Concentrons-nous sur le présent
« Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes » (Beréchit 45,5).
À une époque où la santé ou la situation économique sont fragiles, certains journalistes se permettent d’annoncer des pronostics sombres sur l’avenir en se prononçant sur le nombre de morts ou de personnes qui souffriront de la faim dans le monde. Ces prévisions instillent l’inquiétude et la peur chez ceux qui les entendent et constituent une entrave à la sérénité, pourtant si indispensable dans la vie.
À une période telle que celle-ci, il vaut mieux éviter d’évoquer de telles prévisions, et ce, pour deux raisons :
1) Même dans une situation où l’avenir semble très incertain, la délivrance de D’ peut survenir en un clin d’œil, et dans ce cas, on aura été rongé par l’inquiétude en vain. Il est dit dans la Guemara (Yevamot 63b) : « Ne crains pas les malheurs de demain, car tu ignores ce que te réserve aujourd’hui. »
2) Même si la situation se dégrade, inutile de s’ajouter des souffrances en se tourmentant pour un malheur qui n’est pas encore advenu. Il vaut mieux attendre et souffrir uniquement au moment du malheur, comme l’indique la Guemara (Berakhoth 9b) : « Nous nous ferons du souci à ce sujet le moment venu.»
Même dans une situation grave, il est recommandé de penser uniquement au présent, et non aux futurs malheurs, ni aux souffrances du passé. En effet, lorsqu’on examine chaque instant en soi, il n’est plus si difficile de le supporter. Ainsi, dans les ouvrages anciens, on trouve ce texte : « Le passé n’est plus, le futur n’est pas encore là, et le présent passe en un clin d’œil, alors pourquoi se faire du souci ?»
Dans cette perspective, il est possible de subir même des souffrances sévères, à l’image de mon vénérable ancêtre, rabbi Yits’hak Eizik de Kalov. À un âge avancé, il se résolut à subir de terribles souffrances afin d’expier les fautes de ses frères juifs. Lorsque le médecin s’étonna de sa force et de sa joie de vivre en dépit de ses épreuves, mon ancêtre répondit qu’il considérait chaque instant comme une entité indépendante.
Lorsqu’on vit toujours avec le présent, on réussit beaucoup mieux dans la vie. En revanche, en accordant une importance démesurée au sombre passé et à l’avenir incertain, impossible à redresser aujourd’hui, notre esprit se remplit de pensées négatives superflues. L’homme sombre ensuite dans la tristesse, et perd ainsi le présent, qui est pourtant le seul moment où il est possible d’agir.
En termes de spiritualité, il vaut toujours la peine de réfléchir au présent. Lorsque l’homme commence à respecter une Mitsva, le mauvais penchant l’incite à penser qu’il a fauté dans le passé, et pense également fauter à l’avenir, dans le but de le décourager. Or, il faudra toujours concentrer ses pensées sur le présent.
Lorsque rabbi Sim’ha Bounam de Psichi’ha travailla, dans sa jeunesse, en tant que pharmacien dans la ville de Danzig, son rav, le « Juif saint de Psichi’ha » lui demanda un jour s’il avait appris à Danzig une leçon dont il pourrait s’inspirer pour son service divin. Il lui répondit qu’il avait entendu les commerçants faire cette remarque : « La perte d’argent n’est rien, mais celui qui perd le courage perd tout. » Même si l’homme a subi des préjudices et des pertes financières, il n’a pas le droit de s’attrister et de perdre sa joie de vivre, au risque de ne plus se remettre à travailler. Il lui suffit d’oublier cet argent perdu et de tenter à nouveau sa chance. Ce principe est également valable pour le service divin : on ne doit pas se décourager en s’appuyant sur le passé, mais on pensera constamment à ce qu’il est possible d’entreprendre au présent.
Un ‘Hassid se plaignit à son rav, rabbi Israël de Rouzyn, en affirmant qu’il n’avait pas la force ni le courage de prier devant le Roi des rois, D’, conscient de ses nombreuses fautes. Le rabbi lui répondit : « Nos Sages (Yalkout Chimoni Tehilim) ont interprété le verset (Tehilim 150,6) : « Que tout ce qui respire loue le Seigneur ! », l’homme doit louer D’ pour chaque respiration qu’il prend. Les livres sacrés nous apprennent que lorsque l’homme respire, l’âme spirituelle monte dans le même temps avec cette haleine, et cherche à se séparer du corps matériel et à revenir à sa racine dans le monde céleste. Mais dans le Ciel, on lui restitue son âme, et ainsi, l’homme revit à chaque respiration. À chaque instant, on devient une nouvelle créature, et il faut apprécier chaque instant comme une entité indépendante. »
De même, on relate que le rabbi d’Apt, auteur du Ohèv Israël, déclara un jour, avant la prière de Nichmath : « Yétser hara’, tu as raison, j’ai fauté dans le passé, et il se peut que je commette encore une faute à l’avenir, que D’ préserve, mais maintenant, je voudrais réciter le Nichmath, donc quitte-moi de suite, et tu pourras revenir pour me rappeler mes fautes à une période propice à la Techouva. »
Mon vénérable ancêtre, rabbi Sander de Kamarna, interprète ce texte de nos Sages (‘Haguiga 11b) : « Il vaudrait mieux que ne soit pas venue au monde toute personne qui examine l’avenir et le passé » : il aurait été préférable qu’une telle personne n’ait pas été créée, du fait qu’elle sombre dans la tristesse et le découragement, qui lui détruisent la vie.
Cette idée figure dans les propos de Yossef Hatsadik dans notre paracha : « Et maintenant » : si vous pensez uniquement au présent, « ne vous affligez point » : vous ne serez pas affligés par les malheurs du passé et les soucis pour l’avenir. « Ne soyez pas irrités contre vous-mêmes« : éliminez également la colère, car lorsque l’homme est serein, il ne s’empresse pas de se mettre en colère. En conséquence, vous mériterez ainsi de vivre toujours dans la sérénité et la joie, dans chaque situation.
Chabbath chalom !