Les divagations de l’universitaire Denis Charbit

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Ah quel beau couple, l’interviewer et l’interviewé ! Commençons par le premier, le psittaciste, rédacteur en chef de Tenoua[1], un certain Antoine Strobel-Dahan. Ses questions sont soient rhétoriques, les réponses y étant incluses, soient tellement imprégnées de la pensée de l’interviewé, que cela illustre parfaitement le phénomène connu sous le nom de « psittacisme ». Comme si l’intervieweur ne faisait que répéter mécaniquement, tel devant un miroir, les propos de l’interviewé. Ne s’apercevant même pas que, ce faisant, il disqualifie ses propres inquiétudes eu égard par exemple à la question « des contre‐pouvoirs ». On ne peut en effet, drapé dans une haute moralité démocratique, faire semblant de s’alarmer du sort des contre‐pouvoirs en Israël, notamment des médias, et en même temps se faire l’esclave de l’interviewé. Pas la moindre objection, le moindre doute. Et ainsi dès la première question le personnage est cerné : il sera carpette et l’interviewé pourra à loisir fouler le doux lainage de ses augustes pieds.

Venons-en au morceau de choix, le procureur Denis Charbit.

Complètement déstabilisé au lendemain du 7 octobre, alors qu’il se trouvait en congé sabbatique aux USA[2], comme tous ceux, et notamment les habitants des Kibboutzim qui se voulaient les porte-voix des revendications falestiniennes en Israël, confortant jusque-là l’idée que le seul obstacle à la paix étaient les velléités colonisatrices de « l’extrême droite », le 7 octobre fut donc un cinglant camouflet pour Charbit et ses semblables, qui se disent de gauche, mais seraient plutôt des autruches refusant de voir la REALITE : les gentils Gazaouis qu’ils accompagnaient dans les hôpitaux israéliens, depuis des années, étaient venus les assassiner dans leurs lits.

Mais depuis, réponses aux multiples sollicitations de média européens obligent, Charbit a eu vite fait de se remettre de ses initiales émotions et de roder son nouveau discours. Nouveau ? Cette fausse « interview » devrait nous permettre d’en être édifié.

LIMOGEAGES

D’entrée de jeu, le ton est donné. Le Charbit déguisé en procureur commence son réquisitoire contre l’accusé Netanyahou : « Il a refusé d’assumer publiquement ses responsabilités (pour le 7 octobre) ».

Mensonge. Netanyahou et ses ministres à maintes reprises ont déclaré qu’ils partageaient une responsabilité politique. Mais le 7 Octobre n‘était pas un événement politique mais une grande tuerie de Juifs, minutieusement préparée depuis des années, dont les signes précurseurs anciens et récents étaient légion, lesquels ne furent pris en compte ni par les Renseignements du Shin Bet, ni par les Renseignements militaires (Aman). Or dans le monde entier, en prévision d’une guerre, il revient aux Renseignements de renseigner l’Etat Major de l’armée et la direction politique. Et force est de constater qu’à 4h30 Ronen Bar, pourtant désormais conscient qu’une attaque de grande ampleur est sur le point d’être déclenchée, ne réveillera ni le Premier Ministre, ni son ministre de la Défense, n’alertera pas non plus les chefs des communautés de la périphérie de Gaza, et n’avertira le secrétaire militaire de Netanyahou que quelques minutes avant le début de l’assaut.

Dans la nuit du 7 Octobre, le chef du Shin Bet, envoie un commando (Tequila) dans le Néguev, pour notamment en exfiltrer deux de ses éléments, mais sans déclencher l’alerte qui aurait permis de sauver les 3000 jeunes de la fête Nova, et de contrer l’attaque massive du ‘Hamas dont les chefs retardèrent l’attaque croyant même à une ruse de Tsahal ! Quant au chef de l’Aman, Aharon Haliva, réveillé à deux reprises, alors qu’il se trouvait dans un hôtel d’Eilat, il préfèra rester dans son lit !

Sans parler du fait que le plan du ‘Hamas « Murs de Jéricho » pour conquérir les localités israéliennes et les bases de Tsahal, rédigé en octobre 2021, est resté dans un tiroir du Shin Bet et qu’il ne fut communiqué ni au chef d’Etat major ni au Premier ministre, ni à son ministre de la Défense… Les signes précurseurs, il y en eut des dizaines et, à ce stade, on a du mal à refouler l’idée d’une trahison, visant peut-être à faire tomber un gouvernement et son Premier ministre… Hypothèse qui n’a rien d’une théorie du complot, lorsque l’on connait les liens familiaux et amicaux, révélés récemment, de Ronen Bar avec la conseillère juridique du gouvernement Gali Baharav-Miara, qui considère que sa mission est d’empêcher l’application d’une politique de droite pour laquelle le peuple a voté, et avec l’égérie du mouvement contre la Réforme judiciaire, Shikma Bressler dont le mari[3] était (est ?) un ancien employé du Shin Bet.

Dans tous les pays du monde en guerre, la justice militaire aurait illico envoyé en prison ces deux chefs du « Renseignement » en attendant d’instruire leur procès. Car en temps de guerre, et contrairement à ce qu’avance Monsieur Je-sais-tout, « le haut de la pyramide » ce sont les Renseignements et l’armée, et non les politiques, ceux-ci ne pouvant que réagir à ce qui se passe sur les champs de bataille.

La Cour Suprême, pourtant hyperactive quand il s’agit de contrer le gouvernement, est restée bizarrement aphasique, à tel point qu’un collectif des familles des 300 victimes du festival de musique Nova vient de commencer une grève de la faim devant la Knesset et le bureau du Premier ministre à Jérusalem, afin d’exiger le licenciement immédiat du directeur du Shin Bet, Ronen Bar, qu’elles tiennent pour responsable du massacre de leurs enfants. De plus, elles appellent à la création d’un organisme d’investigation indépendant, totalement transparent, incluant des représentants des familles endeuillées, qui ne soit ni nommé par l’État ni dirigé par la Cour suprême, doté d’une pleine autorité d’enquête et d’une totale liberté d’en rendre publics les résultats. « Compter sur un mécanisme d’enquête dirigé par ceux qui sont eux-mêmes responsables de ces échecs est se moquer de la mémoire de nos enfants », ont déclaré ces familles.

Mais pour le procureur Charbit, l’accusé c’est Netanyahou. Comme dans les procès staliniens, faute de preuves, on les fabrique et à l’accusé l’accusateur prête des intentions de son propre crû.

« Il est prévisible qu’il dissoudra le Parlement s’il est convaincu que la guerre est perçue comme une victoire et qu’il peut compter sur sa réélection. Faute d’en être certain, il n’annonce pas les élections… »

Là, l’Oracle-Procurateur ne se fait-il pas la caisse de résonnance de cette « gauche » à laquelle il appartient : le Premier ministre ferait la guerre « pour des raisons personnelles et politiques ». Le danger ‘Hamas aurait-il disparu ? Ses troupes se seraient-elles rendues ? Gaza serait-elle pacifiée ? N’y aurait-il vraiment plus de raison de faire la guerre ? De plus, élu avec un excellent score pour un mandat de quatre années, et alors que tous les plus récents sondages[4] le désignent comme le plus apte à cette fonction, pourquoi donc faudrait-il que Netanyahou anticipe des élections ? Pour les caprices d’excités qui s’égosillent hebdomadairement, parmi lesquels un professeur d’une « Université ouverte » ?

« Cela a pour effet d’avancer un autre critère pour désigner leurs successeurs : ils ne sont plus désignés en fonction de leur état de service, de leur compétence et de leur vision de la mission de l’organisme de sécurité dont il brigue le leadership, mais en fonction de leur loyauté personnelle envers la personne du Premier ministre ».

Déduction plus que tendancieuse ! Nous verrons ce qu’il en est du « professionalisme » du haut fonctionnaire en question, en l’occurrence Ronen Bar… Mais même si ce dernier était blanc comme neige, et que le Premier ministre était allergique à cette couleur, qui devrait partir ? Un Premier ministre élu ou un fonctionnaire désigné ? Donnons la parole à ceux qui ont participé à l’adoption de la loi concernant la fin du mandat du chef du Shin Bet[5].

D’abord Meni Mazuz, alors procureur général adjoint (et plus tard procureur général et juge à la Cour suprême) : « J’étais alors membre du comité mixte de la commission des affaires étrangères et de la défense et de la commission de la constitution, du droit et de la justice qui a été créé pour traiter de la loi Shin Bet, qui a été discutée entre 1998 et 2002, sous trois gouvernements, (et j’ai) recommandé aux députés de la Knesset de ne pas prévoir dans la loi de motifs spécifiques pour la révocation du chef du Shin Bet, car le principe directeur qui devrait être inscrit dans la loi est qu’un chef de service ne peut exercer ses fonctions sans la confiance du gouvernement. Tous les membres de la commission ont accepté sa position, et la LOI l’a ainsi formulé sans la moindre atténuation, ou relativisation : « Le gouvernement peut mettre fin au mandat du chef de service avant la fin de son mandat. » (l’article 3(c) de la loi).

Ensuite, Haïm Ramon, ministre de la Justice dans plusieurs gouvernements, qui participa aux travaux de la commission de la Knesset chargée de la promulgation de la loi sur le Shin Bet, raconte comment les membres de la Knesset, ainsi que le conseiller juridique du gouvernement, étaient du même avis : le gouvernement pouvait révoquer le chef du Shin Bet dans n’importe quelle situation, lequel ne pouvait pas exercer ses fonctions s’il ne bénéficiait plus de la confiance du gouvernement.

Face au Shin Bet de l’époque, opposé à cette loi, parce qu’elle « créait une dépendance du chef du service dans sa fonction vis-à-vis du Premier ministre. », le député Tommy Lapid, (qui était d’une autre trempe que son guignol de fils actuel, chef de l’opposition), avait répondu avec fermeté au chef adjoint du Shin Bet : « Il est impossible que le gouvernement israélien n’ait pas l’autorité de le limoger. ».

Le professeur Charbit de l’université « ouverte » de Raanana (dont on ne connait pas trop la spécialité : histoire des idées ? Histoire du temps présent ?) n’est-il pas pris en flagrant délit de méconnaissance (volontaire ?) lorsqu’il affirme doctement « Une autorité professionnelle doit être capable de résister aux pressions du gouvernement, quand celui‐ci lui ordonne de remplir des tâches contraires à l’intérêt supérieur de l’État et au cadre de sa mission » ?

Pourquoi alors tenter un bras de fer en sollicitant la Cour suprême, puisque selon la LOI, il revient au Premier Ministre de choisir et non l’inverse, auquel cas nous serions officiellement une République bananière… ? Mais, au fait, une issue bananière aux conflits politiques pouvoir/opposition, ne serait-elle pas en train de trottiner dans les crânes de certains ? Honni soit qui mal y pense…

Car non content d’avoir par son silence causé la mort de plus de 1200 personnes dont 300 soldats, le 7 Octobre, et hormis le fait que quelques jours avant il donnait une preuve de son talent de fin limier : « Le Hamas ne veut pas d’affrontement, plus de concessions doivent être accordées à Gaza »[6], ne voilà-t-il pas que Ronen Bar abuse grossièrement des pouvoirs que l’Etat lui a confiés, notamment en transformant les « Renseignements » en une police politique, genre Stasi ?

Combien de gens savent-ils que le Shin Bet a un « département juif » (de fait, anti-juif) dont les agents vont bien au-delà de la mission qui leur a été attribuée : traquer « les Jeunes des Collines », ces jeunes Juifs de Judée Samarie qui n’hésitent pas à retourner aux Arabes la violence que ces derniers prodiguent. Dans un enregistrement ne peut-on entendre un agent du Shin Bet dire : « Nous arrêtons ces shmocks même sans preuves pendant quelques jours. » !

N’est-ce pas le Shin Bet qui a interrogé le rabbin Elitzur, sans aucun mandat, en lui refusant un avocat, en le menaçant, puis qui a fait pression sur le commandant adjoint de la police de Judée et Samarie, Avishai Muallem, le pressant d’arrêter le rabbin et ce malgré le fait que Muallem lui ait objecté qu’il n’y avait aucune preuve que ce rabbin, directeur de la Yechivath ‘Od Yossef ‘hai, ait commis un quelconque délit. Témoignage irréfragable puisque les enregistrements de la conversation ont été rendus publics.

Elad Gavian, un jeune réalisateur de film, ne vient-il pas de témoigner devant les caméras de la chaine publique Kan qu’il avait été manipulé pendant un an et demi par le Shin Bet, pour produire des images contre la droite ?

Dans un pays où le Shin Bet a déjà été impliqué dans le meurtre du Premier Ministre Rabin (les résultats de l’enquête n’ayant jamais été rendus publics), comment interpréter le laxisme du Shin Bet permettant à des manifestants de se livrer à de multiples violences à quelques mètres du domicile du Premier ministre Netanyahou à Jérusalem, et même à des jets de grenades lacrymogènes contre sa résidence à Césarée ? [7]

Pour éviter tout conflit d’intérêt, Ronen Bar n’aurait-il pas dû en 2023 mentionner que les parents de sa femme finançaient les manifestations contre le gouvernement de droite, et en toute logique démissionner d’un poste qui exclut tout engagement politique dans un sens ou dans un autre ?

Enfin, que dire encore de l’arrestation récente d’un agent du Shin Bet pour avoir révélé une tentative de Ronen Bar de nuire au ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, en « démontrant » que l’extrême droite prenait le contrôle de la police israélienne[8]. « Le chef du Shin Bet agit comme s’il disposait d’une organisation de renseignement privée capable de mener une chasse aux informations politiques », telle a été la réaction du ministre de la Justice Yariv Levin. Ceci pour le fond. Et pour la forme, une entorse à la LOI puisque toute enquête secrète sur un membre du gouvernement doit recevoir l’accord explicite du Premier ministre et de la conseillère juridique du gouvernement.

Nous arrêtons là la liste des méfaits de Ronen Bar qui ne manquera pas de s’allonger lorsque les bouches n’auront plus peur de s’ouvrir… Mais ils sont déjà suffisamment accablants pour que son limogeage soit entièrement légitime. Le bras de fer avec le « deep state » dont il est l’un des piliers est d’ores et déjà entamé.

Sa victoire équivaudrait à un Coup d’Etat. L’Etat de droit israélien, déjà bien malmené par la Cour suprême et la Conseillère du gouvernement, devrait pouvoir résister et vaincre, car un coup d’Etat réussi signifierait la fin d’Israël.

Fin de la 1ère partie.

Jean-Pierre Lledo, cinéaste, essayiste

Pris de Mabatim

[1] https://tenoua.org/2025/04/17/si-israel-cesse-detre-un-etat-de-droit-la-diaspora-doit-assumer-pleinement-son-role/. Le droit de réponse à un texte d’intellectuels israéliens, ayant été refusé par Tenoua en Janvier 2024 à Ziva Postec et Jean-Pierre Lledo (deux cinéastes israéliens le constatent, les idiots utiles, ça existe aussi en Israël), je n’essaierai pas une seconde fois, de solliciter le droit de réponse.

[2] Entretien par zoom avec Claude Grundman-Brightman présidente du Campus francophone de Netanya.

[3] Malgré son immunité parlementaire, la députée Tali Gottlieb fait l’objet d’une enquête criminelle pour l’avoir révélé…

[4] Le nouveau sondage réalisé par le Direct Polls donne 51% à Netanyahou contre 17% à Gantz, 22 % à Yaïr Lapid, et 23 % à Lieberman…

[5] Propos de Meni Mazuz et de Haïm Ramon consignés dans les Archives de la Knesseth et reproduits par le site israélien d’information, MAKARA.

[6] Chaine 12, Amit Ségal.

[7] Lors d’une perquisition, la police a découvert tout un arsenal au domicile d’Eyal Yaffé, un des leaders du mouvement de protestation contre le gouvernement, affilié à l’organisation des  »combattants de Kippour 73 » : un fusil Kalachnikov, un fusil carabine, une grenade assourdissante expirée, des chargeurs et des centaines de balles !!!

[8] Révélation par le journaliste d’investigation de la Chaine 12, Amit Segal, d’un document signé par Ronen Bar le 26 septembre 2024 : « Nous devons continuer à recueillir des preuves et des témoignages concernant l’implication de personnalités politiques dans les activités des forces de l’ordre, notamment en ce qui concerne l’exercice illégal de leurs fonctions, et parvenir à plusieurs conclusions ».

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