Le sarcophage de la discorde entre la France et Israël

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Un sarcophage exposé au Louvre au centre d’un bras de fer entre la France et Israël

Des rabbins israéliens ont intenté une action en justice à Paris pour récupérer le cercueil de pierre et les ossements d’une reine convertie. Ils en contestent la propriété à la France.

C’est un lourd bloc de calcaire, sommairement sculpté et surmonté d’un épais couvercle. Il porte pour seul ornement une double inscription comme gravée à la hâte, en hébreu et en araméen.

Indéchiffrable pour le profane, elle dit toute la valeur de l’objet : « La reine Saddan ». Ce sarcophage royal du 1er siècle de l’ère actuelle est discrètement exposé à l’ombre de la pyramide du Louvre, à Paris, au milieu d’une salle remplie d’objets d’art funéraire du Proche-Orient.

Un étage sous la Vénus de Milo, deux niveaux sous la Joconde de Léonard de Vinci, le cercueil de pierre n’attire pas autant de visiteurs que ses illustres voisines. Pourtant, depuis plus d’un siècle, son origine fascine écrivains, archéologues, historiens, voyageurs et religieux. Surtout, depuis peu, il se trouve au centre d’un bras de fer judiciaire et diplomatique.

Premières fouilles en Terre sainte

Selon nos informations, le Hekdesh du tombeau des rois, association cultuelle juive israélienne, a assigné il y a trois semaines le musée du Louvre et le ministère français de la Culture devant le tribunal de grande instance de Paris. Une première audience civile doit se tenir le 11 janvier prochain.

Au cœur du litige : la propriété de ce cercueil, présenté comme celui de la reine Hélène d’Adiabène. Les rabbins de l’association, par la voix de leur avocat parisien Gilles-William Goldnadel, réclament à la France sa restitution, avec les ossements présumés de cette souveraine convertie au judaïsme, dont le royaume correspond au Kurdistan actuel.

Pour comprendre ce dossier sensible, à la frontière entre archéologie, politique et religion, il faut revenir plus de cent cinquante ans en arrière, au moment de la découverte du fameux objet funéraire. Nous sommes sous l’Empire ottoman, dans l’actuelle Jérusalem-Est, près de la porte de Damas.

A l’époque, le site s’appelle déjà le Tombeau des rois. « Le Français Félicien de Saulcy réalise en 1863 les premières fouilles en Terre sainte. Il a la chance de découvrir une salle inviolée, à l’accès condamné par une porte en pierre, où se trouvent plusieurs sarcophages », raconte l’archéologue Jean-Sylvain Caillou, spécialiste du sujet.

Saulcy est persuadé d’avoir affaire à la dernière demeure des rois David et Chelomo. Mais cette croyance va être contredite par la suite au profit d’une autre hypothèse : les lieux seraient en réalité le tombeau de la famille d’Adiabène.

Transfert « sans autorisation »

Cette découverte provoque des remous. Dans un contexte tendu, l’archéologue parvient à extraire trois sarcophages de la salle souterraine après les avoir découpés.

Il va même jusqu’à dissimuler avec de la terre glaise la double inscription relative à la reine. L’archéologue ne s’en est jamais caché, comme il le raconte dans ses Souvenirs d’un voyage en Terre sainte : cette « trouvaille si curieuse », il craignait de se la voir « souffler ».

Car les Juifs s’opposent fermement à son projet et s’en plaignent au pacha, le gouverneur ottoman. Saulcy rapporte dans ses écrits les hésitations du pacha, qui finit cependant par lui vendre l’objet funéraire royal. De retour en France, il en fait don au Louvre.

Un siècle et demi plus tard, les requérants évoquent un transfert « sans autorisation » de ce qu’ils considèrent comme des éléments au « caractère hautement symbolique, sacré et historique ».

Dans leur assignation que L’Express a pu consulter, ils accusent le Louvre d’avoir « volontairement dissimulé des ossements » issus des sarcophages.

Ils se fondent notamment sur une notice rédigée en 1876 par un conservateur du célèbre musée, qu’ils ont jointe à la procédure. Dans cet inventaire, la présence de cinq boîtes renfermant des os humains est mentionnée, « tous ces objets [ayant] été découverts, en 1863, dans le cercueil même de Saddan ».

Restitution de têtes maories

Depuis 2010, le Hekdesh du Tombeau des rois cherche à tout prix à mettre la main sur ces « ossements sacrés », persuadé de les retrouver dans les sous-sols du Louvre, où ses représentants ont d’ailleurs été reçus.

Le respect dû aux morts nécessite que leurs restes reposent dans leur terre d’origine, expliquent-ils. « Il s’agit d’une procédure de récupération à l’égard de pillages, comme il y en a eu beaucoup en période coloniale. Mes clients sont outrés de constater que le Louvre leur a dissimulé le fait qu’il conservait des dépouilles funéraires vénérées sans aucune utilité artistique », commente Me Goldnadel.

Le conseil n’hésite pas à s’appuyer sur des précédents de « biens sacrés ou cérémoniels (qui) ont fait l’objet de restitutions », comme les têtes maories conservées dans les musées français finalement restituées à la Nouvelle-Zélande en 2012, ou ce totem rendu en 2006 par la Suède à des peuples autochtones du Canada. Des arguments qu’il reviendra à la justice d’examiner avant de trancher.

Inquiétude des milieux archéologiques

Contactés, ni le Louvre ni le ministère de la Culture n’ont répondu à nos sollicitations. Le sujet est d’autant plus sensible que cette affaire est en réalité le deuxième volet d’une même procédure judiciaire.

En mai, la même association a assigné le ministère des Affaires étrangères devant le tribunal de grande instance de Paris. Cette fois, il n’était pas seulement question de la « reine Saddan », mais carrément de la propriété française du Tombeau des rois, qu’elle conteste tout autant.

Voilà ce joyau vieux de deux mille ans, site archéologique majeur, devenu objet d’une controverse à la fois religieuse et politique. Certains orthodoxes réclament en effet bruyamment de pouvoir prier de manière illimitée dans ce monumental ensemble funéraire taillé dans la roche. Or, depuis octobre dernier et après dix ans de fermeture, le lieu n’est ouvert que deux matinées par semaine, de manière payante, à un nombre restreint de visiteurs.

Les milieux archéologiques redoutent quant à eux que la nécropole ne soit soustraite à la science au profit du culte. D’autant que les archéologues, loin du bruit médiatique, continuent de décrypter les mystères du Tombeau.

Certains spécialistes ne sont pas convaincus qu’il s’agisse bien de la reine Hélène d’Adiabène, et travaillent sur d’autres hypothèses.

Le fameux sarcophage du Louvre n’a pas fini de faire parler de lui.

Source :www.lexpress.fr

NDLR : Qu’est-ce que les « scientifiques ont à craindre que cette nécropole ne soit soustraite à la science » ? On n’y fait plus rien, et le mal est fait ! Il nous semble que l’Express fait erreur : le vrai problème est que la France avait été priée de mettre sa main sur ce site afin de le protéger, mais qu’elle a, par la suite, pris son rôle tellement au sérieux qu’elle en a également réclamé la propriété.

Quant au sort qui a été réservé aux restes funéraires, à notre connaissance, ils ont été enterrés sur le Mont des Oliviers avant que ce sarcophage a été expédié en France. C’est en tout cas ce qu’on affirme dans le milieu en Terre sainte.

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