Il est très difficile de parler d’autre chose dans un contexte où la France vient de vivre les plus graves journées d’émeute qu’elle ait connu depuis des décennies.
La situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays est le résultat des politiques suivies par les dirigeants qui s’y sont succédés au pouvoir depuis cinquante ans. Elle est aussi le résultat des discours anesthésiants et nocifs disséminés par les grands médias. Elle est le résultat d’une déliquescence de toutes les institutions du pays, je l’ai déjà dit. Mais derrière tout cela, en arrière fond, il y a un travail de sape et de destruction mené par la gauche, et sur ce plan, la gauche en France n’est pas différente de la gauche ailleurs sur la planète. Je n’ai cessé depuis que j’ai atteint l’âge adulte d’être confronté à la nocivité de la gauche. J’ai combattu cette nocivité. Je l’ai subie. Je l’ai analysée. Je dis que la nocivité de la gauche doit être regardée en face. Il y a en elle une détestation de la civilisation occidentale et de ses accomplissements, et une volonté de détruire qu’il faut expliquer.
Dans La société ouverte et ses ennemis, Karl Popper fournit des éléments de compréhension : les sociétés du monde, dit-il, ont longtemps été des sociétés fermées dans lesquelles les détenteurs d’un dogme absolu avaient les pleins pouvoirs. L’émergence de revendications de liberté, de droits et l’irruption de la connaissance, autrement dit, l’énonciation d’assertions vérifiables et réfutables, a ébranlé les dogmes absolus, la position de leurs détenteurs, et la possibilité pour eux d’exercer les pleins pouvoirs. L’économie de marché, qui repose sur des contrats volontaires, la liberté de choix économique et politique, la démocratie qui est la liberté de pouvoir choisir en connaissance de cause un programme et ceux qui le portent, tout ce qui, en somme, fait les sociétés ouvertes ne pouvait qu’être insupportable aux détenteurs susdits. Ils ont dès lors clamé que l’avancée vers ce qui a fait le monde occidental moderne allait mal finir. Ils ont créé des mouvements cherchant à arrêter ou à briser cette évolution. Ils ont parlé d’apocalypse, puis de grand soir, et enfin de révolution et se sont donné pour tâche de hâter la venue de l’apocalypse, de faire advenir le grand soir, de préparer et déclencher la révolution. Ils ont voulu prendre le pouvoir. Ils y sont, hélas, parfois parvenu. Quand ils y sont parvenus pleinement et ont pris en main toute une société, ils ont imposé pleinement le dogme dont ils étaient porteurs, recréé des sociétés fermées, et ont éliminé ceux qui n’adhéraient pas au dogme ou ceux dont l’existence était incompatible avec le dogme. Les sociétés fermées qu’ils ont recréées ont été les sociétés totalitaires (Allemagne nazie, Italie fasciste, Union soviétique léniniste, etc.). Dans les sociétés qu’ils n’ont pas pleinement pris en main, ils se sont employés à détériorer aux fins d’obtenir un effondrement. L’explication donnée par Karl Popper est pertinente.
Son explication n’est pas très éloignée de celle donnée par Joseph Schumpeter dans Capitalisme, Socialisme et Démocratie. Schumpeter y parle des intellectuels et de l’hostilité, explicite ou implicite, de nombre d’entre eux au capitalisme et à la démocratie et les intellectuels dont il parle sont en fait les détenteurs de dogmes absolus dont parle Popper. Le capitalisme et la démocratie font perdre aux intellectuels le pouvoir qui à leurs yeux doit leur revenir. Et Schumpeter dit que les intellectuels ont créé tous les dogmes socialistes, qui leur offrent tous la perspective de remodeler les sociétés en détériorant plus ou moins gravement capitalisme et démocratie, voire en prétendant abolir capitalisme et démocratie. Tous les socialismes, dit Schumpeter, sont idéocratiques et impliquent de détériorer ou d’abolir la liberté d’entreprendre, la liberté de choix, et de placer les intellectuels détenteurs du dogme en position de régir. Toute avancée vers le socialisme implique pour les socialistes de mener le travail de détérioration qui ébranle capitalisme et démocratie. Schumpeter était très pessimiste et pensait que les intellectuels vecteurs des dogmes socialistes finiraient par l’emporter.
Friedrich Hayek, qui m’a beaucoup appris, et dont j’ai traduit avec des amis, et fait publier deux livres en langue française (La Constitution de la liberté et La présomption fatale), a des analyses proches de celles de Schumpeter. Il décrit l’économie de marché, les sociétés de droit et les sociétés où existe une démocratie soumise au droit (et globalement ce sont les sociétés que Karl Popper appelle sociétés ouvertes) comme fonctionnant dans le respect de ce qu’il appelle l’ordre spontané, un ordre qui repose sur les millions de transactions auxquels les êtres humains procèdent à chaque instant sans que quiconque définisse et impose cet ordre, et il dit que le socialisme quel qu’il soit oppose à l’ordre spontané un ordre construit, reposant sur des dogmes élaborés ou charriés par qui veulent imposer ces dogmes. Il ajoute qu’imposer un ordre construit détruit les sociétés où les adeptes de l’ordre construit accèdent au pouvoir, et que plus les adeptes de l’ordre construit parviennent à imposer, plus les destructions sont importantes. Il ajoute que les adeptes de l’ordre construit tentent de prendre le pouvoir dans tous les domaines au sein desquels ils peuvent s’insérer aux fins d’y mener une action liberticide. Il explique cela dans le livre qui l’a fait connaitre, La route de la servitude, et il y revient dans La présomption fatale, son dernier livre. Il m’avait confié, la seule fois où je l’ai rencontré, en 1989 à Fribourg en Brisgau, trois ans avant sa mort, qu’il était très pessimiste pour les sociétés européennes, et qu’il restait optimiste pour les Etats-Unis. Je partageais à l’époque son pessimisme pour les sociétés européennes et son optimisme pour les Etats-Unis.