chaque section du Rambam. En grandissant, sa bekiouth (ses connaissances) laissaient tout observateur pantois et ce, dès ses 9 ans.
Tout ce qui existait comme écrit était fluide dans sa sainte bouche, aucun texte de nos Maîtres ne manquait à l’appel : Tanakh, Bavli, Yerouchalmi, Tossefta, Midrachim, Sifra, Sifri, Zohar, Tikounim, Kitvé haAri zal, Richonim, Tour, Choul’han ‘Aroukh, absolument tout.
A 24 ans, il n’était pas seulement capable de réciter un passage de n’importe quel ouvrage, ce que beaucoup d’autres savent également faire, mais pouvait réciter l’ensemble de notre Tora par cœur, du premier au dernier mot.
Certains Guedolim de l’époque ont témoigné qu’avant d’accomplir une Mitsva, il récitait les versets du Tanakh, puis la Michna, la Guemara et la Halakha en rapport avec cette Mitsva, comme s’il révisait à chaque fois tout ce qui a trait à chacun de ses actes.
Il craignait tous les avis des Richonim (décisionnaires médiévaux) et dans la mesure du possible, s’arrangeait pour tous les respecter. Il dormait par exemple avec des gants la nuit afin de palier à un pan de la discussion entre le Roch et le Rachba sur l’impureté du sommeil nocturne (l’accès à l’eau courante pour les ablutions étant alors difficile).
(Nous profitons de cette évocation pour mentionner qu’après l’office de Roch Hachana, rav Raphaël Tikotchinski zatsal, Roch Yechiva de Yerou’ham, se rendait dans une petite salle à part, et citait par cœur tous les avis concernant l’ordre des sonneries du Chofar. Rav ‘Hanokh Karlinstein, l’un des enseignants, sonnait alors suivant tous ces avis que dictait un à un rav Raphaël, toujours par cœur. Ce n’est qu’après que nous allions déjeuner. אשרי עין ראתה זאת)
Inutile de préciser que jamais une parole profane non nécessaire ne franchissait ses lèvres. Et quand il devait aborder un de ces sujets, il le faisait en allusion via un verset ou une citation talmudique. Seule l’étude comptait et cette stature hors norme l’amènera à devenir, lui aussi, un élève du Gaon de Vilna.
Un jour, les élèves de rav ‘Hayim, son frère donc, évoquèrent l’idée d’une comparaison entre reb Zalman et le Gaon de Vilna. Car après tout, une fois que l’on connaît tout ce qui existe, quel niveau supérieur de connaissance peut-on espérer atteindre ?
Rav ‘Hayim, qui pesait chacun de ses mots comme des pierres précieuses, répondit que «même en 2000 ans d’étude, mon frère ne pourrait arriver aux chevilles du Gaon (קרסולי רגליו)».
Voyant l’étonnement des élèves, il poursuivit « tout le monde connaît par cœur Achré yochvé bétékha (Tehilim 145 pour sa majeure partie), même un jeune enfant. Mais qui est capable de le réciter à l’envers ? Essayez donc ! »
Le Gaon connaît justement toute la Tora à l’endroit, à l’envers, quelle lettre est au-dessus de telle autre, en-dessous, à sa droite ou à sa gauche ».
Dans un autre texte, Rav Hayim témoignera qu’il a enquêté, et on peut imaginer ce qu’est une enquête de pareil Gadol : « Je suis arrivé à la conclusion que toutes les connaissances acquises par mon frère, aussi grandes soient-elles, étaient déjà connues du Gaon de Vilna avant la Bar Mitsva ». Nous insistons sur le dernier propos : donc Tanakh, Bavli, Yerouchalmi, Tossefta, Midrachim, Sifra, Sifri, Zohar, Tikounim, Kitvé haArizal, Richonim, Tour, Choul’han ‘Aroukh avant la Bar Mitsva !
La question qui se pose maintenant est simple : et alors ? Qu’est-ce que tout ceci m’apprend après tout ? Je n’ai aucun rapport avec pareils niveaux, je suis à 1000 années-lumière de ces capacités. La vie est une interro, pas un concours.
C’est vrai. Sauf que… le Gaon nous a quitté à 77 ans.
Qu’aurions nous fait à sa place pendant les 64 années suivantes, si avant même nos 13 ans nous maîtrisions déjà toute la Tora ?
Peut-être s’accorder un peu de temps pour aller jouer au foot ? Peut-être visiter Vilna, qu’il ne connaissait absolument pas ? Peut-être dormir un peu plus que les 4 demi-heures qu’il s’accordait par tranche de 24 heures ?
Mais le Gaon ne fit rien de tout cela. Bien au contraire, il resta assis 22 h/ 24 chaque jour de ces 64 années, étudiant sans relâche volets fermés, pouvant comptabiliser le temps perdu chaque veille de Kippour en pleurant sur les quelques minutes gâchées dans l’année à lacer ses chaussures, trouvant toutes les astuces du monde pour ne pas s’endormir devant sa Guemara, étudiant encore, encore et encore ce qu’il connaissait déjà par cœur il y a des dizaines d’années.
Jusqu’à avoir la Tora devant ses yeux, l’endroit, à l’envers, quelle lettre est au-dessus de telle autre, en-dessous, à droite ou à gauche.
Nous apprenons donc que l’obligation d’étudier la Tora n’a strictement aucun rapport avec le degré de sa connaissance. L’étude n’a pas de fin.
La Guemara (Berakhoth 63b) nous apprend au nom de Rech Lakich (et qui est plus légitime que lui pour l’affirmer ?) que la Tora ne peut exister qu’en celui qui « se tue » pour elle dans l’étude. Celui qui se brise pour elle, celui qui s’efface totalement devant elle.
Plus près de nous. Rav David Feinstein, grand rav russe, eut un fils génial que l’on connait tous : Rav Moché qui, à 7 ans, connaissait par cœur les 3 Baboth (3 traités de Guemara, Kama, Métsia et Bathra). Certains Rabbanim de l’époque se levaient déjà devant cet enfant. Que fit Reb Moché pendant les 84 autres années ? Il étudia encore et encore ! Sa femme témoigne que tout en terminant Netilath Yadayim du matin il ouvrait un Tanakh pour étudier. Un Tanakh, alors qu’il maîtrisait la Guemara à 7 ans ! Etudier et réviser sans fin.
Lors d’une balade avec son cher neveu, le ‘Hazon Ich dit sur lui qu’il maîtrisait tout le Chass (Talmud). Qui était ce neveu ? Reb ‘Hayim Kanievsky. Quel âge avait-il ? 19 ans ! Qui témoigne sur lui ? Le Gadol hador, la lumière du peuple juif, le ‘Hazon Ich !
Qu’a fait Reb ‘Hayim les 75 autres années ? Il terminera l’étude de toute la Tora chaque année en veille de Pessa’h, en étudiant encore 75 fois ce qu’il connaît déjà parfaitement depuis ses jeunes années !
Pourquoi un acte de divorce (Guet) est-il appelé ainsi ? Le Gaon de Vilna, qui comptait les lettres de la Tora à l’instar des Sofrim d’autrefois (Kiddouchin 30a), nous dit que les lettres qui composent ce mot, à savoir le Guimel et le Tét, ne sont jamais accolées dans la Tora, tel un divorce. Vient reb ‘Hayim deux siècles plus tard et pose une question : mais pourtant il y a d’autres lettres qui ne sont jamais côte à côte dans la Tora et voici la liste ! Il savait quelles lettres sont accolées ou pas dans tout le Tanakh. On parle ici d’un Gadol qui a vécu en même temps que nous, pas de Richonim.
C’est d’ailleurs le sens simple de la Guemara (Berakhoth 64a) : « Rabbi ‘Hiya bar Achi au nom de Rav dit que les Sages n’ont jamais de repos, ni dans ce monde, ni dans l’autre ».
Etudier, encore et encore les mêmes sujets est LE secret. L’obligation d’étudier est valable jour et nuit, en permanence, jeune ou vieux, érudit ou pas, en bonne santé ou pas.
Nous avions ramené ici (21/11/2021) une anecdote : un simple travailleur vint voir rav Salanter zal : « Rav, je sais qu’il faut tout le temps penser à la Tora, mais je ne connais rien par cœur, comment être tout le temps « dedans » ? »
Réponse du rav : « Que fais tu le matin en te réveillant » ? Eh bien je dit Modé Ani, puis je fais Netilat Yadayim, puis je vais à la Choule mettre mes Tefilinnes etc ».
« Eh bien voilà s’exclama rav Salanter, tu vois bien que tu connais des tas de Halakhoth par cœur, tu peux donc les réciter en boucle et être 100% connecté ! ».
Le 18 janvier 2022, il était évoqué ici le fait qu’apprendre une petite Michna par cœur est relativement aisé : prenons la toute première de Pirké Avoth, facile à mémoriser, avec un vocabulaire simple et accessible. Elle comporte 28 mots. Soit 28 Mitsvoth accomplies pour celui qui la récite une fois. Allons plus loin : il faut environ 12 secondes pour la réciter mentalement, testez le.
Au bout d’un certain nombre de fois, on y parvient de manière automatique, même en effectuant en même temps une tâche physique. Admettons qu’il faille dix minutes pour aller à pied jusqu’à la station de métro la plus proche. On arrive à 20 minutes de marche par jour. Combien de fois puis-je réciter ma chère Michna, sans effort, sans même y prêter attention mais tout en restant connecté à mon Créateur ? 100 fois très exactement ! Je peux donc accomplir 2800 Mitsvoth par jour, simplement en allant prendre le métro ! Et chacune de ces Mitsvoth est équivalente aux 613, cela fait donc 1.716.400 Mitsvoth ! Et si je continuais également pendant mon trajet ? Et en voiture ? N’est-ce pas merveilleux ? Qui peut multiplier son propre salaire à l’infini ? Avec l’étude de la Tora, c’est possible. Nous pouvons, à chaque instant, même pour ce que l’on pourrait qualifier de « temps perdu », faire des millions de Mitsvoth, la notion de « tuer le temps » n’existe pas pour un Juif. Bien au contraire, il s’agit de faire vivre chacun des instants que nous octroie Hachem et les utiliser au mieux.
En ce 28 Tévet, peut-être pouvons-nous honorer notre cher Eliyahou en prenant sur nous de réciter ces 28 mots afin d’élever encore et encore sa Nechama pure, tout comme celles de rav Chalom et rav Avraham qui accueillent aujourd’hui l’un de leur ancien élève.
Que son mérite nous rapproche de la venue prochaine d’un autre Eliyahou, celui que nous attendons tous depuis si longtemps.