Une opération d’infiltration conjointe de services de renseignement occidentaux impliquant un ancien membre de ces services, « Jason », qui a constitué un dossier conséquent sur le soutien au terrorisme du Qatar, Michael Inacker, ex-PDG d’un très réputé cabinet allemand de conseils en gestion stratégique, accusé aujourd’hui d’avoir doublé son employeur, ayant cédé à l’appât du gain, un Saoudien haut placé, conseiller du roi Salman d’Arabie saoudite, qui a trahi son pays, des responsables qataris partie prenante de trafics d’armes, d’autres responsables de cet émirat prêts à acheter au prix fort le silence de ceux qui ont connaissance de ces agissements, des services de renseignement allemand au courant de l’affaire.
Le tout sur fond de soutien qatari financier au terrorisme avec achat d’armes en Europe de l’Est et corruptions diverses : voilà l’affaire qui a éclaté en juillet 2020 en Allemagne, va depuis de rebondissement en rebondissement, de Doha à Bruxelles, en passant, entre autres, par les Caraïbes, l’Ouganda, Beyrouth et Berlin, où elle fait désormais l’objet d’une plainte pénale devant un tribunal de la capitale allemande. Aujourd’hui un procureur de New York s’intéresserait aussi à l’affaire. Last but not least, les services de renseignement israéliens, avec qui « Jason » est en contact étroit, nous dit le très sérieux magazine allemand STERN, suivraient de près toute cette affaire. Israël étant, on le sait, dans la ligne de mire du mouvement terroriste du Hezbollah.
Le dossier : armes et argent pour le Hezbollah et le terrorisme Houthi
Il y a eu au départ de cette affaire un dossier constitué par « Jason G », un ancien membre de services de renseignements occidentaux travaillant aujourd’hui en freelance. Dossier élaboré pendant trois ans, alors qu’il se présentait comme marchand d’armes dans le cadre d’une opération d’infiltration qui le mena de Doha, capitale du Qatar, aux Balkans, au Liban ou en Ouganda.
Selon ce dossier, des armes de guerre sont achetées en Europe de l’Est, en Serbie, Macédoine, pour être acheminées, avec la complicité de certaines douanes, transportées en tant que matériaux de construction et livrées à des groupes terroristes, en passant notamment par le port de Thessalonique, en Grèce[1]. Elles vont au Yémen, où sévit la milice Houthi, soutenue par l’Iran – mais surtout au Hezbollah, milice libanaise, bras armé de l’Iran, qui menace Israël sur sa frontière nord. Avec un arsenal invraisemblable que le magazine FORBES estimait en juin 2020 à plus de 100.000 missiles et roquettes de haute précision, transitant en partie par la Syrie – d’où les nombreuses frappes israéliennes sur des dépôts ou transports d’armes -, fabriqués en partie au Liban, où il est beaucoup plus difficile pour Israël de les détruire, car des frappes provoquerait aussitôt un conflit de grande envergure[2]. Cet arsenal représente un danger mortel. En été 2006, en effet, les 4.000 obus lancés par le Hezbollah avaient tué cinquante Israéliens dans le nord d’Israël. Le Hezbollah a aujourd’hui près de trente fois plus d’armes et de plus grande précision.
Activités totalement illégales au regard du droit international, bien sûr. D’autant que la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU de 2006 enjoignait au Liban de désarmer toutes les milices sur son territoire[3]. Résolution allégrement bafouée au vu et au su de tous, ce dont la communauté internationale n’a cure. Pour ne prendre qu’un récent exemple, on notera que le président Macron, lorsqu’il s’était rendu au Liban dans la foulée de l’explosion d’un silo où étaient entreposées des matières potentiellement explosives, qui détruisit une partie du port de Beyrouth en été 2020, avait reçu un membre du Hezbollah, avec qui il s’était entretenu. Pourtant ce mouvement, bien qu’il fasse partie du gouvernement libanais, est considéré comme terroriste par nombre de pays dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, récemment l’Allemagne, une grande partie des pays de la Ligue arabe ou l’Union européenne. Certains faisant une différence absurde entre sa branche armée et sa branche politique.
En corollaire, s’ajoute un volet financement avec des flux d’argent importants allant de la capitale du Qatar à Beyrouth ou transitant pour le paiement des armes par les marchés de l’or en Ouganda[4]. Les donateurs et trafiquants sont de riches Libanais en exil qui vivent à Doha, mais aussi des Qataris occupant des positions importantes, dont des membres de la famille royale. Des organisations « caritatives » servent de façade.
Ce dossier accablant pour le Qatar était complété en 2017.
Entrent en scène Michael Inhacker, PDG du cabinet de conseils en stratégie allemand WMP et un conseiller du roi Salman d’Arabie Saoudite
Mais l’opération n’est pas terminée. Fin juin 2017 un avocat munichois qui, selon le dossier, serait proches de services de renseignements, présente « Jason G » à un interlocuteur de marque, ancien journaliste ayant collaboré à de prestigieux médias, devenu PDG d’un cabinet de premier plan de conseils en stratégie, WMP. Un des volets de leur travail est de rendre plus présentables des pays comme l’Arabie saoudite ou le Qatar. Le ZEIT souligne l’importance de la communication en soulignant que cette citation de Hans-Hermann Tiedje, ancien patron de BILD, autre média allemand important, et fondateur de ce cabinet de conseil en stratégie, figure sur le site de WMP : « La communication est la condition de toutes les batailles. « Si vous convainquez, vous gagnez ! »[5]
Et pour ce faire Michael Inacker a mis le paquet avec certains de ses clients en faisant figurer, par exemple, les noms et bios de journalistes allemands de premier plan dans des documents fournis à ses interlocuteurs saoudiens, sans, semble-t-il, tenir ses employeurs au courant de tout ce qu’il entreprenait. Le conseil de surveillance de ce cabinet n’aurait d’ailleurs sans doute pas autorisé certaines de ses démarches. C’est ce qui ressort aujourd’hui avec la plainte déposée contre lui par WMP. Il a d’ailleurs quitté WMP en septembre 2020. Ostensiblement pour fonder son propre cabinet de conseils. Mais, à la suite des révélations fracassantes dans la presse en juillet dernier concernant ses agissements allégués et ce fameux dossier, les choses se sont gâtées pour lui. Et il fait désormais l’objet d’une plainte pénale pour abus de confiance déposée en janvier 2021 par son ex-employeur auprès du tribunal de Berlin. On notera, par ailleurs, qu’un procureur de New York étudie actuellement la possibilité de saisir la justice américaine à propos de ces allégations. Les États-Unis ne prennent pas à la légère le financement du terrorisme ou tout ce qui y touche.
Fin juin 2017 Inacker rencontre « Jason G » chez un avocat de Munich. L’une des questions qui se posent alors est d’évaluer combien un tel dossier peut valoir… Le PDG de WMP, qui nie aujourd’hui ce qui lui est reproché, donne comme preuve de sa bonne foi le fait qu’il ait alors montré ce dossier aux services de renseignements allemands pour leur demander leur opinion. Dossier jugé « Intéressant. » Pourtant, l’avoir fait ne prouve en rien qu’il n’a pas tenté de se faire payer par le Qatar pour ne pas ébruiter son contenu…
Il apparaîtra par la suite que le but de « Jason G » était d’obtenir du PDG de WMP une rencontre avec ses clients saoudiens pour qu’ils prennent connaissance de son dossier et le transmettent aux autorités d’Arabie saoudite dans le cadre de relations des plus tendues entre l’émirat et le royaume. Il s’agissait plus précisément d’avoir accès pour ce faire à un proche conseiller du roi Salman.
Une première rencontre avec ce conseiller a eu lieu le 12 février 2018 à Munich. Selon ce qui en est rapporté, celui-ci perçut aussitôt l’intérêt du dossier et le danger qu’il présentait pour le Qatar s’il venait à être divulgué. Imaginez, en effet, l’énorme contre-publicité que serait pour l’image du Qatar un soutien actif du terrorisme, notamment du Hezbollah, à la veille de la tenue de la Coupe du monde de la FIFA en 2022 dans cet émirat[6], tout à fait conscient des retombées positives que devrait avoir cet événement. Un Qatar dont les violations des droits de l’homme sont largement dénoncées, par ailleurs. Le Guardian britannique fait état de plus de 6.500 travailleurs immigrés morts ces dix dernières années sur les chantiers de cette Coupe et des conditions de travail déplorables…[7]
Mais il y aurait eu coup de théâtre, le conseiller du roi Salman et Michael Inacker décidant alors qu’au lieu de transmettre ce dossier explosif aux autorités saoudiennes, ils le montreraient à des responsables qataris pour acheter le silence de l’émirat qui ne pouvait se permettre que soit révélé son rôle dans le financement du terrorisme et la fourniture d’armes[8]. Plusieurs médias notent que « Jason G » aurait alors été stupéfait de voir, d’une part la trahison de ce personnage saoudien, d’autre part la volonté du PDG de WMP de taire la complicité qatarie active avec le Hezbollah pour des gains financiers.
Cette trahison est révélatrice de graves tensions internes qu’il y avait alors en Arabie saoudite.
L’ambassadeur du Qatar auprès de l’OTAN à Bruxelles
Michael Inacker organise alors une rencontre à Bruxelles avec « Jason G » et l’ambassadeur du Qatar auprès de l’OTAN, Al- Khulaifi. Un ambassadeur qu’il a connu lorsqu’il était en poste à Berlin. Elle aura lieu début 2019 et sera suivie de cinq autres. L’ambassadeur affirme être heureux de pouvoir ainsi mettre fin aux agissements de personnages dont il dit condamner la conduite. Il n’en sera apparemment rien. Et il accepte d’acheter le silence de « Jason G » pour un montant de 750.000 euros. Ce que rapportent plusieurs médis dont ZEIT online[9]. Une commission de 300.000 euros sera prélevée pour être versée à Michael Inacker. Un premier accord prévoit que les sommes seront déposées sur le compte de la société de « Jason G » aux Caraïbes. Société crée, de fait, dans le cadre de cette opération d’infiltration.
Lors des rencontres ultérieures « Jason G » aurait reçu chaque fois 10.000 euros et 100.000 euros une fois, en liquide. Ce qui est rapporté entre autres par ZEIT online[10] Autre élément notable : les remarques antisémites de l’ambassadeur du Qatar lors de ces rencontres. Il aurait déclaré que « les Juifs sont nos ennemis et le sont de fond en comble. »[11]
Plusieurs contrats ont été ébauchés, les 08 mars 2019, 22 juillet 2019 et le 33 août 2019. Dont il ne reste pratiquement pas de traces. À ce propos, Inacker affirme que son portable a été perdu dans la mer Baltique alors qu’il y naviguait sur un voilier..
Une conversation probante enregistrée, jointe à la plainte au pénal
Le 5 mai 2020 une rencontre entre « Jason G » et le PDG de WMP à Berlin a été enregistrée. Elle est produite par l’avocat de la société dans sa plainte pénale. Il estime cet enregistrement authentique. Or, il est clair, d’après le dialogue qu’Inacker est partie prenante de toutes les discussions avec le Qatar, des échanges avec son ambassadeur à Bruxelles à propos de ce dossier, d’un accord de non-divulgation et que sa part sera de 40% des 750.000 euros.
Il y est question de la manière dont l’argent que doit verser le Qatar pour que le dossier ne soit pas rendu public va être récupéré et du contrat à signer à cet effet. Contrat qu’il conviendrait de faire dresser par un cabinet d’avocats réputé de Berlin, qui est cité, sans que soit mentionné le Qatar ni « Jason G ». Les deux interlocuteurs tombent d’accord pour que la somme considérable et apparemment en liquide, versée par l’ambassade du Qatar à Berlin sous huit jours, transite aussi par ce cabinet sans que le montant lui en soit donné.
Il en ressort aussi plusieurs éléments importants :
Il y est confirmé que le Qatar autorise que des levées de fonds pour le Hezbollah soient collectées dans leur capitale de Doha. Un général de l’armée qatarie est mentionné. Il protégerait un financier du Hezbollah à Doha.
« Jason G » serait toujours en contact avec un capitaine dans les renseignements de cette armée qui, lui, semble vouloir mettre un terme à ce trafic d’armes organisé depuis son pays.
On note le fait que les ambassades du Qatar en Europe disposent de vastes sommes d’argent en liquide.
Le nom du propriétaire du club de football de Paris Saint Germain, le PSG, Al-Khelaifi, est évoqué lorsque « Jason G » demande à son interlocuteur s’il s’agit bien du cousin de l’ambassadeur en poste à Bruxelles avec qui ils sont en pourparlers. Ce qui est le cas. Mais Inacker ne pense pas que serait une bonne idée de l’inclure dans leurs discussions. Il évoque pour cela les tensions internes qui peuvent exister dans les familles ou les institutions, notamment dans ce type de pays, dit-il, ajoutant que cela arrive aussi dans des démocraties.
L’expert en images et en communications qu’est Michael Inacker note que la publication du dossier avant la Coupe du Monde de la FIFA porterait un coup bien plus sévère au Qatar que les accusations en matière de violations des droits de l’homme. Voici cet échange : « Inacker : Si j’étais l’ennemi du Qatar, je n’utiliserais pas ces histoires portant sur les normes du travail dans les chantiers de la coupe du monde. Je sortirais cette histoire de financement d’une organisation qui travaille pour…hum… » Jason G :”Annihiler l’État d’Israël”, Inacker : “oui” .Jason : Exactement”.
À ce propos on notera que pour se défendre Michael Inacker affirme aujourd’hui que l’État d’Israël compte pour lui, protestant dévot. Or il était bel et bien prêt à faire le nécessaire pour que ce dossier ne soit pas rendu public. Pour empocher 300.000 euros.
Réponses du Qatar et procès intenté à Inacker par son ancien employeur et suites potentielles
En réponse aux questions de journalistes allemands de premier plan, les protagonistes qataris ont soit opposé leur silence, soit ont fourni des communiqués affirmant que l’émirat lutte contre le terrorisme.
Ce qui est dérisoire alors que l’on sait, par exemple, comme noté dans le Jerusalem Post par Benjamin Weinthal en juillet dernier : « Cette monarchie fournit des lieux pour que puisse s’y organiser le mouvement du Hamas, désigné comme terroriste par les USA et l’UE, ainsi que pour les Talibans. Le Qatar a également lié une alliance très forte avec la République islamique d’Iran, le pire soutien du terrorisme selon les administrations Obama et Trump ». Une République islamique qui proclame à qui veut l’entendre qu’elle veut détruire l’État hébreu. De plus, poursuit le Jerusalem Post, « en 2004 le ministre allemand du Développement, Gerd Muller, a accusé le Qatar de financer l’État islamique. « Ce type de conflit, ce type de crise a toujours une histoire… Les troupes de l’État islamique, les armes… Il faut voir qui arme, qui finance les troupes de l’État islamique. Le mot-clé ici est le Qatar- et comment nous traitons politiquement avec ces gens et ces États. »
Quant au silence de l’ambassadeur qatari concernant ses déclarations antisémites. Le quotidien souligne qu’Al Jazzera – organe officiel de l’émirat d’autant plus redoutable qu’il est très bien fait- publie fréquemment des papiers antisémites. [12]
Cet organe de presse qatari est mentionné dans l’enregistrement de la rencontre du 5 mai 2020, celui-ci étant apparemment victime de fuites.
Quant à la plainte pour abus de confiance, qui inclut nombre de documents fournis, entre autres parle dossier de « Jason G », déposée le 27 janvier 2021 devant un tribunal de Berlin, elle est en cours d’instruction. Il y est précisé que l’ancien PDG a causé un tort considérable à WMP. Entre autres en promettant de manière fantaisiste aux Saoudiens un accès à de hautes responsables allemands, dont le président fédéral, la Chancellerie. Mais aussi en ayant accepté d’occulter un dossier sur le financement du mouvement terroriste du Hezbollah par l’émirat et sa fourniture en armes. On trouve des extraits de cet acte de 22 pages dans plusieurs médias, dont un journal américain.[13]
« Jason G » est désormais représenté à Berlin par un avocat, Steffen Tzschoppe.
Autre élément important : un procureur de New York s’intéresse à l’affaire. On sait que les États-Unis sont engagés aux côtés d’Israël pour combattre le terrorisme, notamment du Hezbollah.
Restent donc à attendre aujourd’hui ces décisions de justice.
Nous nous sommes entretenus avec « Jason G » et avons eu accès aux documents mentionnés en totalité ou partie.