Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
L’implication des Chinois dans la construction et la gestion de l’extension du port de Haïfa et de celui d’Ashdod a créé la suspicion des États-Unis qui interdit dorénavant à la marine américaine de jeter l’ancre dans ces deux ports pour des raisons sécuritaires. Les garde-côtes américains ont exigé de procéder à une inspection des structures chinoises de surveillance qui a été refusée par Israël. Les Américains n’ont aucune confiance dans la gestion du port par une puissance étrangère.
Le groupe SIPG (Shanghai International Port Group Co) a été désigné en 2019 par le ministère israélien des transports pour assurer la construction et la gestion d’un nouveau port civil à Haïfa. SIPG, qui a investi deux milliards de dollars pour la modernisation du port et pour son exploitation chinoise pendant 25 an, est prêt à commencer ses opérations en 2021. Israël a récupéré 290 millions de dollars pour sa privatisation. Les Américains s’étonnent que ce nouveau port soit à proximité d’une base de sous-marins dotés pour certains de capacités nucléaires. Le risque d’espionnage est grand de la part de Pékin qui pourrait obtenir des secrets commerciaux et militaires.
L’administration Trump s’était opposée à cette collaboration mais les Israéliens n’ont pas tenu compte de cette mise en garde. Alors que les Américains font tout pour s’opposer à la montée économique mondiale des Chinois, l’extension régionale de la Chine au Moyen-Orient fait désordre. Ils risquent de refuser le partage des renseignements avec Israël. De nombreux dirigeants juifs sont aussi préoccupés par ce qu’ils considèrent comme une mainmise chinoise dans l’économie israélienne. Mike Pompeo avait conseillé aux Israéliens de bloquer les nouveaux investissements chinois pour des raisons sécuritaires et surtout pour lutter contre l’influence de la Chine au Moyen-Orient.
L’ancien chef américain des opérations navales Jonathan Greenert et l’ancien commandant de la 7e flotte américaine John Bird ont rédigé un rapport alarmant à ce sujet. La Chine vise à alimenter et à étendre sa propre influence militaire et industrielle en achetant et en investissant dans la technologie israélienne. Les deux amiraux estiment que : «La stratégie de Pékin cherche à transformer le pouvoir économique en domination géopolitique et la technologie civile en un avantage militaire».
La pression américaine a permis à une équipe américaine d’inspecter le port de Haïfa et à Israël de refuser l’offre d’investissement d’une entreprise de Hong Kong d’une valeur de 1,5 milliard de dollars pour développer une usine de dessalement d’eau de mer. C’est la société israélienne IDE Technologies qui en a profité pour remporter l’appel d’offres pour développer l’usine Soreq B, la plus grande d’Israël, qui sera construite près de la base aérienne de Palmahim au nord du pays, à proximité du centre de recherche nucléaire Soreq. La banque israélienne Leumi, le groupe bancaire allemand KFW et la Banque européenne d’investissement financeront le projet, prévu pour être opérationnel en 2023 avec une capacité de production annuelle de 200 millions de mètres cubes.
En raison de la menace américaine, Israël s’est engagé à créer une nouvelle structure pour réglementer les investissements dans le pays. Mais paradoxalement, la high-tech ne fait pas partie des domaines protégés par le comité dont le but est d’empêcher les entreprises chinoises d’accéder à la technologie militaire et en particulier à la cybersécurité. Depuis l’établissement des relations diplomatiques entre Israël et la Chine en 1992, les exportations israéliennes vers la Chine sont passées à près de 4 milliards de dollars tandis que les importations en provenance de Chine ont dépassé 6 milliards de dollars en 2017. Les investissements chinois en Israël sont estimés à 11,4 milliards de dollars sur cette période. La Chine reste dans le viseur américain car Joe Biden a prévu de concentrer sa politique étrangère sur la Chine et l’Asie et moins sur le Moyen-Orient.
Depuis quelques années, Israël a vendu les meilleurs fleurons de son industrie chimique et alimentaire et même de haute technologie s’engageant parallèlement à remplacer les ouvriers palestiniens du bâtiment par des Chinois. Près de 11.000 ont reçu un permis de travail pour la construction du métro et de grands immeubles d’habitation de Tel Aviv.
Les investissements chinois sont nombreux. En 2011, 11% de la startup Waze a été vendue à Li Ka-Shing, milliardaire de Hong Kong qui en remerciements a fait un don au Technion. China National Chemical Corporation a acquis en 2011 la plus grande usine pétrochimique d’Ashdod, Agan chemicals, avec tous ses brevets de fabrication. En 2015, une création de la Histadrout, Tnouva, première entreprise de lait et de produits laitiers a été reprise par les Chinois via l’entreprise britannique Bright Food.
La Chine a gagné plusieurs appels d’offres pour la construction de l’une des lignes du tramway de Tel Aviv, du nouveau port d’Ashdod, et du train reliant cette ville au port d’Ashdod. Mais les Américains voient d’un mauvais œil, voire d’un œil suspect, cette invasion chinoise dans l’économie israélienne. Donald Trump avait fait part à Netanyahou du risque qu’il prenait au sujet des relations sécuritaires bilatérales. Le premier ministre avait donc donné ordre aux entreprises israéliennes de se borner à vendre que du matériel civil. Rafael, Elbit et Israel Aerospace Industries, qui ont été les premières entreprises à s’implanter en Chine, ont dû se résoudre à cesser leurs activités militaires. Israël a été parmi les premiers pays à reconnaitre en 1949 la République Populaire de Chine ce qui fait que les deux pays ont une longue histoire commune.
Mais cette dépendance trop étroite des industriels israéliens pourrait avoir pour conséquence de faire fuir les compagnies américaines comme ce fut le cas des sociétés françaises touchées par l’embargo imposé par le général de Gaulle. Israël a pris ce risque, surtout celui de permettre de se défaire des plus beaux bijoux de famille.