Ce succès interroge ici et maintenant le crime de masse, sadique, jouisseur, commis par le Hamas et des habitants de Gaza, le 7 octobre 2023 contre des Juifs israéliens vivant dans des kibboutz proches de Gaza et des jeunes participants à un festival de musique techno. Mille deux cents personnes assassinées et trois cent autres kidnappées. Peut-on imaginer un roman construit autour de ce Chabbat noir ?
Rarement un texte ne m’avait autant plongé dans une perplexité, autant que de dégoût, que la lecture du livre de Littell. Près de mille pages pour ausculter le psychisme d’un nazi tueur de Juifs, pour penser dans sa mécanique psychique, à travers ses neurones et ceux de ses compagnes et compagnons tueurs. J’ai eu de la difficulté à m’y accrocher, mais surtout ce qui m’a le plus perturbé fut le succès de ce livre indigeste. Sa recherche de style, sa construction narrative ? Tout ça pour ça ? Qu’est-ce que le livre de Littell a apporté à la compréhension du moment présent ? Les tueurs du Hamas seraient-ils aussi les acteurs jouisseurs pervers d’un roman proche-oriental ? Y aurait-il une esthétique possible dans les égorgements ou les éventrations commis aux cris de “Allah Akbar” ?
Mes malveillants dénoncent les Juifs au nom de l’antiracisme
Les malveillants de notre temps, ici, sont d’un autre ordre : ils sont à l’opposé du nazi Max Aue, ce sont des gens de cœur et d’esprit, fins lettrés, indignés dès qu’une injustice est commise sur la terre, ayant le souci de l’Autre, de la diversité, surtout de son malheur, Résistants imaginaires, défenseurs autoproclamés du camp du Bien et accusateurs du camp du Mal. Un retournement perfide de l’histoire renouvelle la plus longue haine pour l’exprimer au nom de la justice, de la lutte contre le racisme. C’est la sinistre farce du temps présent, celle qui s’est jouée l’été 2001 à la conférence de l’ONU sur le racisme à Durban. Mes malveillants se revendiquent ici et maintenant du camp du Bien. Ils dénoncent les Juifs au nom de l’antiracisme. Aucune mythologie ne leur sert plus d’ inspiration car ils suffisent à eux-mêmes et devant le miroir ils se regardent avec la gourmandise bienveillante d’un Narcisse toujours content de s’être trompé.
C’est en relisant “Le dernier des Justes”, d’André Schwarz-Bart ou “La nuit” d’Elie Wiesel que j’ai compris la perversité de la bonne conscience actuelle. Celle qui est accablée par la cruauté du monde, mais qui jouit en même temps de ces finesses. Elle corrompt le réel et relit l’histoire à l’ombre de postures nouvelles qui requalifient le réel pour mieux le falsifier. Ce que l’on nomme “cancel culture”, culture de l’effacement, prétend reconstruire la perception du monde. Ces malveillants n’ont que le masque de la bienveillance. Ils et elles ne font que jouer à être ce qu’ils ne sont pas. Leur bonne conscience suinte de mauvaise foi.
Cette malveillance dispose de porte-paroles. Ils expriment une même idée : le Mal n’est pas le Mal. Il est le Bien. Celui qui tue n’est qu’un justicier dont la victime est le coupable. Elle porte la raison du geste du tueur. Elle explique son geste, le justifie, l’absout. Jean Genet le disait déjà à propos des crimes de la bande à Baader. La violence meurtrière de la Fraction Armée Rouge n’était que la réponse légitime à la brutalité de la répression policière de l’Allemagne. Etienne Balibar ne dit pas autre chose à propos de Toni Négri (Le Monde 21 décembre 2023) principal idéologue de la violence gauchiste dans l’Italie des années 70-80, ce “communisme de l’amour” qui a “théorisé les résistances créatrices (…) face au capitalisme mondialisé“. Les victimes des Brigades Rouges ignoraient que ce qu’elles avaient subi relevait de gestes amoureux. Heureusement Balibar est là pour nous dire la vraie nature des choses.
Zineb El Rhazoui, ancienne journaliste de Charlie Hebdo, vaillante critique de l’islamisme, fut honorée du prix Simone Veil, décerné en 2019 par Valérie Pécresse pour sa lucidité et son courage. C’est la même Zineb qui déclare en décembre 2023 : “Les sionistes ont perfectionné la science du génocide. Ils ont amélioré le modèle nazi. (…) Le but est l’extermination des Palestiniens juste comme les nazis projetaient d’exterminer les Juifs”, ajoutant que les prisons israéliennes sont identiques au camp d’Auschwitz-Birkenau. C’est dans une longue lettre qu’elle a réagi, lundi 11 décembre, à la décision de la présidente de la région Île-de-France de lui retirer le prix Simone Veil: “Je vous rends votre prix Simone Veil car il est désormais entaché de sang”.
Quelques années plus tôt Virginie Despentes n’était pas en reste quand elle déclarait à propos des frères Kouachi, les tueurs de Charlie hebdo : “Je les ai aimés dans leur maladresse – quand je les ai vus armes à la main semer la terreur en hurlant ‘on a vengé le Prophète’ et ne pas trouver le ton juste pour le dire. Du mauvais film d’action, du mauvais gangsta-rap. Jusque dans leur acte héroïque, quelque chose qui ne réussissait pas. Il y a eu deux jours comme ça de choc tellement intense que j’ai plané dans un amour de tous – dans un rayon puissant […] J’ai aimé aussi ceux-là qui ont fait lever leurs victimes en leur demandant de décliner leur identité avant de viser au visage […] je vais faire irruption dans vos putains de réalités que je hais parce que non seulement elles m’excluent mais en plus elles me mettent en taule et condamnent tous les miens au déshonneur d’une précarité de plomb“.
Rappelons ici que la “putain de réalité” correspondait à la question que Coulibaly (le terroriste de l’Hyper casher) posait à ses captifs sur leur identité, avant de les assassiner : étaient-ils juifs ?
La folie qui s’empare des esprits dès que le “signe juif/israélien” est au centre de l’actualité
Pourquoi ces rappels ? Parce qu’ils mettent en lumière la folie qui s’empare des esprits dès que le “signe juif/israélien” est au centre de l’actualité. Israël et Palestine sont les jumeaux d’une même passion à la mesure de ce qu’elle véhicule et met en cause dans nos imaginaires: la shoah, la guerre d’Algérie, Vichy ainsi que tous les autres “signes” qui leur sont accolés.
On a dit de la Shoah qu’elle avait engendré une rupture anthropologique dans l’histoire humaine. Le concept de “crime contre l’humanité” inventé par le juriste Raphaël Lemkin a été pensé après que l’on eut découvert le résultat de sa mise en œuvre. Près de six millions de Juifs ont été assassinés par les nazis en Europe occupée parce que coupables d’être nés juifs. L’élimination d’un peuple au nom de ses origines n’était pourtant pas une nouveauté. Le génocide par l’armée allemande entre 1904 et 1908 du peuple herero sur le territoire de l’actuelle Namibie correspondait déjà à un projet d’éradication au nom de la race ou de l’origine. Le génocide des arméniens durant la première guerre mondiale obéissait à une logique identique. La dimension unique de la Shoah, par son ampleur géographique, son projet, ses moyens industriels, sa méthode, son caractère obsessionnel et sa théorisation préalable relevait d’un geste historique inédit. La “rupture anthropologique” signifie ce projet de mettre hors humanité des êtres humains au nom de ce qu’ils sont autant que ce qu’ils sont supposés être. Le massacre indiscriminé de Juifs commis par le Hamas le 7octobre 2023 a renouvelé cette “rupture”.
Malgré les témoignages, malgré ce qui a été découvert dans les kibboutz attaqués, malgré les récits des survivants, malgré les images effroyables, malgré les atrocités commises, c’est Israël qui est accusé de génocide et trainé devant la cour internationale de justice pour répondre de cette accusation ! Les mots n’ont plus aucun sens et tous les “Plus jamais ça” résonnent comme autant de serments trahis !
Israël se défend et a contre-attaqué. Le “ministère de la santé du Hamas” (!!!) compte ses morts et certains estiment que cette parole dit le vrai ! Dans les démocraties occidentales, dans certains lieux de l’élite éducative, on estime qu’appeler au génocide des juifs relève de la liberté d’expression !
Quel est ce cauchemar ! Quel est cet Occident qui refuse de voir que cette menace le menace !
Quel est ce cauchemar ! Quels sont ces gens qui la main sur le cœur disent qu’Israël a le droit de se défendre mais condamnent Israël dès qu’Israël pourchasse les tueurs de ses enfants ! Quel est cet Occident qui refuse de voir que cette menace le menace ! Quelles sont ces commémorations pour honorer les victimes du Bataclan, alors que le massacre contre le festival Nova n’a été que sa réplique en pire ! Tout ruisselle d’hypocrisie, de pensée fausse, de tartufferie, de fausse bonne conscience !
Que certains aient défilé, à Paris, à Londres ou Barcelone au nom de la liberté, à l’ombre de banderoles affichant un signe = entre la Svastika et l’étoile de David, constitue l’une des grandes abjections symboliques de notre temps.
Ce Chabbat noir annonce d’autres horreurs. Combien de kaddish faudra-t-il encore prononcer ?
Israël est seul à se tenir debout. Les Juifs étaient déjà seuls en 1933 et personne n’a bougé.
L’Occident a les yeux grands fermés pour regarder ce Mal qui recommence.
Ce qui manque à l’Europe c’est Churchill, si elle veut encore vivre libre.