À l’inverse du blanchiment, le «noircissement» d’argent consiste à employer à des fins criminelles des fonds obtenus légalement. Un rapport parlementaire indique que ces sommes peuvent provenir de rentrées économiques légales, de détournements de prêts mais aussi d’argent public.
L’argent des cagnottes, des banals crédits à la consommation, voire de la solidarité nationale, au service des pires ennemis du pays ? C’est peut-être l’aspect le plus préoccupant d’un nouveau rapport d’information sur la lutte contre le financement du terrorisme, qui vient d’être publié par les députés des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer (LR) et de la Manche Sonia Krimi (LREM), membres de la commission des Affaires Étrangères. Les prestations sociales, comme d’autres flux d’argent, sont en effet souvent «noircies» par les réseaux islamistes, suffisant à financer des opérations de plus en plus simples et aussi meurtrières.
Le document fait en effet un premier constat: l’époque est au «terrorisme low-cost» plutôt qu’aux grandes opérations comme celles du 11 septembre 2001, qui avaient nécessité 400.000 dollars à Al-Qaida et sa nébuleuse. Le terrorisme récent a tendance à être celui du loup solitaire. Exemple frappant: l’attentat de Nice, en 2016, n’avait coûté que 2500 euros à son auteur Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, «soit le montant nécessaire pour acheter une arme et louer pour quelques jours un camion de 19 tonnes». Les huit attentats qu’a subis la France depuis 2018, dont ceux de Marseille, de Trèbes, ou de Strasbourg, ont nécessité peu de moyens financiers. Les attaques du 13 novembre 2015 en France avaient coûté 82.000 euros à leurs auteurs, et les terroristes qui les avaient précédés en janvier s’étaient entièrement autofinancés pour moins de 30.000 euros. Un phénomène de «sophistication décroissante», selon les termes du rapport, qui risque de rester prédominant, à la faveur de l’affaiblissement de l’État Islamique.
Des financements «légaux»
Et comment se financent les «loups solitaires»? Si l’argent provient encore souvent des réseaux criminels, le rapport cite des moyens de détournement ou de transfert relativement nouveaux. D’abord, les cagnottes, dont l’encadrement en matière de sécurité bancaire reste à améliorer, même si les déclarations de soupçons restent faibles. Les prêts à la consommation, «outils légaux pouvant être détournés à des fins terroristes», constituent un risque plus concret: avant les attentats de novembre 2015, Amedy Coulibaly et sa veuve Hayat Boumedienne avaient ainsi pu rassembler 60.200 euros en utilisant de faux bulletins de paie.
Il peut encore s’agir d’argent public, obtenu légalement ou en escroquant le système, auprès des organismes sociaux, comme la sécurité sociale ou Pôle Emploi. En dehors des opérations terroristes, les fonds peuvent servir à financer des transferts de djihadistes vers des zones de formation ou de combat. Valérie Boyer cite l’exemple des familles Clain et Merah, qui ont utilisé leurs allocations pour financer des départs de combattants vers la Syrie et l’Irak.
Si à l’heure actuelle aucun événement n’atteste d’une industrialisation du phénomène, et si les sommes «restent modestes», le rapport pointe que «le soutien familial [aux terroristes] est une donnée observée dans l’ensemble de l’Europe», et qui mérite une attention nouvelle. Plus grave, ce «noircissement» d’argent public peut aussi financer des organisations extrêmement puissantes: selon une enquête du Sunday Times , des réseaux pakistanais créés dans les années 1990 auraient permis de détourner plus de 8 milliards de livres sterling d’argent public, dont une partie serait arrivée directement dans les comptes d’Al-Qaida. Interrogée par Le Figaro, Valérie Boyer souligne que «la fraude sociale constitue un problème en lui-même», et qu’une meilleure sécurité sur ce volet sera mécaniquement bénéfique à la lutte contre le financement du terrorisme.
Source www.lefigaro.fr