Les tambours de guerre

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Mon cadeau

Je ne vous ai pas encore raconté ce que ma tante m’a offert pour ‘Hanoucca ! Ma tante habite en Amérique, et nous la voyons très rarement. Pourtant, nous nous souvenons toujours très longtemps de sa visite, car elle nous offre de beaux cadeaux ! Cette fois-ci, elle est venue passer quelques jours chez nous pendant la fête de ‘Hanoucca, et après l’allumage de la troisième bougie, elle a sorti de grosses boîtes et a commencé la distribution… Je me demande comment elle a pu transporter tout cela dans l’avion !

cadeauTous mes frères et sœurs ont reçu de beaux jouets, et moi… j’ai reçu ce dont je rêvais : une batterie de tambours ! De vrais tambours, hein ! Pas des petits jouets !

Le soir-même, toute la famille a pu profiter de mes dons musicaux : j’ai accompagné les chants de ‘Hanoucca que mes frères ont chantés !

En fait, c’est simple : j’ai utilisé mes tambours pendant tout ‘Hanoucca.

L’avis de la voisine

Jusqu’à ce que madame Lederman vienne se plaindre. Madame Lederman, c’est notre voisine du dessous. Elle est très âgée et habite seule. Je pense que son mari est déjà niftar. Elle a toujours été seule depuis qu’on la connaît. D’habitude, elle ne se plaint pas de nous, même si parfois nous chahutons un peu… ou beaucoup. Or, cette fois-ci, elle est montée pour demander à Maman d’arrêter le bruit des tambours.

« Ah ben alors, je ne peux plus jouer du tambour, maintenant ?

– Mais si, Bentsi ! Simplement, il faudra éviter d’en jouer trop tôt le matin, ou trop tard le soir. Par exemple, à 20h00, cela peut nous paraître encore une heure raisonnable, alors que pour une personne âgée, c’est peut-être déjà tard…

– C’est d’accord, alors je n’en ferai qu’en rentrant de l’école, vers 16h00.

– Oui, je pense que c’est bien. Et puis pas trop longtemps, pas deux heures d’affilée, quoi ! »

 

J’avais bien compris, mais madame Lederman n’était pas du même avis que Maman. Après quelques jours, elle est montée chez nous à nouveau. Maman n’était pas là. J’étais seul. Enfin, avec mes tambours.

« Pourriez-vous s’il vous plaît arrêter les tambours ? »

J’étais tellement dépité que je l’ai regardée bêtement, sans rien répondre.

« Merci », a-t-elle dit, et elle est redescendue aussitôt, sans attendre que je me remette de mes émotions.

Moi qui pensais que les personnes âgées n’entendaient plus très bien, il semblait que j’étais tombé sur la seule au monde qui entendait mieux qu’un jeune de 20 ans !

J’ai attendu Maman et lui ai raconté, les larmes aux yeux, l’incident avec la voisine.

« Elle avait peut-être des invités aujourd’hui, ou peut-être qu’elle avait passé une mauvaise nuit et essayait de se reposer… Tes tambours ne font pas tellement de bruit… Laisse passer un jour, et je pense que tu pourras en jouer à nouveau. »

Effectivement, je n’ai plus revu madame Lederman. Chaque fois qu’on tapait à la porte, je sursautais, mais ce n’était pas elle. Elle ne montait plus nous voir. J’étais rassuré.

 

Un déménagement précipité

demenagementEnviron un mois plus tard, je partais à l’école un matin, et en passant à l’étage de madame Lederman, j’ai vu sa porte s’ouvrir et des enfants en sortir, cartable sur le dos ! Jamais je n’avais su qu’elle avait de la famille ! La seule personne qu’on croisait de temps en temps, c’était sa fille, qui avait à peu près l’âge de ma maman, avec son petit bébé. C’était plutôt une bonne nouvelle si elle avait des enfants ou des petits-enfants de mon âge, qui venaient lui rendre visite de temps en temps ! Parmi les voisins, j’avais peu d’amis…

« Vous êtes de la famille de madame Lederman ? ai-je demandé.

– De qui ? Non, on ne la connaît pas !

– Comment ça ? Mais c’est elle qui habite ici !

– Eh bien maintenant, c’est nous ! ont dit les enfants en riant. Nous venons d’emménager !

– Et madame Lederman ? La dame qui habitait ici avant ? Où est-elle ?

– Je ne sais pas. Demande peut-être à notre maman !

 

Les tambours sont responsables !

J’ai regardé l’heure. J’avais encore quelques minutes. J’ai tapé doucement à la porte.

« Bonjour, ai-je salué. J’espère que je ne vous dérange pas. J’habite juste au-dessus de chez vous. Vos enfants m’ont dit que vous venez d’arriver… Bienvenue ! Savez-vous où est partie la dame qui habitait ici avant ?

– Oui, elle est en maison de retraite. Ohel Avraham, il me semble. C’est dans la rue derrière. Vous la connaissiez bien ? Elle a vendu son appartement parce que les voisins faisaient du bruit. Des tambours, paraît-il. Mais nous, justement, cela nous arrange si les enfants des voisins font du bruit, cela évitera qu’on entende les miens, qui sont plutôt turbulents ! a-t-elle dit en souriant. Nous cherchions justement un immeuble vivant, où l’on ne nous demanderait pas le silence sans arrêt, tu comprends ? Surtout que mon fils joue souvent de la musique !

– Oui… Mais je ne savais même pas qu’elle devait partir… Ni qu’elle avait mis son appartement en vente… Ni que le bruit l’avait fait quitter… »

Je suis parti à l’école, pensif. Etait-ce vraiment mes tambours qui l’avaient fait fuir ? Un peu de tambour en après-midi, était-ce déjà trop ? Je me sentais partagé entre la colère et la compassion. Colère de devoir me remettre en question alors que j’avais fait mon possible pour rester correct. Et compassion, parce que la pauvre femme avait dû quitter son appartement précipitamment à cause de moi. Quelle histoire !

 

Je me suis défoulé à la récréation, avec mes amis :

« Dans mon immeuble, il est interdit de se moucher ! Si, si ! Cela fait trop de bruit ! Il faut sortir au jardin pour cela ! D’ailleurs, nous ôtons nos chaussures immédiatement en rentrant à la maison : nous marchons en chaussettes ! Et si nous voulons crier, nous écrivons ce que nous avons à dire sur un papier que nous faisons passer à la personne concernée ! Quant au micro-onde, nous l’avons jeté, puisqu’il était impensable d’en claquer la porte pour le fermer… Et si vous me téléphonez et que personne ne répond, c’est parce qu’on a mis tous les téléphones en silencieux… Alors ce n’est pas facile de savoir quand ça sonne !

Je riais, mais en vérité j’étais mal à l’aise.

A la sortie de l’école, je savais qu’il fallait que j’aille voir madame Lederman. Cela me pesait trop, et même si je ne pensais pas être en tort, il fallait que je lui demande pardon. Je me sentirais mieux.

 

A la maison de retraite

En arrivant à la maison de retraite, j’ai eu peur. Je ne savais pas à quoi m’attendre… Madame Lederman allait peut-être me crier dessus ? Me tourner le dos ? Ou pire : pleurer ?

D’un autre côté, je savais que si je rebroussais chemin, je repenserais à cette histoire chaque fois que je toucherais les tambours…

Madame Lederman se trouvait dans la salle de conférences avec sa fille, celle que je connaissais.

« Oh, mon petit voisin ! s’est-elle exclamée de loin. Que fais-tu par ici ? »

Par chance, elle avait l’air radieux ! Pourtant, j’hésitais… Etait-il préférable de lui dire que j’étais venu la voir, ou de lui faire croire que je cherchais quelqu’un d’autre et ne m’attendais pas à la trouver là ?

Elle ne m’a guère laissé le temps de réfléchir : « Viens par ici ! Tu m’excuseras auprès de ta maman, je ne lui ai pas dit au revoir avant de partir… J’étais tellement faible… »

Je ne comprenais plus rien. J’étais venu m’excuser, et c’était elle qui le faisait…

« Dis, j’espère que tu es venu sans tes tambours ! »

J’ai baissé les yeux ; j’avais trop honte.

« Je m’excuse… pour les tambours qui vous ont obligée à partir…

– Bensti, tes tambours m’ont fait partir, mais tu n’en es pas responsable.

– Ah bon ?

– J’ai vécu la guerre, Bentsi, tu sais ? Quand j’étais toute petite. Plus petite que toi. Pendant la guerre, je vivais avec un groupe de petites filles de mon âge, dans un immeuble tout près de l’orchestre des ennemis. C’était un immense orchestre, de 50 ou 60 personnes. Ils faisaient sans arrêt leurs répétitions, et leur musique accompagnait les réunions et les défilés des Allemands. De notre immeuble, on n’entendait pas avec précision, mais on reconnaissait parfaitement le rythme des tambours. Je ne l’oublierai jamais…

« Tes tambours m’ont rappelé cette époque, et depuis ‘Hanoucca, je rêve chaque nuit de la guerre. Cela me rendait tellement déprimée que je préférais lutter contre le sommeil et ne plus dormir la nuit… Mais du coup, je suis devenue très faible, et suis tombée malade. J’ai décidé, à contre-cœur, de venir en maison de repos, plutôt que de déménager dans une autre maison à mon âge…

« Mais comme on dit toujours : « Hakol letova », n’est-ce-pas ? Cela fait des années que ma fille me supplie d’aller en maison de retraite, m’assurant que j’y serais mieux que seule dans un appartement, avec ma santé qui décline. Pourtant, je m’entêtais à dire non, j’avais trop peur qu’on me maltraite ici, que je m’ennuie, ou que je sois malheureuse. Et puis, je préférais le confort de mon petit appartement. Au final, je suis venue ici contrainte et forcée, pour me rendre compte que c’est une structure magnifique, accueillante et familiale ! Sans cette histoire de tambours, je n’aurais jamais découvert cet endroit ! N’est-ce pas, Myriam ? »

Sa fille m’a souri en acquiesçant. « Pour sûr, Maman est plus en sécurité ici ! »

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