Les électeurs de droite sidérés et désorientés

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Par Hugues Maillot – Illustration : Jordan Bardella

TÉMOIGNAGES – Qu’ils aient voté pour LR ou pour le RN, les électeurs de droite ont été stupéfaits par les résultats du second tour des législatives. Ils partagent leur inquiétude, et même, pour certains, leur désir de quitter le pays.

Personne, ou presque, ne l’avait vu venir. Alors que sondeurs et médias s’étaient lancés depuis une semaine dans des comptes d’apothicaire pour prévoir dans quelle proportion le Rassemblement national obtiendrait une majorité, c’est finalement le Nouveau Front populaire (NFP), qui a raflé la mise. Avec 184 sièges obtenus à l’Assemblée, la coalition de gauche est devenue la première force de l’hémicycle, devant le camp présidentiel (166 sièges) et le RN (143 sièges). Ce résultat inattendu a provisoirement uni dans la stupeur, à défaut des urnes, les électeurs de droite traditionnelle comme nationaliste. Dès l’annonce des résultats, à 20 heures, la «frustration» et la «sidération», voire «le désarroi» ou même le «désespoir» se sont imposés d’une seule voix.

Cet état d’esprit a même contraint certains électeurs à envisager des choix radicaux. « J’ai à l’idée de quitter la France et de rejoindre Israël à la suite de ce résultat catastrophique », confie Yoann, français de confession juive, qui vote LR depuis plus de dix ans mais a glissé un bulletin RN dans l’urne lors des législatives, pour «contrer le NFP et LFI », qu’il juge «antisémite». « Le résultat me pousse pour la première fois à considérer sérieusement un départ de France », souffle aussi Jean-Baptiste, électeur Reconquête! qui travaille dans la finance de marché et pourrait saisir l’opportunité de partir en Espagne.

Un résultat jugé « antidémocratique »

Car passée la sidération des résultats, une certaine forme de colère a pris le dessus. « Je ne pense pas qu’il soit normal qu’une multitude de partis perdants puissent finalement l’emporter sur le parti majoritaire par le biais d’une alliance seulement motivée par le rejet de l’extrême droite », déplore Jean-Baptiste. Le trentenaire évoque ici le score brut du RN, qui a recueilli près de 9 millions de voix au second tour, contre seulement 7 millions pour le Nouveau Front populaire et 6,3 millions pour le camp présidentiel, mais qui termine la course en troisième position en termes de sièges.

Pour certains, comme Jean*, directeur de site pour un magasin de bricolage, « il suffit d’additionner le nombre d’électeurs des différents partis de droite (RN + LR + DVD) pour se rendre compte que le pays penche clairement à droite ». « Ce suffrage ne représente donc pas ce que pensent et veulent les Français », juge cet électeur LR convaincu, pour qui le score meilleur qu’espéré de son parti passe au second plan. Même refrain chez Luc*, étudiant d’origine syrienne, qui vote traditionnellement LR mais a préféré le RN face au NFP : « Le résultat me semble assez antidémocratique, dans la mesure où le peuple français a en premier lieu placé le RN en tête, ce qui ne se reflète pas dans les résultats finaux ».

Sous la Ve République, les élections législatives se décident au scrutin uninominal majoritaire à deux tours, qui favorise le jeu des alliances et donc du « barrage républicain ». Voulu par le général de Gaulle, il est l’un des ciments de la Cinquième. Mais ces dernières années, plusieurs personnalités politiques de tous bords ont milité pour une « dose de proportionnelle»  lors des élections législatives, système dans lequel le nombre de sièges est partagé en fonction du nombre de voix recueillies. François Hollande l’avait défendu en son temps, avant de renoncer, tout comme Emmanuel Macron l’avait envisagé en 2022. Mais une telle perspective reste pour l’heure lointaine.

Trahison des cadres de droite

Reste également ce sentiment de trahison de certains responsables politiques à droite et au centre. « En dissolvant l’Assemblée, Emmanuel Macron a sollicité l’avis des Français. Pourtant, on a vu au second tour se constituer des alliances de manière à contrecarrer ce choix du peuple exprimé au premier tour », regrette Luc. « Je trouve honteux l’attitude de certains macronistes qui ont appelé à faire barrage », martèle Jean. « Il faut quand même se rendre compte qu’Édouard Philippe, ex-LR, a mis un bulletin communiste dans l’urne ce dimanche ! On a envoyé dans notre assemblée un candidat triple fiché S (Raphaël Arnault, porte-parole du collectif antifa La Jeune Garde, élu dans le Vaucluse, NDLR), qui votera les lois de notre pays. C’est tout simplement scandaleux ».

Le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a également apporté son soutien à un autre candidat communiste en Seine-Maritime, face à un candidat du RN. Il avait déjà usé de cette posture en 2021, lors des élections départementales. « Je regrette qu’une grande partie des cadres de la droite de Darmanin à LR, en passant par Horizons, se soient prêtés à cette stratégie que je considère contre nature », soupire César, cadre chez Veolia et militant LR « devenu RN par vote utile pour ces élections ». « Elle va à l’encontre de nos valeurs et de nos intérêts ».

Inquiétude pour l’avenir

Plus que ce sentiment d’injustice, l’inquiétude « pour l’avenir » domine chez les électeurs de droite et du RN. « Dans un contexte d’inflation et de taxation inédit, le programme du Nouveau Front populaire, s’il est appliqué en tout ou partie, va peser sur les classes moyennes auxquelles j’appartiens », déplore César. Et de citer pêle-mêle «le système d’imposition défavorable avec la refonte des tranches, la hausse des contraintes et des normes écologiques, la mainmise sur l’épargne, la remise en cause de l’application du droit à la propriété par le retour sur la loi anti-squat… ».

Bientôt père d’une petite fille, le jeune homme craint également l’explosion de l’insécurité, à laquelle il dit être exposé « quotidiennement » dans le Val-de-Marne, où il réside, et à Aubervilliers, où il travaille. « La victoire du Front populaire ne fera que renforcer les facteurs à la racine de ces problèmes », prédit-il, énumérant « le manque de moyens pour la police, le laxisme judiciaire et l’immigration incontrôlée ». Yoann, l’électeur de confession juive qui envisage de déménager en Israël, indique dans le même registre qu’il a « très peur pour la sécurité de (sa) communauté ». « Assisterons-nous à un antisémitisme décomplexé en France avec la victoire du Nouveau Front populaire ? », se demande-t-il.

Au-delà du programme de la gauche, c’est la perspective d’une France ingouvernable qui inquiète ces électeurs. « On part sur trois ans d’immobilisme (sauf si nouvelle dissolution d’ici là), et cette situation profitera inévitablement à Marine Le Pen en 2027 », regrette Jean, le directeur de site. « Qui va pouvoir diriger la France avec cette division en trois blocs ? », s’inquiète aussi Chloé, adhérente depuis peu du parti Nouvelle Énergie, de David Lisnard. La jeune femme a jugé « irresponsable » la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale. Elle décrit désormais la situation politique comme « peu rassurante ».

*le prénom a été modifié

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