Le Qatar tire les ficelles en Afghanistan

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

L’image du Qatar est totalement faussée en Occident. Parce qu’il distribue ses millions de dollars à tout va, parce qu’il achète les meilleures pépites françaises, dans l’hôtellerie et le sport en particulier, parce qu’il aide financièrement le Hamas, il s’achète de la considération. Il donne l’impression d’être un mécène désintéressé alors qu’en fait, il crée et finance des centaines de mosquées radicales à travers le monde. Le Qatar est le soutien officiel des Frères musulmans ce qui en fait un ennemi avéré des Égyptiens. Il est aussi accusé de financer la maison mère d’Al-Qaïda en Syrie.

       Ses actions médiatiques servent de voile de fumée sur son radicalisme à travers le PSG financé par Qatar Sports Investment (QSi), filiale de la Qatar Investment Authority, un fonds souverain dont le directeur général est l’émir qatari Tamim bin Hamad Al Thani. Grâce au sport, il a acquis une réputation d’adepte de la non-violence. Cinquième producteur de gaz naturel du monde après la Russie, les États-Unis, le Canada et l’Iran, il est devenu le premier exportateur de gaz naturel liquéfié tout en étant aussi producteur de pétrole de taille moyenne. Grâce à cette manne économique, ce micro-État joue dans la cour des Grands.

En réalité, le Qatar trompe son monde car, aujourd’hui, il ne se cache plus en Afghanistan où il est très impliqué. Certes il est du côté des «modérés» sans que l’on sache vraiment ce qui se cache derrière cet adjectif trompeur car en réalité, les talibans tuent, violentent les femmes et neutralisent ceux qui sont pour le modernisme. Doha s’est imposé comme l’interlocuteur des Occidentaux et surtout comme arbitre puisqu’il participe de manière active aux négociations internes entre factions talibanes qui luttent pour le pouvoir. En étant une passerelle vers l’Occident, le Qatar impose une dépendance des talibans à l’égard de ce riche État du Golfe.

Il est le véritable inspirateur des talibans qu’il avait hébergés à la demande des États-Unis en échange de dollars afin de faciliter les pourparlers américano-talibans et intra-afghans. Mais cela n’était pas du goût de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, fidèles alliés américains, qui condamnaient l’implication active du Qatar. L’Occident suit passivement avec intérêt et inquiétude le positionnement stratégique en Afghanistan du Qatar qui contrôle en fait les nouveaux responsables à Kaboul. Mais les talibans ne constituent pas un mouvement monochrome car des décennies d’insurrection ont fusionné des groupes, d’intérêts et d’idéologies différents mais en révélant certaines des lignes de fracture au sein de l’organisation talibane. Les talibans les plus conservateurs s’opposent à ceux qui croient en une approche plus pragmatique.

Le Qatar a réussi à imposer le nouveau premier ministre, le mollah Akhund (notre photo) qui prend les rênes d’un régime afghan calqué sur le modèle iranien. Âgé d’une soixantaine d’années, Mohammad Hassan Akhund est une figure de longue date des talibans et un ancien ministre des Affaires étrangères du précédent régime islamiste, qui avait été au pouvoir de 1996 à 2001. Il devrait diriger les affaires courantes du nouveau régime dans un rôle proche de celui d’un Premier ministre. Le Qatar s’est engagé avec les membres les plus pragmatiques et modérés des talibans regroupés autour du co-fondateur Mullah Baradar, qui vit lui-même au Qatar depuis plusieurs années. Cela explique les bonnes relations de Doha avec les talibans qui dirigent le bureau de Doha composé d’insurgés lâches qui ont réussi à se transformer en mouvement politique.

Baradar était devenu le partenaire des Qataris, acceptant par pragmatisme le respect des droits des femmes et une amnistie pour les anciens employés du gouvernement. Il n’est plus question de revenir aux années 1990 lorsque les talibans régnaient dans le pays à coup de sabre. L’influence du Qatar au sein du gouvernement est actée. Amir Khan Muttaqi, ministre des Affaires étrangères et Zabihullah Mujahid, porte-parole du mouvement, considèrent Doha comme une source d’ouverture vers le monde extérieur.

Mais le Qatar n’est pas seul à vouloir participer au pouvoir en Afghanistan. Il a un concurrent sérieux avec le réseau Haqqani dont les militants, liés au Pakistan, ont été les plus actifs dans le conflit. Ce réseau, qui représente la faction la plus radicale du mouvement taliban, contrôle désormais les rues de Kaboul sachant que Sirajuddin Haqqani est à présent ministre de l’Intérieur. Plus fondamentalistes sur le plan religieux et moins pragmatiques, les militants de ce réseau se sont toujours opposés à toute ouverture à l’Occident et se sont opposés aux «modérés» regroupés autour de Baradar ce qui limite l’influence du Qatar.

La diplomatie du Qatar a fait preuve d’un grand activisme ces derniers jours puisque le ministre des Affaires étrangères, Mohamed ben Abdul Rahman Al Thani, s’est déplacé pour rencontrer ses homologues à Islamabad, à Téhéran et à Ankara avant de rencontrer les membres importants du gouvernement taliban nouvellement formé à Kaboul. Alors que le Qatar a de nouveau appelé les talibans à construire un État basé sur l’inclusion et la justice sociale, une grande partie du pouvoir de persuasion de Doha repose sur la dépendance des talibans à son égard, comme porte d’entrée sur le monde.

Plus le Qatar devient indispensable au mouvement, plus ses membres fondamentalistes pourraient se ranger à l’engagement de Doha. Pour le moment, cependant, l’influence du Qatar est liée aux modérés autour de Baradar et à leur survie, dans ce qui semble être un gouvernement de compromis qui favorise les militants.

            Nous recommandons l’excellent article d’Éric Leser de 2011 sur le Qatar : http://www.slate.fr/story/39077/qatar-france

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