Par Francis MORITZ – Benillouche
L’ex-vice-président d’Obama, candidat à l’élection présidentielle, avait condamné sans appel l’Arabie saoudite et son dirigeant de fait, le prince héritier Mohamed Ben Salman, parias, qu’il punirait comme ils le méritent. Élu, il avait pris diverses mesures très restrictives, provoquant de très fortes tensions entre les deux pays. On était au bord du gouffre diplomatique, proche de la rupture. C’était avant les nouveaux paradigmes créés par l’invasion russe du 24 février. Tel un Fregoli de la politique, sous forte pression du complexe militaro industriel, le président et son entourage ont fait un virage à 180 degrés. Le paria d’hier est subitement devenu un partenaire, un allié précieux à la tête d’un puissant état pétrolier dont on ne peut se passer.
Le Secrétaire d’État Antony Blinken de l’ancienne équipe Obama, assez réservé vis-à-vis d’Israël, faisait une découverte : « L’art de gouverner implique souvent de faire des choix difficiles » déclarait-il. Le président de son côté, affirmait : «Je ne vais pas changer mon point de vue sur les Droits de l’homme, mais en tant que président des États-Unis, mon travail consiste à apporter la paix si je peux. Et c’est ce que je veux essayer de faire ».
Un des critiques des plus catégoriques du royaume enfonçait le clou : «Un objectif primordial qui est plus important que tout autre chose, c’est de battre Poutine… en tant que superpuissance mondiale, il s’agit d’assurer que les États clients (admirons la litote) qui dépendent de notre sécurité sont à nos côtés et font leur part pour assurer l’échec de Poutine».
L’objectif américain devient clair. Il s’agit de transposer dans la région le même modèle qu’en Europe où Washington dirige la manœuvre via l’Otan. Le complexe militaro-industriel américain n’y voit que des avantages, pendant que la popularité du président atteint son niveau le plus bas et que l’inflation galope. En y regardant de plus près on peut aussi constater que Joe Biden fait du Trump sans le dire.
La relance des négociations nucléaires s’avère dans l’immédiat un enlisement sinon bientôt un échec. Il faudra sous peu en tirer toutes les conséquences. Israël est prêt. Le projet d’une Otan du Moyen Orient devient un objectif urgent et prioritaire dont Israël et l’Arabie saoudite seraient les deux principaux piliers. N’importe quel gouvernement israélien se félicitera de pouvoir normaliser ses relations avec Riyad.
Le contact que le président américain aura avec Mahmoud Abbas se limitera à des échanges de pure forme diplomatique. On rappellera que l’administration est favorable à la solution à deux États, qui doit être négociée directement avec Israël, sous entendu «pas avec nous américains». Sur les constructions dans les territoires on connait l’hostilité américaine, rien de nouveau. Lapid, ne peut pas se permettre de prendre des décisions majeures ni de faire des déclarations qui porteraient préjudice à sa campagne. On ne doit donc pas s’attendre à des scoops pendant la visite. C’est de Riyad qu’il faudra attendre du nouveau.
Les sanctions décidées par Trump contre le corps des Gardiens de la révolution n’ont pas été levées. Trump avait rompu les relations avec l’Autorité palestinienne. Biden a maintenu l’ambassade à Jérusalem et n’a pas donne suite à la réouverture d’une mission diplomatique à Jérusalem fermée par Trump. Plutôt réservée vis à vis des accords d’Abraham, l’administration de Biden les a finalement intégrés dans sa stratégie. Le sommet organisé avec plusieurs pays arabes dans le Néguev en a été le point d’orgue.
Dans une tribune dans le Washington post, Biden déclarait : « Mes politiques ont contribué à la réalisation d’un Moyen Orient plus stable et plus sûr au cours des derniers 18 mois » – dont acte. Plus qu’un changement de politique, il s’agit d’un changement de rhétorique. On verra quel accueil sera fait à Biden. MBS n’a pas oublié l’humiliation qu’il a subie et sera très exigeant dans ses demandes. Pour Biden son objectif stratégique est double, obtenir une augmentation très importante de la production pour faire baisser le prix du pétrole sur le marché et obtenir un accord sous une forme à définir, entre Riyad et Jérusalem.
Ce qui pourrait peut-être améliorer les élections de mi-mandat qui s’annoncent périlleuses pour les Démocrates. L’annonce d’un vol direct Tel Aviv-Riyad est peut-être une prémisse. On a par ailleurs constaté une amélioration au plan commercial et économique entre les États-Unis et le royaume, désormais considéré par Washington comme de nouveau ouvert aux investissements américains.
Durant toute la période glaciale qui a suivi l’élection de Biden, MBS a conservé sa vision des relations entre les deux États, malgré l’humiliation subie. Au terme de multiples séances de négociation, c’est la vision de MBS qui a prévalu. Il a mis les États-Unis devant deux options : Les États-Unis pourraient réduire la relation à des échanges purement mercantiles ou pourraient coopérer et s’investir dans de multiples projets d’intérêt commun, face aux défis économiques et sécuritaires à venir. Manifestement, le président Biden a choisi la seconde option. Il n’a pas échappé aux Américains que la Russie n’a pas ménagé ses efforts pour développer ses relations avec le royaume. On aura également noté que MBS s’est toujours abstenu de voter les sanctions. L’Arabie saoudite est très sollicitée pour devenir membre du BRICS sous présidence chinoise. On aura relevé la reprise des relations avec l’autocrate Erdogan. Autant de clignotants que l’administration américaine ne peut ignorer.
Biden aura à régler un dossier qui intéresse directement Jérusalem. Le sort des îlots de Tiran et Sanafi, qui constituent l’accès au port d’Eilat. Ces îlots sont passés de l’Égypte au terme d’anciens traités avec l’empire ottoman, aux Saoudiens qui doivent assurer la liberté de passage conjointement avec une force multinationale de l’Onu. Les Saoudiens ne souhaitent pas le maintien de cette force sur les îlots. Israël, pour des raisons évidentes de sécurité, souhaite que cette force soit stationnée sur la péninsule du Sinaï avec un regard sur le détroit pour en assurer le libre passage. Donc l’Égypte autant qu’Israël sont directement concernés.
Malgré les changements positifs qui ont eu lieu dans les relations arabo-israéliennes, les problèmes de sécurité nécessitent que Riyad et l’Égypte – le pays actuellement en possession des îles – fassent des concessions importantes avant de mettre en œuvre le transfert. L’administration doit veiller à ce que tout accord avec Riyad préserve les accords de sécurité régionaux inscrits dans le traité de paix égypto-israélien. Ces territoires ont été restitués à l’Égypte en 1982, trois ans après la signature du traité de paix historique avec Israël. Pourtant, la communauté internationale continue à surveiller la démilitarisation du Sinaï et la liberté de navigation dans le détroit. En conséquence, du personnel militaire et civil d’une douzaine de pays est stationné dans la péninsule et à Tiran sous les auspices de la Force multinationale et des observateurs (MFO) nouvellement créée.
Quarante ans plus tard, près de 1.700 membres du personnel du MFO, dont environ 700 Américains, continuent de veiller au respect du traité égypto-israélien. Le président égyptien est parvenu à un accord avec l’Arabie saoudite selon lequel la souveraineté sur les îles serait transférée au royaume. L’accord a été approuvé par le parlement égyptien en juin 2017. Une solution aurait été envisagée avant le voyage du président Biden : Riyad pourrait remettre un engagement écrit auprès de Washington pour assurer la liberté de navigation, un arrangement qui satisferait Israël qui veut s’assurer que les îles restent démilitarisées. Le président américain a désormais endossé des habits neufs, ceux de la real politique et des intérêts supérieurs de son pays, point de place pour la morale ou les droits de l’homme.