Le turc Erdogan, agité du bocal

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

Le président turc Erdogan vient de renouer avec Israël après une longue période de brouille mais il n’hésite pas à s’assurer les faveurs de ceux qui combattent l’État juif. Il est actuellement sur tous les fronts internationaux, il dialogue avec le russe Poutine, il négocie avec l’iranien Raïsi et il intercède auprès de l’Ukraine en donnant l’impression qu’il agit en envoyé spécial de l’Union européenne. On le voit partout, on l’entend partout mais ses gesticulations sont stériles. En fait, il ne garde à l’esprit qu’un seul objectif, obtenir le droit d’attaquer, voire de massacrer, les Kurdes de Syrie qui soutiennent ceux de Turquie qui créent des nuisances dans son pays.

La réunion trilatérale sur la Syrie à Téhéran le 19 juillet 2022, entre le président russe Vladimir Poutine, le président iranien Ebrahim Raïsi et le président turc, s’est soldée par un fiasco. Erdogan s’était pourtant rendu à Téhéran avec un épais dossier de problèmes bilatéraux afin d’obtenir le feu vert pour une nouvelle intervention militaire en Syrie. Il attendait depuis longtemps ce face-à-face avec Vladimir Poutine et Ebrahim Raïsi, à défaut d’avoir en vain invité Poutine à Ankara. Il pensait profiter d’un accord préliminaire conclu la semaine dernière sur un corridor d’exportation de céréales ukrainiennes via la Turquie pour inviter le président russe chez lui. Par ailleurs, un fort contentieux existe encore entre la Turquie et l’Iran face à des positions conflictuelles en Syrie et surtout en Irak où ils ont soutenu des blocs rivaux pour former un gouvernement.

Il s’agit d’une fausse entente avec l’Iran car existent toujours de fortes divergences. En effet, la mauvaise humeur iranienne est grande face aux actions militaires de la Turquie contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) interdit sur le territoire irakien, les attaques contre la base turque de Bashiqa par des milices soutenues par l’Iran et leur soutien aux forces yézidies liées au PKK à Sinjar.

La question de l’exportation de gaz kurde irakien via la Turquie crée une inquiétude en Iran qui craint que de nouveaux corridors de transport recherchés par l’Azerbaïdjan et la Turquie à la suite de la guerre du Haut-Karabakh de 2020 ne coupent sa liaison terrestre avec l’Arménie. Un autre aspect irritant est la construction par la Turquie d’un mur à la frontière, couplée aux critiques selon lesquelles l’Iran laisse les réfugiés afghans entrer en Turquie sans contrôle. En résumé, il s’agit d’une fausse alliance de circonstance.

Les tensions avec l’Iran se sont aggravées à la suite du rapprochement d’Erdogan avec l’axe israélo-arabe et de la coopération des services de renseignement turco-israéliens. Les pourparlers tripartites sur la Syrie n’ont rien donné. Erdogan n’a pas réussi à obtenir ce qu’il voulait, ni à progresser sur les problèmes en suspens. Le renouvellement du contrat d’achat de gaz de la Turquie avec l’Iran, qui expire en 2025 mettra beaucoup de temps à se conclure. En raison de l’attitude dissuasive de Téhéran vis-à-vis des entreprises turques, l’objectif de porter le commerce bilatéral de 7,5 milliards de dollars à 30 milliards ne sera pas atteint.

Alors que la Turquie cherche à promouvoir ses drones armés Bayraktar, l’Iran a doublé la Turquie sur ce terrain en fournissant des centaines de drones à la Russie. La volonté d’Erdogan de développer un partenariat plus étroit avec l’Iran reste un vœu pieux. Quelques jours avant la réunion au sommet, la compagnie pétrolière nationale iranienne et le géant gazier russe Gazprom ont signé un protocole d’accord d’environ 40 milliards de dollars tandis que les Russes aideront à développer les champs gaziers de Kish et North Pars ainsi que six champs pétroliers en Iran. Erdogan se voit écarté des marchés juteux.

L’Iran refuse de cautionner toute nouvelle opération militaire dans le nord de la Syrie, ciblant Tel Rifaat et Manbij, tenus par les Kurdes, Khamenei a prévenu Erdogan qu’une opération militaire en Syrie serait préjudiciable à la région. D’abord parce que Téhéran ne supporte pas que les décisions majeures sur la Syrie soient de plus en plus prises dans le cadre du dialogue russo-turc. Par ailleurs, l’Iran estime que la Russie a fait des concessions à la Turquie en Syrie au nom de ses intérêts stratégiques plus larges et n’est plus disposée à laisser les décisions au donnant-donnant entre Ankara et Moscou. En conséquence, les Iraniens ont recherché une coopération plus étroite avec Damas, démontrant leur détermination à prendre l’initiative en accueillant le président syrien Bachar al-Assad à Téhéran en mai.

Erdogan a dû se contenter d’une déclaration commune à minima. Les parties ont réitéré leur engagement à lutter contre «le terrorisme sous toutes ses formes» et à souligner «leur grave préoccupation concernant les groupes terroristes à Idlib». Par ailleurs, selon Khamenei, la sécurité et la stabilité dans le nord de la Syrie «ne peuvent être obtenues que sur la base de la préservation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du pays», une façon de bloquer Erdogan dans ses velléités d’opération militaire contre les Kurdes.

Dans ce sommet, Erdogan a donné l’impression d’être un figurant plutôt qu’un décideur. Khamenei lui a confirmé que tout comme l’Iran considère la sécurité de la Turquie comme la sienne, Ankara devrait également considérer la sécurité de la Syrie comme la sienne. Le guide suprême iranien a en outre exhorté Erdogan à régler ses problèmes avec la Syrie «par des négociations». La réunion trilatérale a été éclipsée par d’autres événements mondiaux, au premier rang desquels l’invasion de l’Ukraine par la Russie. L’opposition farouche de Khamenei à une incursion turque dans le nord de la Syrie pourrait ouvrir la voie à une escalade, si Ankara mettait sa menace à exécution. Bref Erdogan s’agite beaucoup mais fait illusion car il s’attendait à être le clou de la réunion. Il doit choisir enfin le camp auquel il veut s’intégrer.

 

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