Illustration : Sadate à la Knesset en 1977
Michèle Mazel
La normalisation qui se concrétise chaque jour davantage entre Israël et les pays du Golfe ne peut pas ne pas interpeller les Egyptiens. Du paysan inculte comme il s’en trouve encore trop dans les campagnes aux professeurs renommés, des médias à l’armée ou tout simplement à l’égyptien moyen, le phénomène dérange. L’Egypte a été le premier pays arabe à faire la paix avec Israël ; or plus de quarante ans après le voyage historique du président Sadate à Jérusalem et l’ouverture de l’ambassade d’Israël au Caire on ne voit pas les acquis de cette paix sur le terrain.
Pendant ce temps les compagnies aériennes des Emirats multiplient les liaisons aériennes avec Israël, suivies par El Al et Arkia – et ce sont des dizaines de vols hebdomadaires programmés pour répondre à une demande qui explose. Les délégations s’enchainent. Les investissements se finalisent. De la finance à l’agriculture, des communications à la haute technologie, la coopération prend forme. Un extraordinaire boom économique s’annonce pour le plus grand bénéfice des parties concernées qui s’en félicitent ouvertement. Les ministres émiratis et de Bahreïn, certains appartenant à la famille royale de leur pays se succèdent en Israël, multipliant les interviews aux médias israéliens, télévision comprise.
Les Egyptiens sont les laissés pour compte de cette prospérité soudaine. Et ils savent qu’ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Israël ne demandait pas mieux que de transformer une paix formelle à une réalité de chaque jour. Les annexes du traité de paix signé en 1979 étaient censées inaugurer une coopération mutuellement profitable pour ces deux pays voisins. Après un début d’ouverture pourtant prometteur les portes se sont fermées une à une. Il ne reste rien des cinq vols hebdomadaires d’El Al vers la capitale égyptienne. Les locaux de l’ambassade d’Israël à Giza ont été pris d’assaut par une foule en colère en septembre 2011 et les vaillants gardes de sécurité n’ont eu la vie sauve que grâce à l’intervention in extremis du président Obama qui prit son téléphone pour appeler le président de la junte militaire, qui avait refusé de prendre un appel du Premier ministre israélien.
Aujourd’hui la représentation d’Israël fonctionne au ralenti avec un personnel réduit. Certes, les relations sécuritaires entre les deux pays sont excellentes, mais restent dans l’ombre. On peut avancer sans risquer de se tromper que plus de dignitaires émiratis et Bahreïnis se sont rendus en Israël depuis la signature des Accords d’Abraham il y a quelques semaines que de dignitaires égyptiens en dix ans. Comment expliquer ce qui parait inexplicable ?
La vérité oblige à dire que les Egyptiens ont subi depuis les accords de paix un double endoctrinement. Il y a d’abord les « élites » imbues de nationalisme incapables d’accepter l’existence d’un Etat juif et qui ont jeté l’anathème sur toute manifestation de normalisation à peine la paix signée. Pourtant le peuple, lui, était plutôt pour, espérant qu’elle apporterait une amélioration de son sort. Cela ne s’est pas produit, en grande partie du fait de l’obstruction des élites. Le deuxième phénomène est alors entré en jeu. Le fanatisme religieux et l’antisémitisme virulent des Frères musulmans, mouvement créé on le sait en Egypte en 1928. Entre mosquées et presse déchaînée, une ambiance de haine s’est petit à petit développée. On a pu le voir récemment lorsqu’un des acteurs les plus populaires du pays a été cloué au pilori et trainé devant les tribunaux. Son crime ? Se laisser prendre en photo avec le chanteur israélien Omer Adam à Dubaï.
Par Michèle Mazel