Le malaise des étudiants juifs de Sciences Po à Menton

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Par Jeanne Paturaud et Emma Ferrand

Depuis l’attaque du Hamas contre Israël, les étudiants juifs se sentent rejetés. Ils tirent la sonnette d’alarme.

«J’ai l’impression d’avoir perdu tous mes amis». En évoquant les semaines qui viennent de s’écouler dans son école, Chloé* s’exprime vite et manque de souffle. Il faut dire que sa scolarité à Sciences Po Menton a pris une tournure différente depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas contre Israël. «Nous, les étudiants juifs, n’étions pas vraiment à l’aise avant cet attentat. Mais depuis, il faut admettre que notre vie est devenue impossible», souffle l’étudiante.

Le campus du prestigieux institut d’études politiques (IEP) délocalisé sur la Côte d’Azur a pourtant des airs d’Eldorado. Une imposante bâtisse rosée qui trône face à la Méditerranée où évoluent chaque jour près de 400 étudiants venus se spécialiser sur une zone en particulier : le Moyen-Orient. Parmi les heureux élus, plus de la moitié vient de l’étranger, regroupant ainsi 61 nationalités. L’établissement, inauguré en 2005, est d’ailleurs la seule école d’enseignement supérieur à Menton, ce qui favorise a priori la cohésion de groupe mais peut aussi décupler le sentiment d’ostracisme.

C’est simple : en cours plus personne ne se met à côté de moi, il y a des rangées vides. Nous ne sommes plus invités aux soirées, personne ne veut faire des travaux de groupe avec nous Chloé, étudiante à Sciences po Paris (campus de Menton)

Pour Chloé, le passage de l’un à l’autre s’est effectué dès le 8 octobre. «Nous avons un groupe WhatsApp avec tous les étudiants du campus. Certains ont partagé des messages de soutien au Hamas. Les quelques étudiants juifs ont voulu nuancer ces propos, en disant qu’être du côté de la Palestine n’impliquait pas de soutenir des terroristes. On s’est pris une vraie vague de haine», décrit Chloé. Depuis, l’étudiante et ses camarades se sentent mis de côté. «C’est simple : en cours plus personne ne se met à côté de moi, il y a des rangées vides. Nous ne sommes plus invités aux soirées, personne ne veut faire des travaux de groupe avec nous. Quand je parle à des gens qui étaient mes amis autrefois, ils ne me répondent plus», énumère-t-elle la gorge nouée.

Les étudiants attendent une solution

En 6 mois, Chloé s’est rendue «à de multiples reprises dans le bureau de la direction». D’abord, pour signaler les propos qui faisaient «l’apologie du terrorisme» diffusés par des étudiants et des associations sur les réseaux sociaux. «Je pensais que cela allait déclencher une procédure disciplinaire mais l’administration a préféré convoquer les personnes concernées pour leur demander de supprimer ces contenus, par souci d’apaisement», s’indigne-t-elle. Et de poursuivre : «J’aimerais que l’administration comprenne que ce campus est devenu un vrai enfer pour les étudiants juifs. J’en suis à plusieurs semaines d’arrêt maladie et je ne suis pas la seule à en souffrir».

L’antisémitisme dans ce campus est une préoccupation depuis des années – Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France.

 

Mais cette situation «ne date pas d’hier», insiste Samuel Lejoyeux, président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). «L’antisémitisme dans ce campus est une préoccupation depuis des années. Lorsque nous y avons ouvert une section de l’association il y a quelques années, nous avions organisé une conférence en ligne avec une rescapée de la Shoah. On avait signalé plusieurs commentaires antisémites ou propos scandaleux», se souvient-il. Une situation d’ailleurs prise en compte par le campus qui a, depuis, «mis en place plusieurs actions de sensibilisation comme un partenariat avec la fondation du Camp des Milles [un camp de déportation à Aix-en-Provence, NDLR] ou des cours dédiés à l’histoire de l’antisémitisme», poursuit Samuel Lejoyeux. «Il y avait donc une musique de fond et le 7 octobre a vraiment libéré la parole des étudiants qui en veulent aux Juifs», estime-t-il.

Sciences Po se dit «conscient de la situation»

De son côté, l’institution assure avoir «tout à fait conscience de la situation de cette forme d’ostracisation». Si Sciences Po assure pouvoir gérer les signalements liés à des actes antisémites, elle concède avoir des difficultés à lutter contre cette atmosphère pesante. «Il peut être compliqué d’appliquer certaines sanctions. Il n’est pas évident de prouver qu’un étudiant ne s’assoit pas en cours à côté d’un étudiant juif en raison de sa religion», commente l’école, qui admet que la procédure actuellement en place pour faire face à ces incidents est inadaptée.

Depuis le 7 octobre dernier, 4 signalements ont été effectués de Sciences Po Paris, tous campus confondus. Une enquête administrative est par ailleurs en cours sur le campus de Menton, au sujet de propos antisémites tenus via des conversations WhatsApp. Pour l’IEP, l’urgence est de retrouver «le calme et la sérénité» sur l’ensemble des campus, et en particulier à Menton. La semaine prochaine, l’administrateur provisoire de Sciences Po, Jean Bassères, se rendra sur place pour rencontrer l’administration. À cette occasion, il espère également s’entretenir avec Christian Estrosi, le maire (LR) de Nice et président délégué de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

 

Ce dernier a en effet annoncé le 3 avril dernier envisager de supprimer les subventions régionales versées à l’IEP. «J’ai demandé au directeur de l’établissement de prendre toutes les sanctions disciplinaires nécessaires contre les auteurs et des mesures de protection pour les victimes. À défaut, avec Renaud Muselier, nous nous réservons la possibilité de suspendre son financement de soutien aux étudiants», a écrit Christian Estrosi sur Threads.

*Le prénom a été modifié.

JForum.fr avec etudiant.lefigaro.fr/

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