Les relations entre Moscou et Jérusalem, face à la menace iranienne

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Par Francis MORITZ – Temps et Contretemps

Le général De Gaulle l’avait bien fait savoir, les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Au fil de trente années de relations diplomatiques parfois tendues, le président Poutine a reçu Naftali Bennett. Le premier ministre israélien, conscient de l’importance des liens personnels, s’est inscrit dans la continuité, en égard au rôle de la Russie à quelques dizaines de km de l’État juif. Depuis 2015, les relations sont devenues cruciales car il y a une convergence partielle des intérêts supérieurs.

Vu de l’extérieur, on dira que le premier contact a été chaleureux car Poutine veut promouvoir l’image d’une Russie multiculturelle, multi-ethnique «fondement de la grandeur et de la force de la Russie». Le soutien aux institutions juives s’inscrit dans cette politique.  Poutine soutient que la Russie a un lien unique avec Israël parce que les Israéliens d’origine russe agissent comme «les porteurs de la culture et de la mentalité russe». De plus, l’accent mis sur la victoire de l’URSS contre les nazis résonne en Israël. Le président russe ne manque pas de rappeler la contribution décisive de l’Armée rouge au sauvetage des Juifs, comme la libération d’Auschwitz en 1945 et le soutien soviétique à la création d’Israël en 1947.

Bennett n’oublie pas qu’Israël compte 1,5 million de russophones. Il est aidé en cela par Yaïr Lapid qui souligne que les Juifs et les Soviétiques se trouvaient du même côté. Non seulement ces facteurs constituent un arrière-plan commun mais permettent à chaque nation de forger son propre narratif, Le statut de grand puissance revendiqué par Moscou prend nécessairement le pas sur ces considérations.

Il ne semble pas que la situation israélo-palestinienne ait été abordée sur le fond. Car Israël a entrepris l’analyse d’un plan B dans le plus grand secret avec les États Unis. On connaît la divergence entre les deux pays. Washington qui voudrait réintégrer le dossier nucléaire dans une boite et Jérusalem qui se prépare à une possible intervention.

Le Kremlin instrumentalise le conflit, assurant de la sorte maintenir le contact avec toutes les parties qu’il accueille à Moscou, Hamas, Djihad islamique. Dans le même temps Poutine déclare que «l’escalade du conflit se déroule à proximité immédiate de nos frontières… nos intérêts de sécurité». Faisant peut-être écho à la déclaration de Bennett pour qui la Russie «est devenue une sorte de voisin dans le nord». En fait Moscou craint l’exportation du conflit dans ses régions à majorité musulmane. En Syrie, la Russie est confrontée à l’expansionnisme de l’Iran et l’interventionnisme turc. On a bien compris que les frappes israéliennes sont acceptées par Moscou car elles lui permettent aussi d’assurer son contrôle actuel de la situation.

Moscou veut apparaitre comme une puissance impartiale et stabilisatrice dans la région et a cherché à s’appuyer sur l’élan des Accords d’Abraham pour promouvoir un nouveau format dénommé «4+4+2+1» qui inclurait les membres du Quartet – ​​quatre États arabes qui ont des liens avec Israël (Bahreïn, Égypte, Jordanie et Émirats), Israël et l’Autorité palestinienne – ainsi que l’Arabie saoudite. Israël n’est pas intéressé.

L’évolution de la situation syrienne sera sans aucun doute le point de bascule dans les relations entre les deux pays. Jusque-là le Kremlin a recherché en permanence une position d’équilibre, sinon d’équilibriste entre Israël et l’Iran. Or l’Iran pour des motifs de politique intérieure veut pousser ses pions à l’extérieur pour prétendre qu’elle est face à un ennemi et qu’elle doit soutenir la guerre en Syrie, le Hezbollah et le Hamas à Gaza.  Ce qui se traduit par une menace croissante sur la frontière nord d’Israël et un discours belliqueux et incantatoire du Hezbollah. Depuis 2018 Moscou tentait de limiter la présence iranienne dans le sud, mais y a subi un échec à la suite du démantèlement d’une milice formée par elle.

Pour autant, l’Iran poursuit ses commandes d’armes à Moscou. Dans l’immédiat, pas de changement majeur en vue entre Jérusalem et Moscou qui tire d’importants avantages de sa présence. Loin d’être un bourbier, le conflit syrien s’est avéré un champ d’expérimentation pour tester ses nouveaux systèmes de combat. Ses pertes ont été très limitées dans l’ensemble. L’armée a atteint ses objectifs stratégiques en soutenant Assad tout en tirant des avantages plus immédiats pour elle-même.

En revanche, de sources proches du Kremlin, on indique qu’une divergence existe entre le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui légitime les frappes israéliennes pour des raisons de sécurité nationale, pendant que le ministre des Armées Sergueï Shoigu les critique, car elles mettent en question la fiabilité des batteries anti aériennes russes.

Dans ce contexte, Poutine cherche à réunir les conseillers de sécurité russe, américains et israéliens avec le double objectif d’apparaître comme la grande puissance régionale, ce qui implique d’éloigner l’Iran de la frontière nord et de maintenir sa posture entre Jérusalem et Téhéran, qu’une rupture des pourparlers de Vienne pourrait compromettre, au vu des intérêts divergents entre Russie et Iran sur le terrain.

Il convient de se rappeler que la vision anti-occidentale de Poutine l’amène à nouer les liens les plus étroits avec des dirigeants partageant les mêmes idées. Il était déterminé à empêcher la chute d’Assad. Il s’opposait aux États-Unis et a commencé à le protéger de plusieurs manières avant même l’intervention de 2015. Il a atteint son objectif, sans s’enliser dans un bourbier ni en payant un prix élevé. La région a pris acte de la position renforcée de la Russie en Syrie qui contraste fortement avec l’ambivalence occidentale.

Les États-Unis ne sont pas satisfaits de la négociation sur le nucléaire et récemment, ont informé Israël être prêts à imposer des sanctions supplémentaires à l’Iran. Cependant, Jérusalem comprend qu’elles ne seraient probablement pas aussi significatives que celles imposées par Trump. Actuellement, Poutine semble satisfait du gel relatif du conflit, ce que la Maison Blanche semble avoir intégré dans sa stratégie en ne s’intéressant qu’à des aspects secondaires. L’Europe en est totalement absente. La récente visite du ministre des A.E. Émirati signale que les pays du Golfe veulent renouer avec le président syrien. Ce qui peut se produire si les pourparlers de Vienne échouent.

Durant la présidence Obama, un groupe de travail, dénommé «Opal» a été créé, réunissant les conseillers à la sécurité nationale des États-Unis et d’Israël, pour élaborer des options vis-à-vis de l’Iran. Lorsque Naftali Bennett s’est rendu à la Maison Blanche, lui et le président Biden ont décidé de réactiver ce groupe. Une vidéoconférence sécurisée et dirigée par le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan, et son homologue israélien, Eyal Hulata, aurait réuni les États-Unis et Israël. La partie israélienne a souligné la nécessité de concevoir un plan B en raison de l’échec probable des pourparlers et de la progression de l’Iran en matière nucléaire. La partie américaine a souligné qu’elle était également préoccupée par ce probable échec et a déclaré qu’elle imposerait des sanctions supplémentaires à l’Iran si les pourparlers ne reprenaient pas, soit fin novembre, aux dernières nouvelles,

Un porte-parole de la Maison Blanche a déclaré que les États-Unis «restaient engagés dans des consultations en cours avec le gouvernement israélien sur une série de questions liées au défi posé par l’Iran». De nombreux indices laissent penser que la nouvelle direction de Téhéran n’est pas prête à revenir en arrière. On peut donc s’attendre à une impasse, sinon même à un échec définitif. Le compte à rebours a commencé. 2022 s’annonce comme l’année de tous les dangers.

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