Manfred Gerstenfeld
Créer un écran de fumée est une activité très répandue, à la fois dans les milieux politique et en société. Pourtant, on y voit surtout l’expression d’une hypocrisie individuelle, plutôt qu’on ne cherche à l’analyser comme un phénomène systématique. Faire écran de fumée en prétendant démontrer son amitié envers Israël est un acte qui survient fréquemment. Les prétentions de ce genre d’individus sont, au mieux, partiellement vraies. Quelques exemples l’illustreront.
Bernie Sanders, Juif Américain candidat à la Présidence américaine, est un enfumeur de première classe. Sanders prétend être 100% pro-israélien et affiche qu’Israël a tous les droits du monde d’exister en paix et en sécurité et à ne plus faire l’objet d’attaques terroristes. Il proclame aussi que les Etats-Unis doivent être encore plus impartiaux dans la manière dont ils abordent le conflit palestino-israélien[1]. Il n’explique jamais clairement que ce qu’il suggère implique de détourner les yeux du génocide promu par le Hamas, le mouvement palestinien le plus représentatif, et des attentats palestiniens soutenus par des récompenses financières émanant de l’Autorité Palestinienne.
Sanders a aussi déclaré : “Ce n’est pas antisémite que de critiquer Israël pour avoir élu un partisan de (l’extrême-)droite comme Netanyahou[2]“. Il a, en outre, fustigé le gouvernement de Netanyahou en le classant comme “raciste[3]“. Pourtant, Sanders ne souligne jamais le racisme qui gangrène de larges segments de la société palestinienne. Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, est un raciste extrémiste. Il a promis qu’il n’y aurait jamais aucun Israélien en “Palestine”, en disant : “Dans toute résolution finale, nous ne tolérerons pas la présence d’un seul Israélien – qu’il soit civil ou militaire – sur nos terres[4]“.
Sanders a déclaré que les Palestiniens méritent d’être traités avec “dignité et respect[5]“. Mais, il n’a pas expliqué comment des gens qui sont à 93% antisémites, selon l’étude globale de la Ligue contre la Diffamation, méritent dignité et respect[6]. L’écran de fumée tendu par le faux ami d’Israël Sanders requiert un article à part entière.
Son prédécesseur, Barack Obama est un autre épandeur d’écran de fumée sous forme de déclarations d’amitiés envers Israël. Alors qu’il était encore Président des Etats-Unis, il s’est rendu en visite en Israël en mars 2013. Il s’est exprimé devant la Convention du Centre de Jérusalem, en disant : “J’amène avec moi le soutien du peuple américain, et l’amitié qui nous lie les uns envers les autres”. Obama a ajouté : “En tant que Président d’un pays que vous pouvez compter comme votre plus grand ami, je suis confiant dans le fait que vous puissiez nous aider à accomplir la promesse dans les temps à venir[7]“.
La déclaration d’amitié envers Israël utilisée en tant qu’écran de fumée est souvent accompagnée d’autres formes de manipulations. Dans ce fameux discours de Jérusalem, Obama a aussi menti. Il a déclaré : ” Mais alors que je sais pertinemment que vous avez eu des divergences avec l’Autorité Palestinienne, je suis persuadé que vous avez en face de vous un réel partenaire en la personne du Président Abbas et du Premier Ministre Fayyad. Au cours de ces dernières années, il ont bâti des institutions et maintenu la sécurité sur la rive occidentale du Jourdain, d’une manière que peu auraient imaginé, il y a tout juste une décennie. Il y a tant de Palestiniens – surtout parmi les jeunes – qui ont rejeté la violence en tant que moyen d’atteindre l’accomplissement de leurs aspirations[8]“. A peine quelques mois plus tard, Abbas limogeait Abbas avec pertes et fracas ( NDLR : pour cause de réformisme anti-corruption).
Déjà en 1992, Daniel Pipes avait identifié plusieurs faux-amis d’Israël aux Etats-Unis. Il s’était particulièrement focalisé sur George Ball, un ancien sous-secrétaire d’Etat. Une des formules qu’il avait employées consistait à dire : “Contribuer à sauver Israël en dépit de lui-même[9]“.
En 2008, le premier Ministre israélien Ehud Olmert et Abbas ont débattu d’un éventuel accord de paix. Le négociateur-en-chef palestinien, Saeb Erakat, qui était présent durant les négociations avait dit à la TV de l’AP qu’Olmert acceptait toutes les exigences de l’AP. Il avait même offert à Abbas un peu plus que la totalité de la zone de la rive Ouest du Jourdain (Judée-Samarie). Erekat a dit avoir conseillé à Abbas d’accepter cette proposition généreuse[10]. Pourtant, Abbas l’a bel et bien refusée.
En décembre 2016, Obama a décidé que les Etats-Unis s’abstiendrait de voter , lors d’une motion essentielle contre Israël au Conseil de Sécurité de l’ONU. Cette proposition exigeait une halte immédiate à toute construction dans les implantations de Judée-Samarie (la rive ouest du Jourdain) et de l’Est de Jérusalem. Obama a ainsi permis à cette mesure d’être votée. Il s’agissait de l’un des derniers actes en tant que Président. Donald Trump avait déjà été élu Président et devait être intronisé à peine quelques semaines plus tard[11]. Trump avait clairement fait savoir qu’il s’opposait à la résolution et avait notifié la Maison Blanche à ce propos[12].
L’expert judiciaire américain Alan Dershowitz a déclaré que l’ancien président lui avait dit qu’il soutiendrait toujours Israël et que pourtant, il pense qu’Obama a (en cette occasion au moins) poignardé l’Etat Juif dans le dos. Il ajoutait : La décision du Président Obama, en voie de quitter sa fonction, de permettre aux Nations-Unies de condamner Israël à cause de son “occupation du Mur Occidental”(Kotel), l’endroit le plus saint du Judaïsme, du Quartier Juif, de l’Université Hébraïque, de la route menant à l’hôpital Hadassah, était abominable[13]“.
Lorsqu’on se penche sur l’Europe pour y trouver des propagateurs d’écrans de fumée, clamant leur amitié envers Israël, on doit tout d’abord se focaliser sur les politiciens allemands. Au regard du génocide de six millions de Juifs, durant la génération de leurs grands-parents, plusieurs leaders allemands considèrent qu’ils ne peuvent aisément exprimer des opinions négatives sur Israël. Il faudrait rédiger un article complet au sujet des écrans de fumée propagés par les Allemands, qui comprendrait bien plus de personnalités dominantes. Certains hommes politiques ressentent le besoin de prétendre que l’Allemagne serait presque une amie inconditionnelle d’Israël. La chancelière allemande Angela Merkel, une Démocrate-Chrétienne, a même déclaré que la sécurité d’Israël ferait partie intégrante de l’ethos nationale allemande[14].
On est très loin de la réalité. En tant que chef du gouvernement allemand, Merkel dirige la fabrique politique et la chaîne de décision de l’Allemagne. Le quotidien allemand Bild a souligné que l’Allemagne fait régulièrement cause commune avec les pires ennemis d’Israël aux Nations Unies. En novembre 2018, parmi 21 résolutions de l’Assemblée contre Israël, l’Allemagne en a soutenues 16, alors qu’elle s’est simplement abstenu pour 4 autres[15] [16].
Merkel sert aussi d’écran de fumée pour tout ce qui concerne la lutte contre l’antisémitisme. Ainsi, en dépit de l’antisémitisme déjà existant au sein de la droite comme de l’extrémisme de gauche en Allemagne, Merkel a accueilli à bras ouvert plus d’un million de réfugiés depuis 2015 – dont la plupart d’entre eux en provenance du monde arabe[17]. Le pourcentage d’antisémites parmi ces migrants est bien plus élevé que chez le reste de la population autochtone.
On trouve probablement bien plus de pratiquants de l’enfumage jurant leur amitié envers Israël au sein de l’autre parti de gouvernement, chez les socialistes (SPD). Le Ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas représente un exemple très actuel. Il a souvent dit qu’Auschwitz lui avait inspiré d’entrer en politique[18]. Pourtant, les très nombreux votes allemands contre Israël à l’Assemblée Générale de l’ONU ont BIEN lieu sous son égide.
Le rav Abraham Cooper, doyen associé du Centre Simon Wiesenthal, a attaqué de plein front le comportement de Maas : “Avant qu’il n’invoque à nouveau Auschwitz, il ferait mieux d’y retourner et relire l’histoire. Nous attendons bien mieux de la part du Ministre des Affaires étrangères Maas. Malheureusement, on ne le retrouve que du mauvais côté de la barrière, en ce qui concerne les menaces existentielles auxquelles Israël est confronté quotidiennement[19]“.
Cooper ajoutait : “Avec tout le respect qu’on lui doit, il est temps pour le Ministre des Affaires étrangères d’Allemagne de laisser tomber son affirmation selon laquelle ce seraient les leçons tirées d’Auschwitz qui l’auraient propulsé dans la vie publique. Clairement, il n’a pas appliqué la moindre de ces leçons à la situation actuelle. Plutôt que d’affaiblir le régime tyrannique et génocidaire à Téhéran, il fait tout son possible pour renforcer l’Iran. Ses instructions à l’Ambassadeur allemand à l’ONU ne sont pas celles d’un ami de l’Etat Juif[20]“.
L’image en “miroir” ou phénomène inversé existe aussi. Certains dirigeants israéliens commettent l’énorme bourde d’appeler “amis” des fabricants d’écran de fumée. Le président Reuven Rivlin a désigné le Président socialiste allemand President Frank-Walter Steinmeier comme un “véritable ami d’Israël” au cours de sa visite en Israël en 2017[21]. Alors qu’il occupait le poste de Ministre des Affaires étrangères, Steinmeier s’est rendu responsable d’une avalanche de condamnations allemandes d’Israël à l’ONU.
Le journal conclut : “La boussole morale qui devrait guider les paroles d’un Président de la République allemande s’est, dans ce cas, gravement affolée[22]“. Pour mettre encore un peu plus en perspective ces félicitations au régime iranien : quand Donald Trump a été élu Président des Etats-Unis, en novembre 2016, Steinmeier, alors ministre des affaires étrangères, a explicitement déclaré qu’il ne le féliciterait pas[23]“.
Le terme “d’ami” ne devrait même pas être d’usage, par des dirigeants israéliens, lorsqu’ils veulent exprimer de fausses louanges pour des gens qui sont bien loin d’être amicaux envers Israël. Quand Shimon Peres, alors Président de l’Etat d’Israël, s’était rendu en visite en Norvège en 2014, il avait déclaré de façon absurde : “La Norvège est la perle de l’humanité, fondée sur les valeurs humaines et elle cherche constamment à garantir l’égalité et la liberté des peuples[24]“.
Un rapport a été publié en 2012, par le Centre Norvégien d’Etudes de la Shoah et des Minorités Religieuses. Le gouvernement en était le commanditaire et financeur. Cette étude a découvert que 38% des Norvégiens pensent qu’Israël agit envers les Palestiniens comme les Nazis se sont comportés envers les Juifs[25]. La minuscule communauté juive norvégienne – à peine 2000 personnes – a souffert d’un antisémitisme substantiel dans ce pays, qu’on prétend avoir été “fondé sur des valeurs humaines[26]“.
Créer un écran de fumée, en général, en tant qu’aspect du comportement des Politiciens mérite une étude approfondie dans le cadre de la recherche en sciences politiques.
Par Manfred Gerstenfeld