A l’occasion du retour du député Taïeb à la Knesset, rappelons la présente « interview ».
Renvoyons encore à la présente vidéo (pour ceux auxquels leur filtre leur permet de la voir, cela n’est pas notre cas…)
Le député Yossi Taïeb (Shass), est en train de donner une leçon de civisme à de nombreux partis qui ont tenté, ces dernières années, de s’adresser au public francophone en Israël pour obtenir son soutien. Contrairement à Benett, qui s’est autoproclamé « le père des immigrants de France », ou Netanyahou, qui a tenu plusieurs congrès à l’intention de ce public, le parti Shass a un représentant de l’intérieur, qui consacre ses jours et ses nuits à leur apporter de l’aide mais aussi à renforcer leur communauté à l’étranger, qui est la deuxième en diaspora, avec environ un demi-million de membres. Yossi Taïeb est monté en Israël au départ de Paris, puis il a étudié à l’école talmudique de Mir, avant d’effectuer son service militaire dans les rangs de l’unité d’élite Guivati. Il se considère comme le représentant des Olim de France, et toutes ses interventions médiatiques sont rédigées en deux langues : en hébreu et en français. Il œuvre même comme un mini-ministère des Affaires sociales pour les immigrants qui, ces dernières années, éprouvent des difficultés d’intégration en Israël, et sont malheureusement nombreux.
PROPOS RECUEILLIS
PAR SARAH BEN ABRAMOWICZ
Vous êtes le seul député à être né en France et à représenter les Français depuis l’indépendance du pays. Est-ce que vous ressentez des liens plus forts avec la communauté française en Israël ?
YT Absolument. Quand vous avez suivi le même parcours que chaque immigrant, et tout particulièrement de France, l’ordre des priorités devient différent de celui d’autres personnes. Je ne veux pas dire que les autres députés n’ont pas cherché à se préoccuper des problèmes du secteur français, et je sais que certains ont essayé, mais chacun a ses priorités, et la première, en ce qui me concerne, c’est la communauté française en Israël. Je ne suis pas identifié à elle, j’en fais partie.
Je suis heureux que le seul parti politique qui ait accordé une place sérieuse à un représentant francophone sur sa liste électorale, soit celui de Shass. D’autres ont parlé, fait des promesses, mais Shass l’a simplement fait.
Il est évident que je prie pour que d’autres partis en comprennent l’importance et installent à des places éligibles des représentants français.
Vous êtes membre de la commission de l’immigration et de l’intégration. Qu’avez-vous réussi à faire avancer ?
YT Nous avons essayé de promouvoir les besoins qui se sont présentés sur le terrain.
Citons, par exemple, le cas des Oulpan privés d’apprentissage de l’hébreu, qui étaient fermés et qu’il n’était pas possible d’ouvrir, comme l’« Oulpan Chéli », qui nous a contacté afin que nous apportions une réponse à la communauté française. Le problème, c’est que les critères fixés par les ministères de l’intégration et de l’éducation exigeaient que les cours soient dispensés dans la matinée, ce qui ne laissait pas la possibilité aux personnes de chercher du travail dans la journée. Nous avons agi de manière efficace afin que les Olim puissent se consacrer à la recherche d’un emploi pendant la journée, en bénéficiant de systèmes scolaires adéquats pour leurs enfants, sans pour autant renoncer à l’Oulpan.
Nous avons travaillé massivement face au chef de la commission et auprès de la ministre de l’intégration, et nous avons réussi pour finir à faire débloquer quatre-vingts millions de shekels pour les cercles privés d’apprentissage de l’hébreu, ce qui ne serait pas arrivé si nous n’avions pas exercé de pression.
Pour les jeunes filles qui sont montées en Israël sans leur famille et effectuent leur service civil, nous sommes parvenus à faire en sorte que le budget les concernant soit l’équivalent de celui des soldats seuls. Je pense que c’est une véritable réforme équitable.
En ce qui concerne la reconnaissance des diplômes en Israël, quels sont les obstacles et pourquoi y a-t-il des obstacles ?
YT Il y a des obstacles juridiques. Il faut vraiment un changement au niveau de la loi, pour certaines professions relatives à la médecine notamment.
Tout projet de loi conduit immanquablement à des pourparlers avec le service juridique de la Knesset, le ministère de la Justice, le ministère de la Santé, ainsi qu’avec d’autres intervenants professionnels, en dehors des députés etc.
Nous avons déposé une proposition pour la reconnaissance du diplôme de podologue. Chaque proposition de loi s’accompagne d’un délai de 45 jours avant le vote après avoir obtenu l’aval du service juridique de la Knesset. L’échéance est arrivée après avoir réussi à contourner tous les obstacles juridiques. Mais à mon grand regret, la Knesset a été dissoute, alors que la loi aurait dû déjà être proposée en première lecture.
Cette loi est la solution pour des centaines de professionnel du secteur médical de France qui exercent dans cette branche.
Mais nous n’avons pas le choix ! Ça va être un travail de fourmi et nous allons être obligés de traiter tous ces métiers un par un afin de faire bouger la loi pour que chacun soit reconnu séparément, à moins de parvenir à faire passer une loi plus globale qui traite plusieurs métiers en même temps.
Il y a un véritable travail parlementaire, en coulisse, face au ministère de la Santé. Je me suis plusieurs fois entretenu avec Youli Edelstein, le ministre de la Santé, ainsi qu’avec son adjoint, Yoav Kisch, qui sont entièrement d’accord avec nous.
Je pense que nous sommes entrés aujourd’hui dans une ère nouvelle. J’espère que ça sera effectif avec la 24ème Knesset.
Quand il y a un million de chômeurs, quand les employeurs croulent, comment peut s’organiser l’immigration de ceux qui veulent monter en Israël maintenant ? Est-il possible de les intégrer ?
YT Vous posez là une véritable question.
Techniquement, il est possible de les intégrer. Et, grâce à D., l’Etat d’Israël n’a pas fermé ses portes y compris pendant la période du Corona. J’en suis heureux, et j’en aurais été très affecté, si ça avait eu lieu.
Il est vrai que nous traversons une période complexe, et on parvient à peine à sauver ce qui existe déjà.
Des milliers de personnes sont au chômage, des familles s’effondrent, des affaires s’écroulent, le système éducatif aussi et nous sommes en train de perdre notre future génération. Il faut dire les choses telles qu’elles sont.
Le 23 novembre 2020 nous avons obtenu l’aval du service juridique de la Knesset pour présenter en première lecture notre projet de loi sur les droits sociaux pour les travailleurs indépendants mais, à nouveau, la Knesset a été dissoute quelques jours plus tard.
Vous avez vraiment l’impression que nous sommes en train de perdre la génération future. En quoi ça se concrétise ?
YT Je le vois pour de bon. Je vois ce qui se passe dans la rue et dans l’ensemble des couches de la population en Israël.
Des jeunes tombent dans la drogue, abandonnent l’école. On assiste à l’échec scolaire, l’échec social. C’est ce joyau que nous sommes en train de perdre…
J’ai effectué ma carrière dans le secteur associatif. J’ai dirigé pendant plus de dix ans le département francophone au sein de la Fondation Wolfson. J’ai mis en place des programmes pour la jeunesse en difficulté et aussi pour la jeunesse en général. Je suis aussi membre des commissions parlementaires de l’éducation, de l’intégration, de la lutte contre les drogues et addictions, ainsi que celle pour les droits des enfants.
J’ai parlé avec le président de la commission de l’éducation. Nous avons convenu de l’importance de ne pas fermer les mouvements de jeunesse en période de covid. A mon grand regret, ça n’a pas été fait et nous en payons aujourd’hui le prix.
Pour revenir à votre première question, il est clair qu’il sera très difficile d’intégrer les Olim dans l’immédiat et nous ferons de notre mieux. J’ai créé et je gère depuis mes débuts à la Knesset il y a sept mois, un projet pilote pour un programme de Alya communautaire, suite à ce que j’ai pressenti en raison de la crise du Corona.
A l’heure actuelle, nous avons réussi à libérer un budget de 4.5 millions de shekels pour accompagner les communautés qui souhaitent monter en Israël.
Le ministère de la périphérie a lancé un appel d’offre à toutes les municipalités des périphéries d’Israël désireuses de se joindre à ce projet.
Qu’inclut ce projet ?
YT Pour ce projet, nous avons demandé la somme de dix millions de shekels, ce qui aurait donné la possibilité de transposer depuis la France une communauté entière dans une région périphérique en Israël comme par exemple à Nétivoth, Nof Hagalil, Harich, ou Ashkelon, et de lui apporter une réponse holistique. Le coût du budget est de 2.4 millions pour chaque communauté qui compte de 25 à 50 familles.
Le programme comporte l’oulpan permettant l’apprentissage de l’hébreu et ce, avant l’immigration, la formation pour l’emploi, l’aide scolaire aux écoliers, les budgets culturels, un rabbin de communauté qui disposera d’un budget, un coordinateur pour la communauté.
Il est important pour moi cependant de rester prudent. Je ne cherche pas à créer un ghetto français, mais il n’y a pas d’autre choix, dans un premier temps, que de leur permettre de monter en Israël en tant que communauté. Ils pourront alors se renforcer sur place, lorsqu’ils acquerront le vocabulaire professionnel nécessaire, et quand leurs enfants seront intégrés dans les écoles qui leur conviennent. Par la suite ils pourront prendre leur envol et s’intégrer dans la société israélienne.
Le Premier ministre et le ministre de la périphérie, du Néguev et de la Galilée Arié Déry ont exprimé leur soutien à ce programme. Ce dernier a même octroyé un budget de son ministère. Un projet s’élevant à 380 millions de shekels a été présenté au gouvernement afin d’élargir le programme en cas de réussite du projet pilote, mais en ce moment, la Knesset est dissoute. J’espère que la 24ème Knesset aura un gouvernement stable et que nous pourrons mener à bien ces projets.
Le parti que vous représentez prétend qu’il est le seul à se préoccuper du social en Israël. En quoi cela est-il visible ?
YT Shass, sous l’égide d’Arié Déry, est parvenu à faire passer un projet de sécurité alimentaire, non pas pour le superflu, mais pour que les gens puissent avoir à manger chez eux. Ce projet comporte des coupons d’alimentation pour les familles les plus démunies d’Israël qui n’ont pas de lobby ni personne pour se soucier d’elles. Il s’élève à 700 millions de shekels et je pense que c’est l’un des résultats qu’il est possible de marquer d’un point pour ce gouvernement restreint. Ceci étant, une association a déposé un recours en annulation devant la Cour Suprême, mais nous continuons nos efforts dans cette lutte pour maintenir ce projet à flots, y compris devant cette instance.
Prenons par exemple la « loi du fax » qui est passée grâce au député Malkieli (Shass). Ça paraît enfantin, mais beaucoup de personnes, surtout âgées, ne savent pas utiliser le mail ou Whatsapp. La loi contraint toutes les instances gouvernementales ou associations à continuer de réceptionner les demandes et autres documents par fax. Cela semble bête, mais c’est ce qui permet d’apporter une véritable réponse à une population faible dont personne ne revendique les droits. C’est Shass qui s’est mobilisé en marge des projecteurs pour faire avancer ces questions d’éthique.
Etes-vous satisfait de vos résultats à ce stade ?
YT Il est toujours possible de faire plus. Vous affirmez que nous avons fait le meilleur serait vous mentir. J’espère réellement que la prochaine Knesset tiendra bon et que l’on pourra avancer encore plus loin dans les réformes à apporter au pays.
J’ai écouté les déclarations d’Arié Déry, quand il disait qu’il allait tout faire pour qu’il n’y ait pas de quatrièmes élections. Où a-t-il commis une erreur ?
YT Je pense que si la Knesset a tout de même résisté jusqu’à présent, c’est grâce à un homme mûr et responsable qui s’appelle Arié Déry, que ce soit au sein du cabinet corona, mais également au cours des réunions du gouvernement.
Comme je le dis, il faut constamment préserver le chalom dans la coalition, qui dépend de l’équipe de Netanyahou et Gantz, afin de réussir.
A mon grand regret, le parti Bleu-blanc n’a pas cessé ses provocations jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de tenir.
Quel est votre point de vue en ce qui concerne le service à Tsahal ?
YT Je pense que quiconque est désireux et capable d’étudier la Tora, l’Etat d’Israël doit le lui permettre sans contraintes.
Celui qui bon lui semble d’étudier et d’effectuer son service, qu’il fasse les deux.
Mais celui qui n’est pas capable d’étudier la Tora ou de rester en place pour le faire, je l’appelle à aller s’enrôler.
C’est notre pays. Nous n’en avons qu’un seul et nous devons le défendre. Nous avons besoin de nos soldats et nous les bénissons à la synagogue.
J’ai personnellement fait mon service militaire dans les rangs de Tsahal, dans l’unité d’élite de Guivati, et les valeurs sur lesquelles nous avons grandi sont le sionisme, l’amour de la terre d’Israël, l’amour de la Tora et l’amour du peuple.
Je ne présente pas un certain public au détriment d’un autre, et je suis engagé vis-à-vis de tout le public français et francophone.
Quel est votre message à l’intention de la communauté française en cette période difficile ?
YT Le désespoir en ce monde n’existe pas disait rabbi Na’hman de Bresslev.
Notre obligation consiste à œuvrer en faveur de cette communauté. Nous sommes entrés à la Knesset il y a sept mois et nous avons beaucoup à faire.
Il faut agir pour l’éducation, l’emploi, la reconnaissance des diplômes, ou tout autre thème, afin de les représenter.
Nous ferons tout ce qu’il faut pour notre chère communauté.
Je suis fier d’être leur porte-parole. C’est une communauté qui est dans le pays depuis soixante-dix ans sans que personne ne se soit soucié d’elle réellement.
Shass a relevé le défi et les Français sont toute ma priorité, car je suis ici pour les représenter et c’est ce que je m’efforce de faire chaque jour en me levant.