Invasion de l’Ukraine : les Juifs de Russie toujours nombreux à émigrer en Israël
Retour de l’URSS ?
A la surprise générale, alors qu’Israël se préparait à un énorme flux de Juifs d’Ukraine après l’invasion russe à la fin février, l’État hébreu a enregistré une explosion des arrivées d’immigrants russes. Durant le seul premier semestre de cette année, leur nombre, 16 598, a doublé par rapport à l’ensemble de 2021.
Rembobinage tragique de l’histoire : craignant un retour de la guerre froide, conséquence de la guerre en Ukraine et de l’autocratisme croissant du régime poutinien, plusieurs milliers de Juifs de Russie songent à quitter définitivement leur pays. Leur angoisse ? Se retrouver enfermés derrière un nouveau « rideau de fer » autour de la Russie, comme au temps de l’Union soviétique.
Un nombre croissant de Juifs de Russie craignent de se retrouver enfermés dans leur pays, empêchés d’émigrer en Israël ou vers d’autres cieux plus cléments. Ils redoutent qu’un nouveau « rideau de fer » ne fracture à nouveau l’Europe en deux, comme à l’époque de la guerre froide. Plusieurs milliers d’entre eux ont donc pris les devants en faisant leur « aliyah », leur « montée » en Israël, tandis que d’autres se préparent à quitter le pays. Toute personne ayant au moins un grand-parent juif est en effet éligible à la « loi du retour » en Israël, même si seuls sont ceux nés d’une mère juive y sont considérés comme juifs par les autorités.
Pinchas Goldschmidt, l’ex-grand rabbin de Moscou, ne cache pas son pessimisme. « Il y a aujourd’hui la crainte que le rideau de fer se ferme complètement et qu’un jour il soit impossible de quitter la Russie », a-t-il déclaré. En poste depuis trois décennies, il a quitté son pays après avoir publiquement condamné l’invasion de l’Ukraine. En lançant cette mise en garde, il faisait allusion à l’interdiction d’immigrer de l’URSS dans les années 1960 et 1970 et la lutte des « refuzniks », c’est-à-dire des militants, juifs pour la plupart, qui étaient prêts à prendre le risque de se retrouver en prison ou en hôpital psychiatrique, pour avoir le droit de partir.
Ce traumatisme a poussé certains à sauter le pas tant qu’il en est encore temps. « En Russie, les gens qui partent ne fuient pas la guerre, mais plutôt un régime qui a de plus en plus les apparences d’un régime totalitaire », explique en privé un diplomate israélien. Ainsi, à la surprise générale, alors qu’Israël se préparait à un énorme flux de Juifs d’Ukraine après l’invasion russe à la fin février, l’État hébreu a enregistré une explosion des arrivées d’immigrants russes. Durant le seul premier semestre de cette année, leur nombre, 16 598, a doublé par rapport à l’ensemble de 2021. Du côté des Juifs ukrainiens, 12 000 sont arrivés durant les six premiers mois.
TURBULENCES RUSSO-ISRAÉLIENNES
Sur les 170 000 Juifs de Russie, quelque 30 000 ont également entamé des démarches en vue d’une possible immigration auprès des différents bureaux de l’Agence juive, un organisme israélien semi-gouvernemental chargé de faciliter l’immigration. Signe des temps, Moscou a commencé le mois dernier à mettre de sérieux bâtons dans les roues de l’Agence, en multipliant les exigences bureaucratiques, ce qui ralentit sérieusement les démarches. Le site d’information officiel russe (RIA) a annoncé le 21 juullet que le ministère de la Justice avait engagé une procédure en vue de « dissoudre » les activités de l’Agence Juive en Russie. Les candidats au départ sont également confrontés à une pénurie de vols à destination d’Israël ainsi qu’aux conséquences des sanctions bancaires internationales qui empêchent le transfert des pensions ou des comptes d’épargne.
Pour le moment, les autorités israéliennes semblent faire le gros dos. La priorité est de ne pas donner de prétextes au Kremlin pour durcir son attitude envers les Juifs. Pnina Tamano-Shata, la ministre de l’immigration et de l’intégration, a été la seule à hausser quelque peu le ton. « L’aliyah est un droit fondamental pour les Juifs de Russie et nous ferons en sorte qu’il soit respecté », a-t-elle proclamé. Les responsables de l’Agence juive, en revanche, ont tenté de calmer le jeu.
Mais il n’est pas certain que cette discrétion puisse être longtemps respectée. Les relations entre Israël et la Russie traversent actuellement de sérieuses turbulences. Dans un premier temps, l’État hébreu a adopté une attitude très prudente, pour ne pas mettre en danger la communauté juive. Naftali Bennett, Premier ministre jusqu’à la fin juin, a refusé de condamner de façon claire l’invasion de l’Ukraine. Mais sous la pression du grand allié américain, le nouveau chef du gouvernement Yaïr Lapid a été plus sanguin à l’encontre de Moscou. La réponse ne s’est pas fait attendre.
Vladimir Poutine a répliqué en dénonçant de façon beaucoup plus véhémente les multiples raids de l’aviation ou de drones israéliens en Syrie contre des militaires, et des livraisons d’armes iraniennes au Hezbollah libanais. Moscou, qui soutient le régime syrien de Bachar al-Assad, a exigé l’arrêt de ces attaques « de façon inconditionnelle ». Vladimir Poutine se montre d’autant plus intransigeant qu’il a lancé une offensive de charme vers l’Iran, l’ennemi numéro un d’Israël. Le président russe s’est du reste rendu ces derniers jours à Téhéran, où il a tenté de renforcer l’alliance avec l’Iran qui aimerait voir les militaires russes présents en force en Syrie être beaucoup plus agressifs contre les incursions israéliennes.
Par Julien Lacorie , correspondant en Israël de Marianne