L’histoire n’est jamais écrite d’avance, et seule l’illusion rétrospective peut nous faire croire que les “dés étaient jetés” et qu’un processus inexorable était lancé, à un moment donné. Et pourtant, au lendemain du 7 juillet, il est difficile d’échapper au sentiment que la France vient de descendre encore un peu dans sa course effrénée vers l’abîme, même si on ignore encore quel gouvernement sortira de cette situation inédite et inquiétante. Réflexions au lendemain du second tour des élections françaises, vues de Jérusalem.
1.
Une vision manichéenne de la politique, très répandue aujourd’hui, nous conduit souvent à penser que les choix électoraux opposent le candidat du “bien” à celui du “mal”, ou encore qu’une injonction morale (“faire barrage” au mal absolu) devrait dicter nos choix. C’est bien ce type de raisonnement qui a conduit de nombreux électeurs à prétendre faire barrage au RN, quitte à porter au pouvoir LFI. Certains l’ont fait sciemment, en préférant le danger mélenchoniste à celui (supposé) incarné par le Rassemblement national, tandis que d’autres se sont réfugiés dans l’attitude confortable – mais tout aussi irresponsable – du “ni LFI ni RN”. Au sein de la communauté juive de France, le hiatus s’est ainsi creusé encore un peu plus entre une base bien au fait des réalités de la vie juive et de ses vicissitudes actuelles, et des dirigeants de plus en plus coupés des mêmes réalités, qui n’appréhendent souvent la vie politique française et la situation réelle de la France qu’à travers le prisme des médias, de l’idéologie et de leurs propres intérêts, institutionnels ou personnels.
2.
Il faut saluer dans ce contexte la clairvoyance de Richard Prasquier, ancien président du CRIF, qui a eu le courage et la lucidité de rejeter cette attitude pusillanime en appelant, comme l’ont fait les époux Klarsfeld depuis longtemps, à choisir le RN contre le danger de LFI. Ce faisant, Richard Prasquier a montré aux actuels dirigeants du CRIF qu’une autre attitude était possible que celle consistant à prétendre “refuser les deux extrêmes”. “La mise en équivalence, écrivait-il à la veille du deuxième tour, “des deux extrémismes de droite et de gauche m’a paru dépassée : entre un candidat LFI et un candidat RN, je choisirais aujourd’hui le RN et je ne voterais pas blanc car c’est voter pour le futur vainqueur et rien d’autre”.
Hélas, cette prise de conscience tardive n’aura pas été suivie par les dirigeants du CRIF, du Consistoire et du grand-rabbinat, qui ont préféré lâchement ne pas choisir, et ont ainsi choisi LFI. Ce faisant, ils ont été les “idiots utiles” du mélenchonisme, et ils porteront une lourde responsabilité devant l’histoire, face aux dangers auxquels les Juifs de France sont aujourd’hui confrontés.
3.
Mais ce ne sont pas seulement les dirigeants communautaires juifs qui ont été les “idiots utiles” du mélenchonisme. En réalité, ce refus de choisir entre deux dangers, entre “le préférable et le détestable” comme disait Raymond Aron, a caractérisé une large partie de la classe politique et de l’électorat français. Or, la stratégie de diabolisation du RN et de l’exaltation d’un soi-disant “front républicain” (expression qui ne veut plus rien dire aujourd’hui) a montré ses limites, en empêchant d’appréhender un danger bien plus grand et réel, qui vient d’être amené aux portes du pouvoir. Emmanuel Macron lui-même a été l’idiot utile de Mélenchon, et il y a fort à parier que ce dernier saura triompher de cet adversaire politique pour asseoir son pouvoir et celui d’un parti antisémite qui, pour la première fois depuis 1945, pourrait prétendre diriger la France.
Quant à Mélenchon lui-même, il pourrait très bien lui aussi s’avérer un ”idiot utile”: celui de cette “France insoumise” qu’il pense utiliser pour réaliser ses propres ambitions, mais qui peut bien vite se retourner contre lui. Il est fort probable que, dans l’alliance contre nature entre les islamistes et l’extrême-gauche qui vient de faire triompher Mélenchon, les premiers sauront le moment venu écarter les seconds. Ce n’est pas la “France d’en-bas” qui vient en effet de remporter une victoire (relative) aux élections législatives. Ce sont les alliés du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran qui entrent par la grande porte au Parlement français. Mais, comme dans le texte allégorique de Had Gadya que nous lisons le soir de Pessa’h, c’est en définitive le Saint Béni-soit-Il qui tue l’ange de la mort et qui offre le salut à Son peuple. D’ici là, prions pour que nos frères juifs de France fassent le seul bon choix qui leur reste aujourd’hui, celui de l’alyah.
P. Lurçat