Quelle drôle d’idée a eu le président Rivlin d’inviter les dirigeants des Etats européens à une séance solennelle à Yad Vashem pour condamner la renaissance, notamment en Europe, de l’antisémitisme. Elle éclaire les illusions des Israéliens et leur méconnaissance de la réalité européenne. Elle met à jour une grave erreur stratégique, même si l’apport politique de cette cérémonie n’est pas négligeable.
L’intention qui inspire cette démarche ne résiste pas en effet à l’épreuve de la réalité.
Rafraichir (à Yad Vashem) la mémoire de la Shoah pour lutter contre l’antisémitisme est inefficace, vu que celle-ci nourrit aujourd’hui l’accusation d’Israël, soupçonné de l’instrumentaliser pour atteindre ses buts politiques de domination et alors même qu’elle est retournée au bénéfice des Palestiniens (Nakba). De même, il est paradoxal d’en appeler aux Européens pour combattre l’antisémitisme alors que c’est en Europe avant tout qu’il fait rage, en Union Européenne dont la Cour suprême discrimine Israël comme aucun Etat ne l’a été.
L’erreur stratégique est double. Tout d’abord, elle inscrit l’antisémitisme contemporain dans la lignée de l’antisémitisme des années 1930, alors qu’il est tout à fait différent. S’il persiste à l’extrême droite classique, il se développe surtout dans les milieux musulmans et au sein de l’extrême gauche post coloniale, dans la mouvance, pourrait-on dire, islamo-communiste. La deuxième erreur concerne le type de la référence morale invoquée pour inviter les Européens à ne pas céder à nouveau aux démons de l’antisémitisme. C’est une référence victimaire et non politique. On exhibe la souffrance juive pour solliciter la fin de la haine. Ce n’est donc pas la souveraineté qui fonderait le statut des Juifs et elle seule qu’il faudrait opposer au nouvel antisémitisme, l’antisionisme ? Cette référence, en effet, dément implicitement à Israël son statut politique de souverain. Elle fonde la souveraineté d’Israël sur une mémoire sacrificielle qui est justement à la racine de la politique odieuse de l’Union européenne envers Israël. Elle est toute incarnée dans la doctrine de midatiout/proportionnalité qui cantonne Israël au statut de campement humanitaire pour réfugiés juifs et pas d’Etat souverain, en lui interdisant d’user de son droit de légitime défense, jugée disproportionnelle par rapport à la nature de pouvoir qu’il représente (un Etat sous caution). Dès que le soldat israélien n’est plus le rescapé des camps en pyjama rayé, il devient monstrueux aux yeux des Européens qui ont promu une mémoire victimaire de la Shoah qui les lave de leur culpabilité mais les autorise à se retourner contre l’Israël souverain.
La reconnaisance européenne de l’Etat d’Israël se fonde ainsi sur la culpabilité envers les Juifs… et les Palestiniens. Elle exige d’Israël une transparence mortifère. Elle blanchit l’antisionisme arabo-musulman, principale source de l’antisémitisme actuel, dans l’idée que le monde arabe n’est pas responsable de la Shoah mais que l’Europe, par contre, l’est envers lui parce qu’elle a lésé les Palestiniens en contribuant à créer l’Etat juif en guise de compensation de sa propre culpabilité. Invoquer la mémoire de la Shoah, c’est donc renforcer encore plus les mythes du nouvel antisémitisme (nakba, occupation, péché originel). Plus la mémoire européenne de la Shoah – et elle n’est pas la mémoire juive – s’affirme pour justifier l’Etat d’Israël, plus le mensonge palestinien s’approfondit et ruine la légitimité politique d’un Israel souverain. Le parcours de certains invités à Yad VaShem, comme Macron, Poutine et le Prince Charles, allant à Ramallalh après Yad Vashem est à ce point de vue très significatif.
Israël paie ici sa défaillance stratégique fondamentale sur le plan symbolique qui découle de l’occultation et même du déni de la mémoire de la liquidation de onze communautés juives du monde arabo-musulman dont les trois tiers de leurs membres sont devenus israéliens et même la majeure partie des Israéliens. La guerre de ce monde là contre Israël est une guerre contre ces Juifs-là et les principales accusations qui la justifient acccusent ces Israéliens qui ont été chassés, violentés et spoliés par l’ensemble des pays arabe sous l’emprise du nationalisme et de l’islamisme. C’est à cette scène-là que le président Rivlin aurait dû convier les dirigeants européens. Mais où celà aurait-il été possible ? Y-a-t-il un musée comme Yad Vashem qui perpétue cette mémoire et qui inscrirait l’Etat d’Israël dans le terreau et l’histoire violente du Moyen Orient ? Les Juifs ont toujours fait partie des peuples originels de ces régions passés sous la férule de l’islam. Les stratégies habituelles d’Israël pour répondre à l’accusation de colonialisme, à la culpabilisation existentielle qui touche les Juifs de toutes parts dans le monde, ne seront pas combattues par la justification permanente et l’exhibition de la victimitude. Pas besoin de l’Europe ! Les Israéliens doivent retrouver en eux la force de la conviction et l’évidence de la souveraineté, un souveraineté historique et politique, non victimaire, pour combattre l’ennemi.