par Daniel Pipes – The Washington Times
Des voix influentes s’élèvent soudainement pour imputer la responsabilité du virus COVID-19 non pas à la Chine communiste mais au Royaume-Uni, aux États-Unis et à Israël. Cette inflexion participe d’un schéma de pensée pernicieux remontant au Moyen Âge et qu’il est nécessaire de prendre au sérieux et de réfuter.
Ce schéma de pensée remonte à environ 1100 de l’ère actuelle, au temps de l’Europe des Croisades. Depuis cette époque, des gens déboussolés espérant donner un sens à des phénomènes inattendus et néfastes invoquent systématiquement une conspiration mondiale dont la plupart fait porter la responsabilité à deux seuls prétendus conspirateurs : les membres de sociétés secrètes occidentales ou les Juifs.
« Massacre de Juifs à Metz pendant la Première Croisade », en 1096, par Auguste Migette (1802-1884). |
Les sociétés secrètes comprennent les Templiers, les francs-maçons, les jésuites, les Illuminati, les Jacobins et la Commission trilatérale. Quant aux Juifs, ils seraient dirigés par une autorité occulte, les « Anciens », exerçant un encadrement strict au moyen d’organisations de façade telles que le Sanhédrin, l’Alliance Israélite Universelle et l’American Israel Public Affairs Committee.
À l’époque contemporaine, les adeptes des théories du complot ont ajouté à ces organisations différents pays : les sociétés secrètes ont engendré le Royaume-Uni et les États-Unis, les Anciens parmi les Juifs sont devenus Israël. De manière constante, ces trois États sont jugés responsables de faits inattendus et choquants tels que l’assassinat de JFK, la mort de la princesse Diana, les attentats du 11 septembre ou encore la Grande Récession.
Et il en va de même avec le COVID-19. Il est prouvé que le virus a pris naissance dans la ville chinoise de Wuhan avec pour foyer soit un « wet market », ces marchés de produits frais où l’on trouve des animaux vivants destinés à la consommation humaine, soit l’Institut de virologie de Wuhan, soit une combinaison des deux (des animaux infectés au sein de l’institut et revendus comme nourriture sur le marché). Le fait que le Parti communiste chinois (PCC) s’est efforcé de dissimuler le virus a non seulement facilité la propagation mais aussi occulté les origines de ce virus.
En revanche, ce qui s’est produit ensuite est connu de presque toute personne sensible et vivante aujourd’hui : parti de Wuhan, le virus a gagné les autres régions de la Chine avant de se propager dans le monde. Tous ceux qui lisent cet article ont vécu et ressenti cet événement historique récent. Et il n’y a aucun mystère sur la responsabilité première du PCC dans la pandémie. L’expression virus de Wuhan n’a rien d’une insinuation raciste mais décrit précisément la réalité.
Le fait d’accuser exclusivement les Britanniques, les Américains et les Juifs revient à passer sous silence les 94 autres pour cent de l’humanité à savoir, les grandes puissances de l’Europe continentale (France, Allemagne, Russie), les mouvements totalitaires (communisme, fascisme, islamisme), les membres des religions universalistes (bouddhistes, chrétiens, musulmans) et l’ensemble du monde non-occidental (Iran, Chine, Japon). Dans le cas présent, la Chine communiste n’est pas considérée comme un conspirateur plausible.
Par conséquent, les théories du complot qui ont inévitablement fait surface, se sont focalisées sur les trois éternels suspects et il n’est pas étonnant que le PCC les encourage. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lijian Zhao, a tweeté : « Ce pourrait être l’armée américaine qui a introduit l’épidémie à Wuhan ». Il a également retweeté des informations « très importantes » sur « de nouvelles preuves que le virus provient des États-Unis. » Le Washington Post explique qu’en conséquence de ces assertions officielles et d’autres, « les discours anti-américains ont pris de l’ampleur » en Chine au point que les communications internet du pays sont « inondées par la théorie … selon laquelle le coronavirus provient des États-Unis. »
De même, les médias russes ont accusé Londres et Washington d’avoir développé le virus soit pour nuire à la Chine en sapant son économie, soit pour se préparer à une offensive en testant ses armes biologiques de défense.
Deux généraux iraniens des Gardiens de la Révolution ont agité le spectre du virus en le présentant comme une arme biologique américaine ayant la Chine et l’Iran pour cibles, tandis que la chaîne étatique iranienne a imputé à plusieurs reprises l’origine du virus à des éléments américains ou sionistes. Des médias algériens et turcs ont accusé les Juifs d’avoir développé le coronavirus afin de gagner en puissance, de rendre les peuples stériles ou de faire fortune en vendant l’antidote.
L’Anti-Defamation League observe qu’aux États-Unis, les adeptes des théories du complot se servent du COVID-19 « pour diffuser leurs théories antisémites selon lesquelles les Juifs sont responsables de la création du virus qu’ils propagent pour accroître leur contrôle sur une population décimée, ou bien que les Juifs tirent profit de la situation. »
Le fait que les Israéliens sont en première ligne dans la recherche d’un remède au COVID-19 est déformé par les adeptes des théories du complot selon qui les Israéliens tirent profit de la situation. Le revirement de l’ayatollah Naser Makarem Shirazi illustre le caractère torturé de la pensée de tous les antisémites. Ce religieux iranien de premier plan avait d’abord autorisé l’achat d’un vaccin israélien si ce dernier venait à être le seul disponible, avant de se raviser.
Le MIGAL Galilee Research Institute, dans l’extrême nord d’Israël, est en première ligne dans la recherche d’un vaccin contre le COVID-19. |
C’est ainsi que le virus de Wuhan a exhumé des thématiques médiévales en réponse à des faits d’actualité inattendus et négatifs. Aussi absurdes qu’elles soient, ces théories empêchent de comprendre la nature du virus, de le traiter et d’en limiter les ravages. Bien qu’il soit tentant de les passer sous silence, il est nécessaire de réfuter ces théories du complot complètement folles sous peine de les voir s’envenimer, croître et, comme si souvent par le passé – pensons à Staline et à Hitler – devenir la menace de terribles ravages.