Par Francis MORITZ – Temps et Contretemps
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La persécution sévit dans de nombreux pays du Moyen-Orient où le présent n’est pas très différent du passé. Un groupe pour lequel cela s’est avéré particulièrement vrai est celui des Druzes. On a largement évoqué les accords d’Abraham. On devrait aussi y associer ceux de la foi abrahamique qui compte parmi ses plus fidèles adeptes les Druzes. La grande majorité d’entre eux réside en Syrie. On y estime leur population de 500 à 750.000, au Liban entre 280 et 350.000 et environ 120.000 en Israël, chiffres sous toutes réserves. Alors que les chrétiens pourraient considérer les Juifs comme païens et vice versa, les Druzes ont une longue histoire de solidarité avec le peuple juif avec lequel il n’existe pas de contentieux religieux, ayant, tous deux, été opprimés au fil des siècles par les califats et les États musulmans de la région. Ils servent régulièrement dans différentes unités de Tsahal après avoir servi dans le bataillon Herev Gdoud jusqu’en 2015, date de sa dissolution. Israël soutient et respecte cette minorité.
Le Liban leur garantissait à l’origine les mêmes droits que les autres citoyens. Ce qui n’a pas duré longtemps. Ils se sont trouvés mis à l’écart par la majorité musulmane. En Syrie, ils avaient acquis une représentation politique lors de la prise de pouvoir du parti Baas en 1963 mais furent rapidement écartés en faveur des priorités des groupes musulmans et arabes. Ils sont ostracisés par ces derniers. Seule une réelle solidarité intracommunautaire et une fermeture aux autres religions leur permet d’assurer la survie de leur communauté, non sans quelques épisodes sanglants, comme la Syrie en connaît depuis le début de la guerre.
Discrimination et préjugés sont les deux plaies qui les accablent au Moyen-Orient, sauf en Israël, foyer protecteur comme l’est le centre mondial des Bahaïs à Haïfa. Al Qaeda les a persécutés comme les chrétiens à partir de fin 2011. En 2012 des centaines de tombes et de lieux saints furent détruits par les islamistes à Idlib.
Le district à majorité druze de Suweida, dans le sud de la Syrie est le théâtre de luttes acharnées opposant divers groupes armés de toutes obédiences, gouvernementales, étrangères pour le contrôle de la région. Le dernier fait nouveau a été la victoire des Druzes sur la milice pro gouvernementale Quwwat al Fajr (les forces de l’aube). C’est un changement important tant pour la population qui reprend son souffle après avoir dû faire face à de multiples exactions, enlèvements, rançons, pillages. Ce démantèlement de la milice signale l’affaiblissement des forces de Damas dans la région. Une autre milice, Falhout, a été expulsée par les Druzes sous l’autorité des chefs religieux des villages alentours.
Le régime actuel, pour éviter l’escalade, a poursuivi la stratégie de l’ancien régime en destituant le général de brigade Ayman Mohamed à la tête du renseignement militaire local, pour donner l’apparence d’un désaccord avec ses propres séides. En juillet 2018 les islamistes massacrèrent plus de 200 membres de la communauté druze et prirent 24 otages. L’homogénéité relative et la solidarité de la population druze n’incite pas le président syrien à provoquer un affrontement frontal. Il temporise chaque fois que le niveau d’exaspération monte. Trois chefs druzes religieux sont les hommes clés de la communauté. Le Sheikh Hikmat al-Hajari semble le plus proche de Bachar El Assad, tandis que les deux autres Yusuf Jar Boua et Hammoud al Hannawi, qui se distinguent par des positions parfois différentes, n’ont jamais formellement remis en cause le régime. Les druzes sont prudents. De plus ils sont très sollicités simultanément par les affidées de l’Iran, de la Russie et des États Unis.
La pénétration du Hezbollah dans le sud de la Syrie est perceptible, l’organisation terroriste y a développé un trafic de drogue qui s’étend désormais de la Jordanie au Golfe. Amman tente sans grand succès de sécuriser sa frontière qui traverse principalement les zones désertiques au sud de Suweida. La Russie engluée en Ukraine tente, elle, d’envoyer des délégations avec un succès limité. Les forces américaines stationnées à Al-Tarif, via sa milice locale Mahatir al Tharwa (commandement révolutionnaire) ont établi une forme de coordination avec les forces druzes sur place. C’est aux États Unis que se trouve la communauté druze la plus importante hors du Moyen-Orient. Parallèlement, même si c’est peu évoqué, Israël tente à son tour d’étendre son influence par le canal communautaire de sa propre population druze qui lui est fidèle. Les Druzes savent jusqu’où ne pas aller trop loin et ne sont pas en mesure, actuellement, de se séparer du régime.
Malgré son affaiblissement relatif, Damas demeure, dans l’immédiat, un acteur important dans la lutte régionale pour le pouvoir. Il faut savoir que depuis des années les communautés druzes bénéficient d’envois de fonds de l’étranger ainsi que du soutien par l’étranger de ses milices et d’un système d’aide humanitaire indépendant de Damas. Il faut également tenir compte du rôle économique de la communauté druze relativement importante, établie à Damas. Le marché de gros de la capitale reste une plaque tournante importante pour les produits agricoles en provenance de Suweida. Il est aussi factuel que le secteur public emploie du personnel de cette origine. Les salaires constituent un revenu régulier pour les communautés du sud. Au-delà, dans ce qu’il convient d’appeler pudiquement l’économie informelle – en clair le trafic de drogue et celui des armes – fournit des ressources importantes aux habitants de Suweida.
En 2014 Le Sheikh druze Balous fonde la milice Rijal al Karameh avec une double casquette, religieuse et laïque alors que le conflit syrien révélait la faiblesse des chefs traditionnels dans les régions. Les trois chefs religieux nommés précédemment y virent une menace pour leurs prérogatives au sein de la communauté. En 2015 Sheikh Balous déclara son opposition au régime. Ses trois collègues unanimes et clairvoyants condamnèrent sa décision. Peu de temps après il fut assassiné. Ses partisans comprirent la leçon et s’alignèrent sur la position des trois autres chefs religieux. Depuis, Damas soucieux de ne pas envenimer les relations, maintient le statu quo. Dans ce que certains observateurs qualifient déjà «d’après-guerre de Syrie», Israël pourrait sans doute trouver un appui sinon un relais au sein de cette communauté qui, contrairement à d’autres minorités, a su demeurer sur place et survivre dans la tourmente qu’ont représenté ces dix dernières années de guerre et de drames pour les minorités existantes.