Des tensions ont éclaté entre pro-palestiniens et pro-israéliens lors de rassemblements à travers le pays ; Québec a adopté une motion condamnant à l’unanimité l’antisémitisme.
La communauté juive canadienne a connu ces quinze derniers jours un antisémitisme auquel elle n’était pas habituée.
En marge de la guerre qu’a livrée le Hamas à Israël en lançant plus de 4 300 roquettes sur sa population civile, ainsi que des violences internes en Israël entre Juifs et Arabes, les villes canadiennes qui abritent de fortes communautés juives ont été le théâtre d’un déferlement de haine contre leurs membres.
A Toronto, où vivent environ 200 000 Juifs, de violentes manifestations ont eu lieu : des symboles nazis ont été maintes fois affichés et des appels à la mort d’Israël ont été criés dans les rues de la ville.
À Edmonton, capitale de la province canadienne de l’Alberta, des individus ont menacé directement des individus juifs.
À Halifax, dans la province de la Nouvelle-Écosse, un drapeau israélien qui était placé à l’entrée d’une école (avec ceux d’autres pays) a été arraché.
À Winnipeg, une vingtaine de policiers ont fait bloc entre pro-palestiniens et pro-israéliens. Selon le Canadian Press, « quelqu’un du côté pro-palestinien a jeté des bouteilles d’eau vers l’autre côté, et une jeune femme a été frappée à la tête ». À un moment donné, un drapeau israélien a été arraché à un partisan d’Israël et incendié en pleine rue.
À Calgary, des manifestants pro-israéliens ont été battus, selon des informations, relayées par la JTA.
Des images du dictateur nazi Adolf Hitler, flanquées de la phrase « Hitler avait raison » ont inondé les réseaux sociaux – à tel point que le hashtag est devenu populaire sur le réseau Twitter.
This post today, from a #Toronto rabbi, is VERY disturbing. “F’ing Jews, you should’ve been gassed and burned” is what he says he was subjected to while walking with his daughter. pic.twitter.com/eAmRJqDVqY
— Caryn Lieberman (@caryn_lieberman) May 14, 2021
Mais c’est à Montréal où le déferlement de la haine anti Israël et anti Juifs a été le plus marqué.
Le samedi 15 mai, quelque 3 000 personnes répondaient à l’appel de différents groupes (Canadian Palestinians Conference, Centre Al-Imam, Forum Canadien Musulman, Bel Agir, Mouvement Futur Montreal, Centre Assalam, Mosquee Al-Ansar, Centre Communautaire Musulman, Conseil des Imams, Centre Alforquane de Laval, Palestinian Youth Movement et la Fondation canado-palestinienne), pour manifester devant le Consulat israélien à Montréal contre la riposte israélienne aux tirs des groupes terroristes palestiniens du Hamas et du Jihad islamique.
La manifestation était intitulée « Journée de protestation » et elle commémorait également la Nakba, « catastrophe » en arabe, que représente pour les Arabes la création de l’Etat d’Israël.
Quelques médias locaux ont décrit la manifestation comme un évènement paisible mais les propos tenus, ainsi que les pancartes brandies tenaient un langage bien éloigné de tout pacifisme. « Israël = Néo-Nazi », « Comment être un nazi : Discriminer/répandre la haine/Opprimer des innocents. Bravo Israël », « Beau travail Israël, Hitler serait fier »
De même des cris de « Mort à Israël », « Khaybar Khaybar ya Yahud », en référence à une bataille au cours de laquelle le prophète Mahomet et ses armées ont décimé une localité juive en 628, et « Allah UAkbar », « Allah est le plus grand », ont été scandés tout au long du rassemblement.
Le Service de Police de la Ville de Montréal (SPVM), présent sur les lieux, a dû intervenir après que des individus ont tenté de s’en prendre au bâtiment abritant le Consulat d’Israël et une personne a été arrêtée en lien avec le bris d’une fenêtre.
Face à la violence de certains participants, le SPVM a été contraint de procéder à quatre arrestations et à utiliser du gaz lacrymogène afin de disperser la foule pour éviter de plus grands débordements.
Tensions à la manifestation pro-Israel à #Montreal
Un manifestant propalestinien vient de poivrer des manifestants en soutien à Israël. La police l’a menotté illico. #spvm pic.twitter.com/MpNmndp2vP
— Francis Pilon (@FrancisPilon_) May 16, 2021
Le lendemain, le dimanche 16 mai, à l’initiative de quelques membres de la communauté juive, une manifestation de soutien à Israël et à sa population s’est tenue dans le centre-ville de Montréal.
Mais des contre-manifestants anti-Israël leur ont lancé des pierres. Certains ont tenté d’arracher leurs drapeaux israéliens et ont fait preuve d’une violence physique et verbale à l’encontre des manifestants. Les voitures qui avaient accroché un drapeau, comme c’est la coutume, ont également été ciblées. Une fois encore le SPVM est rapidement intervenu pour éviter que des manifestants ne soient attaqués, – certains ayant été poursuivis par les contre manifestants pro palestiniens. Les contre-manifestants s’en sont alors pris aux forces de l’ordre et ont jeté des pierres sur les voitures de police.
Bilan : 15 personnes arrêtées et 76 constats d’infraction donnés par le SPVM aux contre-manifestants.
Selon un reportage de la chaine TVA, la police aurait saisi sur place des couteaux et d’autres armes, de même que des cocktails Molotov.
Là encore quelques médias ont couvert l’incident en diminuant le degré de violence dirigée à l’encontre des pro-Israël, et en laissant supposer que la violence venait des deux côtés. Mais de nombreux reportages amateurs et des photos ont pu rétablir la vérité ainsi que le témoignage d’un journaliste du Journal de Montréal, présent sur les lieux, qui a pu attester des attaques tandis qu’il interviewait les personnes présentes.
Au lendemain de ces événements, une campagne sur les réseaux sociaux a commencé à cibler des Juifs et à les menacer soit nommément soit en tant que communauté.
Dans les quartiers de la ville à forte population juive – comprenant Côte-St-Luc ainsi que Côte-des-Neiges et Outremont – la police a intensifié ses patrouilles et les menaces ont été prises « très au sérieux », a déclaré un porte-parole de la police montréalaise, selon la JTA.
Depuis, les messages haineux et menaçants sur les réseaux sociaux n’ont pas cessé.
Le président d’une association de jeunes financée par la ville de Montréal a été démis de ses fonctions par le conseil municipal après avoir publié des propos haineux à l’endroit des Juifs.
Adil Cherkaoui, un prêcheur islamiste de Montréal, s’en est également pris aux Juifs dans une vidéo, en les accusant de blasphème, de soutien au terrorisme et a écarté les accusations d’antisémitisme qu’il a jugé infondées.
Quelques jours après la publication de cette vidéo, Cherkaoui s’est de nouveau exprimé sur sa page Facebook en dénonçant ce qu’il a appelé le
« lobby sioniste », en nommant et en attaquant personnellement l’organisme de représentation des Fédérations juives du Canada (CIJA), et l’un de ses employés, en accusant les « sionistes » d’être les fauteurs de troubles lors de la manifestation en soutien à la population israélienne, de semer la zizanie, de provoquer les musulmans et de tenter de les stigmatiser.
Cette vidéo a été prise très au sérieux par la communauté juive.
Le samedi 22 mai suivant, alors que le cessez-le-feu avait été conclu entre Israël et le Hamas sous l’égide de l’Égypte, une autre manifestation anti-Israël a eu lieu, de nouveau au pied de l’édifice abritant le Consulat Général d’Israël.
Jugée dangereuse, celle-ci a été déclarée illégale après que des projectiles ont été jetés en direction des policiers et que des fumigènes et feux d’artifice ont été lancés.
Ces évènements inédits à Montréal ont plongé la communauté juive dans la stupeur. Un sentiment d’insécurité s’est installé dans la communauté juive qui n’avait jamais connu de telle violence à son égard – contrairement aux Juifs d’Europe et en France, notamment.
La communauté juive québécoise est une communauté très organisée qui est chapeautée par la Fédération CJA, organisme central pour la philanthropie et les services communautaires.
La communauté juive québécoise est une communauté très organisée qui est chapeautée par la Fédération CJA, organisme central pour la philanthropie et les services communautaires.
« Les dirigeants de notre communauté ont dénoncé haut et fort les incidents haineux de ces derniers jours à leur juste valeur : de l’antisémitisme pur et simple. Rien ne justifie le fait de lancer des pierres et d’agresser des personnes lors d’un rassemblement pacifique. Rien ne justifie que l’on circule en voiture dans des quartiers juifs avec l’intention de terroriser les juifs. Les menaces de mort et les menaces de violence à l’encontre des Juifs dans la rue ou en ligne sont abominables et doivent être condamnées sans équivoque. Quelle que soit votre position sur le conflit israélo-palestinien, les juifs ne sont pas des proies faciles. Nous devons tous faire front commun contre la haine. La haine et l’antisémitisme n’ont aucune place dans notre société, » a déploré Yair Szlak, président de la Fédération CJA.
Le Premier ministre du Canada, Justin Trudeau, s’est dit « profondément troublé par les nouvelles récentes faisant état d’actes antisémites à Montréal et ailleurs [dans le] pays. Cette intimidation et cette violence sont absolument inacceptables et doivent cesser immédiatement. Aucune forme de haine n’a sa place au Canada. »
Le ministre québécois en charge de la lutte contre le racisme, Benoît Charrette, a dénoncé ces actes en rappelant également que l’antisémitisme n’avait pas sa place au Québec. « Révoltant de voir des scènes semblables se produire au Québec. Quand l’antisémitisme gagne les rues et se manifeste de façon violente, nous ne pouvons pas parler de contre-manifestation pacifique. Toutes les formes de racisme sont condamnables et l’antisémitisme en est une, » a-t-il souligné.
« Les actes survenus lors d’une manifestation à Montréal aujourd’hui doivent être condamnés. Unissons-nous contre le racisme, la violence, l’intimidation, l’intolérance et l’antisémitisme. Le Québec est un endroit de tolérance, d’ouverture et de paix, » a déclaré Dominique Anglade, cheffe du parti libéral du Québec.
« Montréal a la réputation bien méritée d’être une ville avec différentes communautés qui vivent ensemble dans la paix et la sécurité. Manifester est un droit, mais l’intolérance, la violence et l’antisémitisme n’ont pas leur place chez nous. Montréal est une ville de paix, » a de son côté rappelé la Mairesse de Montréal, Valérie Plante.
Le 26 mai, les députés de l’Assemblée nationale du Québec ont adopté à l’unanimité une motion condamnant l’antisémitisme dont ont été victimes les Juifs québécois ces dernières semaines. « Que l’Assemblée nationale dénonce fermement les menaces, violences et agressions envers les Québécois de confession juive, lesquelles ont augmenté dans les dernières semaines; Qu’elle réaffirme que, dans une société libre et démocratique, tous peuvent s’y manifester ou exprimer une opinion dans le respect, la sécurité et la dignité; Qu’elle réitère la nécessité de maintenir un débat sain et démocratique concernant le conflit israélo-palestinien; Qu’enfin elle rappelle qu’en tout temps la violence est intolérable envers quiconque. »
« Le Québec vit actuellement la même situation qu’avait commencé́ à connaître la France au début 2000. Depuis le déclenchement du conflit entre le Hamas et Israël, les Juifs québécois font l’objet de menaces de mort, de violences, de jets de pierres et d’actes de violence. Aujourd’hui la classe politique a fait un pas important en affirmant que l’antisémitisme n’a pas sa place au Québec, ce ne sont pas nos valeurs. Nous ne pouvons pas laisser libre le chemin à la normalisation ou la banalisation de l’antisémitisme, » a commenté Eta Yudin auprès du Times of Israël.
Le 27 mai, l’UJA et le CIJA ont rapporté plus de 50 incidents antisémites signalés pour le mois de mai – soit cinq fois la moyenne mensuelle précédente pour 2021. « Cette multiplication par cinq des incidents antisémites signalés dans la région du Grand Toronto est clairement liée aux hostilités récentes et renouvelées entre Israël et le Hamas, et à l’augmentation qui en résulte de l’activisme anti-israélien à travers le Canada, » déplorent les deux organismes dans un communiqué.
Parmi ces incidents figurent : des graffitis haineux ciblant une synagogue et une garderie juive; Un client juif harcelé verbalement et chassé d’un commerce de détail parce qu’il est juif; Un père juif et son jeune enfant harcelés verbalement dans la rue avec des insultes antisémites, y compris des commentaires selon lesquels ils auraient dû être « gazés » et « brûlés »; de faux avis d’expulsion affichés sur les portes de plusieurs foyers juifs, dans le cadre d’une campagne de boycott anti-israélien ; et une famille harcelée verbalement par les occupants d’un véhicule battant un drapeau palestinien, qualifiant la famille de « tueurs de bébés ».
La JTA et l’AFP ont contribué à cet article.
Par MYRIAM AZOGUI-HALBWAX