«Et voici les statuts que tu leur exposeras » (Chemoth 21,1)
Parfois, lorsqu’on homme perd à un Din Tora (jugement rabbinique), il est furieux contre les Dayanim (juges rabbiniques) et la décision qu’ils ont rendue, et prétend que dans un tribunal civil, il aurait gagné son procès. Il est persuadé d’avoir raison, et le Yétser Hara’ le pousse à se plaindre et à se battre contre les Dayanim, qui auraient, selon lui, déformé le jugement.
Dans un tel cas de figure, il convient d’accepter la décision des Dayanim qui tranchent les litiges financiers, tout comme on accepte leurs décisions dans le domaine de la cacherouth de la viande, par exemple, et c’est uniquement l’avidité des honneurs qui pousse l’homme à se retrancher dans ses positions et à prétendre que l’argent n’appartient pas réellement à la partie adverse.
On raconte au sujet de rabbi Yossef Dov de Brisk qu’un jour, le boucher de la localité de Brisk le consulta au sujet de la cacherouth d’une bête. Le rav trancha que la bête était tréfa, et le boucher accepta la décision sans la moindre protestation. Quelques jours plus tard, le boucher, en conflit avec un homme, se présenta avec son adversaire pour un Din Tora devant le rav. Le rav trancha que le boucher avait tort et qu’il devait payer au requérant. Lorsque le boucher entendit la décision, il se mit à dire du mal du rav, en prétendant qu’il s’était trompé. Le fils du rav interrogea son père : « Pourquoi, lorsque tu as tranché à propos de la cacherouth, en affirmant qu’elle était tréfa, ce qui générait une grande perte financière au boucher, il accepta la décision avec amour et en silence, tandis que lorsqu’il a perdu au Din Tora une somme bien inférieure à celle de l’animal, il s’est mis aussitôt à te blâmer ? »
Le rav lui répondit : « Lorsqu’une question s’était présentée sur une bête impure, personne n’avait porté atteinte à l’honneur du boucher. Mais lorsque c’était une discussion entre deux personnes qui pensent avoir raison, il a perdu contre son adversaire, et il a le sentiment que son adversaire a porté atteinte à son honneur, ce qui est difficile à accepter pour lui. »
Nous apprenons de ce récit que chaque Juif doit réfléchir, lorsqu’il s’apprête à passer un Din Tora contre un autre Juif sur un litige financier, qu’il ne peut pas savoir au départ à qui appartient vraiment l’argent, d’où la nécessité de procéder à un Din Tora pour déterminer s’il est possible d’utiliser l’argent, au même titre que l’on s’enquiert de la cacherouth d’un morceau de viande. Il n’y a aucune raison d’être vexé et il convient d’accepter la décision du tribunal rabbinique avec sérénité.
Cette tranquillité d’esprit ne prévaut pas chez les juges des tribunaux civils. Les lois civiles ne sont pas soumises à la volonté suprême du Créateur du monde qui s’exprime dans la sainte Tora, mais reposent et dépendent de l’avis et du bon gré des législateurs et des juges, qui sont des êtres de chair et de sang, influencés par leur époque et par l’environnement dans lequel ils évoluent. De ce fait, quel que soit le nombre de réformes et d’amendements, une partie pourra toujours se sentir lésée, car le perdant peut avoir légitimement le sentiment d’avoir perdu en raison de l’avis personnel du juge.
Même lorsqu’il s’agit d’une question qui dépend de la réalité concrète et non de l’exercice du jugement, le perdant sait clairement que dans la réalité, l’argent lui appartient, et qu’il a perdu son procès uniquement en l’absence de preuve, par exemple, il pourra accepter la décision du Din Tora avec sérénité, car selon la volonté de Hachem, l’argent doit passer à la partie adverse, selon des calculs hors de sa portée.
À ce sujet, mon vénérable ancêtre, rabbi Its’hak Eizik de Kamarna, dans son ouvrage Maassé Oreg (Péa 8,9), mentionne un récit survenu à l’époque de notre maître, le Ba’al Chem Tov : un homme déposa de l’argent à son ami, mais celui-ci décéda peu après. Lorsque l’homme qui avait déposé l’argent se rendit chez les héritiers pour récupérer son dépôt, les héritiers prétendirent que leur père ne leur avait rien dit de ce dépôt, et ils jurèrent à ce sujet. En l’absence de témoins, le Beth Din les acquitta. Tout le monde savait que l’homme qui avait déposé l’argent disait la vérité, car il était connu comme un homme de vérité, et l’on savait que son ami ne disposait pas d’une si grande somme d’argent.
Cet homme se rendit chez le Ba’al Chem Tov et l’interrogea : « Comme le Dayan a tranché, dans son Din Tora, une Tora de vérité, et que la Chékhina repose dans la salle du Beth Din, comme il est (Tehilim 92,1) : « D’ Se tient dans l’assemblée divine », c’est comme si Hachem en personne rendait cette décision, et c’est certainement une décision juste. Mais comment ajuster cela à la réalité ? »
Le Ba’al Chem Tov répondit : « Lorsque ton âme était incarnée dans un Guilgoul précédent, dans un autre corps, tu devais cette somme à l’homme à qui tu as déposé cet argent, et de ce fait, on a orchestré du Ciel que cet argent lui soit transféré, et le Beth Din a donc rendu un jugement véridique. »
Cette sérénité dans une telle situation ne s’applique pas à un Juif qui va se faire juger par les tribunaux civils, car s’il choisit de se rendre dans ces tribunaux non-juifs, il risque de perdre, ce qui n’est pas le cas s’il s’était fait juger au Beth Din.
Rabbi Tsvi Hirsch de Riminov indique que la sainte Tora a également une faculté pour tranquilliser le perdant qui s’est fait juger par un Din Tora, afin qu’il ne soit pas trop attristé. En effet, la Tora « réconforte l’âme » (Tehilim 19,8).
Nous en avons une allusion dans notre verset : «Et voici les statuts » uniquement ces statuts de la Tora, « Acher – que », le terme Acher ressemble à celui d’Ocher (bonheur), « tu leur exposeras » : tu exposes les faits devant deux parties en conflit : même le perdant repart heureux et serein.
Chabbath Chalom !