Les Juifs iraniens dans la tourmente

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Par Jacques BENILLOUCHE  © Temps et Contretemps

                      La question vient immédiatement à l’esprit : que font encore les Juifs dans les pays musulmans ou arabes ? Pourtant la création de l’État d’Israël a transformé ceux qui y vivaient depuis des siècles, en sionistes donc en ennemis potentiels, aux yeux des dirigeants musulmans. Ils sont peu nombreux ceux qui sont restés pour des motifs qui les concernent, souvent matériels, parfois sentimentaux car on ne quitte pas son pays natal de bonne grâce. On ne s’explique pas ce que font encore les 1.200 Juifs en Tunisie, les 3.000 au Maroc, les 75 en Égypte, les 50 en Irak, les 40 au Liban, et les 100 au Yémen.

            On a vu comment les Tunisiens ont mis à la porte leur grand écrivain Albert Memmi, en 1956, alors qu’il avait été parmi les rares Juifs à militer pour l’indépendance de la Tunisie. Un Juif est toujours suspect de sionisme.  Mais ceux qui nous préoccupent aujourd’hui sont les quelques 8.000 Juifs iraniens sur les 100.000 qui vivaient avant la révolution. Ce ne sont certainement pas les conditions de vie dans un pays fermé, politiquement instable, religieusement sclérosé, dramatiquement anachronique, qui les poussent à rester. Ils resteront toujours suspects d’être soit des provocateurs sionistes, soit pire, des espions à la solde de «l’entité sioniste». Le rabbin Yקhouda Gerami peut fustiger le Premier ministre israéliens et les דionistes dans un communiqué en hébreu diffusé lors de la journée Al-Quds : «Vous ne représentez pas le judaïsme. Nous condamnons fortement vos actions agressives et nous voulons le dire au monde entier : Il y a une grande différence entre le judaïsme et le sionisme». le pauvre rabbin est à plaindre.

            En écho, le seul parlementaire iranien juif, Siamak Moreh Sedgh, a appelé les Juifs du monde entier à se soulever : «S’opposer à Israël serait une obligation humanitaire et religieuse. L’État juif est la catastrophe du sionisme». Il a par la suite dénoncé «les actes criminels de Tel-Aviv à Gaza que la communauté internationale doit condamner. L’adhésion d’Israël à l’ONU et au Comité international de la Croix-Rouge doit être annulée».

            Ce sont deux citoyens malheureux qui ne sont pas crédibles car ils parlent soit sous la contrainte, soit sous l’emprise d’un zèle télécommandé. Il est clair qu’ils sont instrumentalisés par le régime, qui se veut l’ennemi héréditaire d’Israël. Ils représentent cependant deux autorités sur lesquelles les Juifs peuvent s’appuyer. En tant qu’homme non politique, le Grand rabbin est le seul interlocuteur entre les mollahs et ses ouailles.

            Mais malgré leur position de dhimmis et pour se venger d’Israël, par lâcheté, l’Iran s’attaque à présent aux quelques Juifs qui n’ont pas choisi l’exil mais qui ont de la famille en Israël. Une loi vient d’être votée par le parlement pour transformer les contacts avec les familles en Israël en infraction pénale. La peine, à la discrétion du juge, pourrait aller de six mois à deux ans de prison, 31 à 74 coups de fouet ou 1.200 à 4.800 dollars d’amende.

            En Israël vivent beaucoup d’Iraniens qui ont fait leur alyah au lendemain de la Révolution et qui seront définitivement coupés de leurs familles restées en Iran. La communauté juive était prospère et respectée sous le règne du Shah. Mais après l’arrivée de Khomeny, certains ont été considérés comme complices de l’ancien régime et ont été exécutés. Ils ont été donc nombreux à fuir vers Israël, le Canada et les États-Unis entraînant un traumatisme par suite de la rupture des familles et de la difficulté de réinsertion à l’étranger.

            Les échanges téléphoniques et les appels WhatsApp permettaient aux enfants vivant en Israël de communiquer avec leurs parents. Ils ne pourront plus le faire sans enfreindre la loi et subir les conséquences de cette interdiction. Les lettres vers Israël, qui passaient par des pays tiers, vont se raréfier voire être totalement stoppées. Les fêtes familiales à l’étranger, sous prétexte de vacances en Turquie, sont désormais impossibles.

            Malgré la pandémie du coronavirus et la situation économique écroulée, les Juifs continuent à rester dans une situation difficile, parce qu’ils n’ont peut-être pas de solution d’avenir. Pourtant le régime iranien se targuait d’être contre le sionisme et non contre le judaïsme. Mais cette nouvelle loi affecte les Juifs iraniens vivant en Iran et en Israël ; il est difficile de ne pas la qualifier de loi raciste.

            Les tombeaux d’Esther et de Mardochée à Hamadān restent leur lieu de pèlerinage. La reine Esther, qui a vécu au Ve siècle avant l’ère actuelle, dans ce qui allait devenir l’Iran, est la preuve que les Juifs étaient autrefois installés dans la région sans y être brimés. Les membres de la communauté vieille de 2.700 années, descendent des Juifs qui ont préféré rester dans la région après l’exil à Babylone quand le roi perse Cyrus II, dit Cyrus le Grand, les a autorisés à retourner à Jérusalem pour y reconstruire le temple détruit par Nabuchodonosor. Aujourd’hui, ils ne sont plus que quinze, qui se réunissent tous les samedis dans la synagogue d’Hamadān, à trois cents kilomètres de Téhéran, juste un petit « mynian » pour prier.

            Mais ce n’est pas la première fois que les Juifs d’Iran sont victimes de décrets humiliants leur imposant de vivre dans des habitations plus basses et plus modestes que celles des musulmans, de ne pas porter de beaux habits, voire de mettre des chaussures dépareillées. Mais depuis la Révolution de 1979, ils jouissent de la liberté de culte. En fait, ils sont tolérés, à condition de se montrer discrets et de ne pas protester même quand l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad déclare que «le mythe du massacre des Juifs est une invention occidentale». Ils sont exclus de l’armée et de la fonction publique et sont principalement établis à Téhéran, Ispahan et Chiraz.

            Comment peuvent-ils supporter de vivre dans un pays qui proclame à longueur de journée qu’il est l’ennemi héréditaire d’Israël et dont les chaines de télévision parlent dans leurs émissions des crimes commis par les «sionistes». Les Iraniens les utilisent en fait comme des otages pour se prémunir contre une attaque éventuelle d’Israël visant les installations nucléaires. Ils servent aussi de modèles aux Tunisiens qui ont voulu inscrire dans la Constitution la pénalisation de toute relation avec Israël. Décidemment, les mauvais exemples sont sont qui attirent le plus.

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