La nouvelle plaie qui s’est abattue sur la planète entière, ce virus délétère qui a envahi le moindre interstice de la terre tel un indélogeable grain de sable, nous incite à quelque réflexion profitable sur la vanité des choses de ce monde, sur le vertige consumériste, sur l’illusoire accumulation de biens, sur la fallacieuse séduction des richesses, et le nécessaire dépouillement qui, seul, peut nous faire accéder à quelque sérénité, sinon au précieux équilibre alors que nous divaguons autour de l’abîme ainsi que toton, toupie folle ou incontrôlable bouchon.
Parmi les lectures préférées, le choix se fait entre le Journal de l’année de la peste, de Daniel Defoe, La Peste, d’Albert Camus ou les Contes de la peste, de Mario Vargas Llosa, tous ouvrages de circonstance. Mais quelle meilleure lecture conseiller, alors, que celle du traité biblique appelé Qohélet ou L’Ecclésiaste qui est, d’ailleurs, celui qui a séculairement le plus marqué les générations et la pensée orientale autant qu’occidentale. Qui ne connaît, qui n’a scandé :
Il faut un temps pour vivre et un temps pour mourir,
il faut un temps pour rire et un temps pour pleurer…
Poussière tu es et tu retourneras à la poussière ?
Qui ne connaît enfin :
Vanité des vanités, tout est vanité ?
On a beaucoup glosé sur ce livre énigmatique, interprété souvent comme l’expression d’un stoïcisme hébraïque, voire d’un nihilisme et d’un D’ absent. La terminologie kabbalistique préférera parler d’une divinité sans limite, Ein-Sof, et donc inaccessible. D’ n’a pas de visage, n’a pas de présence ni de corps. Il est parole qui s’adresse à Avraham et à Moché, ce dernier n’accédant à la vision de la divinité, dit le texte, que de dos, bien que le prophète lui ait parlé face-à-face, panim ‘al panim. Dans la Tora D’ Se matérialise par le souffle et le feu. Du buisson ardent qui brûle sans se consumer à la fameuse colonne de fumée accompagnant l’errance des Hébreux au Sinaï.
Quant à la Création, c’est-à-dire notre univers, dans Kohélet, elle se caractérise par le vent, l’inanité et l’illusion – c’est ce dernier mot qui est privilégié dans l’une des dernières traductions de ce livre, celle de Jean-Jacques Wahl [Illusion des Illusions, Desclée de Brouwer, 2011]. Il existe des centaines de traductions de ce livre qui apparaît, de loin, comme le plus prisé et privilégié de toutes les écritures saintes. Le monde chrétien, à partir de St-Jérôme, va entendre vanitas vanitatum omnia vanitas, vanité des vanités, tout est vanité. Qu’est-ce, donc, que ce vain, ce souffle, ce vent, cette illusion, cette inanité… ?
Le premier verset signe ce livre : « Paroles de Kohélet, fils de David, roi à Jérusalem », mais ne le signe qu’en apparence, à moins de penser que l’auteur en serait Chelomo, le roi qui a bâti le Temple et qui est fils de David et de Bethsabée. Mais nous savons, par l’histoire des écrits, que les scribes, toujours anonymes, avaient coutume d’attribuer au Grand, au Roi, au Seigneur la paternité de leurs écrits, ainsi en va-t-il du Cantique des cantiques, des Psaumes et de L’Ecclésiaste. Mais qu’importe l’auteur, seul le contenu nous intéresse, et s’il est vrai que dans les deux premiers, chants d’amour et sommet lyrique de la poésie hébraïque la paternité de David, musicien et harpiste, pourrait aller de soi, dans ce dernier livre, qui se veut tout de sagesse, l’attribution à Chelomo, roi à la sagesse légendaire, paraît alors fort naturelle.
Le Sage, avec une majuscule et en majesté, ouvre la bouche et déclare, abruptement, car nous recevons sa phrase comme une claque : Havel havalim hakol havel. Cette métaphore est vent qui fouette le visage, une phrase qui sera répétée en permanence au long du traité, parcouru comme par un souffle constant, qui constitue un ensemble éminemment poétique. On le sent à l’oreille savamment forgé dans l’agencement des consonnes et des voyelles, le jeu sur la vibration du V et l’aspiration du H : 3 V et 4 H noyés dans 4 L, consonne liquide ; et juste un mur pour retenir le flux du vent sans quoi on ne le percevrait pas, c’est le K, consonne occlusive sourde, de hakol, cet hakol qui surgit au milieu, abrupt et rude, autant qu’un mur, un kotel, où frapper son front. À quoi s’ajoute la tonalité en A, la lettre A répétée cinq fois, qui, voyelle la plus ouverte, suggère une nécessaire horizontalité. Cette horizontalité dessine, précisément, la surface du vent, du vent qui souffle sur la face de la terre. Il y a là comme un écho de cet avant la Création exprimé aux premières lignes de Berechit par le fameux tohu-bohu / tohou va bohou. Le vain, le vent est la tonalité initiale et permanente de Kohélet. Et au final, nous trouvons un puits…
Le puits. Le puits d’encre du scribe, le puits qui s’ouvre au néant :
Avant que lâche le fil d’argent, que la coupe d’or se brise, que la jarre se casse à la fontaine, que la poulie se rompe au puits et que la poussière retourne à la terre comme elle en est venue…
Ainsi, avant que les yeux ne se ferment, qu’ils sachent voir clairement le bout du chemin et embrasser toute l’existence, tout le vivre ramené à une seule formule kabbalistique :
Havel havalim hakol havel
הבל־הבלים־הכל־הבל
Quelle que soit la façon de la traduire : vanité des vanités, futilité des futilités, fumée des fumées ou illusion des illusions, cette phrase renvoie clairement au premier homme, ou plutôt au troisième. Adam est de terre et porte la Création, son premier-né, Caïn, est de pierre, avec laquelle il frappe son frère pour le tuer, mais Abel (Havel הבל), le cadet et troisième homme, est toute évanescence. Il n’est rien, il naît, grandit, fait paître son troupeau, offre une brebis au Très-Haut, qui agrée son offrande, son frère en est jaloux, lui qui ne sait offrir que quelques fruits de la terre : alors, il le tue. Meurtre primordial : la terre crie de ce sang répandu. La terre n’a cessé de pleurer pour tout ce qu’elle produit et meurt et s’en retourne à la terre. C’est pourquoi Kohélet, ce prédicateur qui parle, clame et crie dans le désert, dit que
Poussière tu es et tu retourneras à la poussière.
Comme Abel. Tout est Abel / Havel. Tout est promis à la mort. Tout fait retour à la terre. Telle est la leçon de Kohélet.
Qui dit cela ? Dans la fiction de ce texte, c’est le plus grand des hommes du moment, le fils de David, le roi de Jérusalem, oui, c’est Chelomo, le bâtisseur du Temple, le plus sage d’entre tous. D’un long regard il a embrassé tout l’espace – celui d’une vie et de toutes les vies – et le temps, le temps qui passe et tous les temps. Il s’appuie sur son sceptre d’or, il en contemple le vain éclat, il regarde sa lignée, immense, toutes ses femmes, le plus grand harem d’Orient, et sa riche progéniture, et puis ses palais, et le Temple, et la grandeur des pierres, et voilà : de tout cela, dit-il, il ne restera rien, car avec Sa Création, le Très-Haut a créé Abel / Havel, le premier homme qui meurt tout de suite (alors qu’Adam vivra près d’un millénaire… mais en pure perte). Tout n’est que poussière. Et tout est vanité. Ce mot havel est répété constamment au long de ce bref traité que nous connaissons aussi sous le nom d’Ecclésiaste. Parce que travail de clerc et prêche de prédicateur. Infinis sont les commentaires et gloses accumulés sur cet opuscule – au point de l’offusquer, d’en ternir l’éclat, immédiat et simple. Il suffit de dire, de répéter, de marteler havel en soulignant qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil – formule copieusement répétée aussi. L’espace et le temps sont immuables. Nous seuls passons et changeons. Enfin, sans changer, puisque notre destin de fils d’Adam, et donc de la terre / adama, est de rejoindre le Créateur et Adam, en retournant à la terre, en son sein. On connaît le point de vue de la science – et de Lavoisier – : « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ». La chose est rassurante pour qui a l’espoir de survie chevillé au corps depuis des millénaires. Quelle que soit la forme de cette survie.
Les premiers hommes à inventer un culte ont commencé par enterrer leurs morts. Auparavant, voici plus de trente millénaires, les hommes vivaient comme des bêtes – mais quelle différence, nous dit Kohélet ? Hommes et bêtes connaissent pareillement un même destin : poussière ! Et puis ces premiers hommes se sont redressés, ils ont pris de la stature et de la hauteur, assez pour se pencher sur le corps de celui qui venait de mourir et creuser la terre afin de lui donner un lit de sommeil éternel. L’homme, pour la première fois dans l’histoire (finie, infinie ?) de l’humanité, a compris qu’il était un être minéral, une créature de glaise, un Golem au dire des kabbalistes, une motte, un rien du grand Tout, une poussière. Et il a découvert, du même coup, le regard du Créateur dont l’œil solaire brûlait sa peau. D’ est feu et l’homme est terre (malicieusement, on dira que la femme aussi est feu – esh אש / isha אשה –, il est vrai qu’elle est porteuse de création, à sa petite échelle). Sauf qu’il ne le sait pas, qu’il ne le sait plus. Il s’est dressé – homo erectus −, il se croit grand, il se prend même pour rival de D’ – il Le conçoit à son image −, il va jusqu’à bâtir une tour de Babel, une ziggourat, et à défier le Ciel. Alors de tout là-haut, depuis sa splendeur de monarque absolu, Chelomo– quel que soit le nom de Kohélet – nous dit qu’il va mourir, que nous allons tous mourir, mais que c’est un destin commun, celui des hommes, des bêtes et des choses : hakol havel – tout est évanescence, tout est nature d’Abel. Et cela aussi est bon, car obéissant à l’ordre naturel.
On dit que la vieillesse, le plus souvent, conduit à l’indifférence. Et l’on a tendance à croire que ce repli, ce reflux d’énergie, de force, de projet, est défaut sénile, sans voir que c’est attitude de sagesse. Le sage est celui qui ne s’étonne de rien, que ne l’a-t-on dit ? − à l’inverse d’André Gide, ce miroir de lui-même, qui pensait le contraire ! Le sage est celui qui, en fin de compte ou en bout de course, admet la vanité des jours écoulés, l’inanité de l’accumulation de biens qui fait notre quotidien, ce que l’on a justement appelé « la part maudite » − cette « énergie excédante » dont parle Georges Bataille. Et son regard nous dit, à nous qui luttons encore – struggle for life −, qui vivons d’espoir et d’avenir, nous qui nous battons pour un lopin de terre, ou pour rentrer d’inutiles objets au logis, que tout cela ne mène à rien, c’est-à-dire au néant de la terre, au trou noir, au puits, à la fosse. Pourtant, en fin de livre, le scribe a cru bon, après cette grande lessive des espoirs et cet assaut de vanités, de nous dicter un mode de conduite : « Crains D’ et observe Ses commandements : car c’est là tout l’homme », et pour le cas où l’on n’entendrait pas la logique de ce discours, Kohélet le répète encore. C’est la fin du livre. Mais nous revoilà au commencement, parce que cet ouvrage, comme le voulait Jorge Luis Borges, est Livre de sable : lorsqu’on en a tourné la dernière page, on se retrouve tout au début. De même que la Tora, au jour de Sim’hat Tora, qui redémarre sitôt achevée sa lecture, si bien qu’Israël, son dernier mot, s’enclenche tout aussitôt sur Berechit Bara. Le dernier est le premier, et vice versa. Éternel recommencement :
Tous les fleuves vont à la mer et la mer n’en est pas remplie.
Nous vivons dans un monde illusoire, un monde qui obéit à une logique qui n’est pas la nôtre, que nous ne pouvons percevoir :
Ce qui a été c’est ce qui sera ; ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera : il n’y a rien de nouveau sous le soleil.
Et Kohélet de lâcher sa leçon ou son testament :
J’ai vu toutes les œuvres qui sont accomplies sous le soleil : eh bien ! tout est vanité et pâture du vent – Hakol havel ouré’out roua’h.
Alors oui, nous pouvons dire que nous sommes bien dans le domaine de havel havalim. Et tant que la poulie grincera au-dessus de la margelle du puits, gardons assez les yeux ouverts et le regard lucide pour entendre la voix tonnante du prédicateur : nus nous sommes nés et repartirons nus, tout le reste n’est que vent de paroles.
La parole, il n’y a que cela de vrai. Davar, ce rien, ce tout. Tout est dans la parole, que l’on entend tonner au premier jour de Berechit, mais davar signifie aussi rien (Choum davar, en hébreu, signifie « rien du tout »), et davar se retrouve dans le vocable midbar, le désert. De là vient l’expression « prêcher dans le désert », puisque parole et aridité des sables se confondent. Et donc ce rien est tout. Si on lit Kohélet comme un traité de sagesse, et c’est bien ce qu’il est – à l’instar, disons, du Manuel d’Épictète ou des Pensées de Marc-Aurèle, maîtres du stoïcisme grec – on n’oubliera pas qu’il est avant tout ouvrage de parole, et l’on se laissera bercer, séduire, transporter, ravir par l’immense poésie du verbe, véhicule de la sagesse.
La poésie est partout dans Kohélet, on y trouve même un alexandrin parfait pour exprimer un étonnant proverbe : « mieux vaut chien vivant que lion mort » (l’espagnol dirait, semblablement mejor ser cabeza de ratón que cola de león), que le scribe écrit en deux hémistiches balancés de six vers chacun :
Lekhelev ‘haï hou tov / min haaryé hamet.
La première phrase du traité, toute vanité, ne peut déboucher que sur la fin de la vie, la fin du monde, ce petit monde fini :
‘ad asher lo yera’heq ‘hevel hakessef vetarouts goulat hazahav vetishaver kad ‘al hamabou’a venarots hagalgal el habor
qu’André Chouraqui traduit ainsi :
jusqu’à ce que se rompe la corde d’argent
que la sphère d’or se fracasse
la cruche se brise sur la cascade.
Il est à signaler l’incroyable ponctuation des mots tous oxytons, c’est-à-dire portant l’accent sur la dernière syllabe, ce qui donne au tercet comme un martèlement, une clôture de discours et de voix : tout s’arrête sur cette « roue » si sonore avec la répétition de gal : hagalgal, et sur ce habor, que Chouraqui colore de l’expressif « cascade », et qui signifie « le puits » (et aussi la fosse, et même la tombe), comme un balbutiement, un bredouillement, un prélude au dernier soupir et à l’achèvement au fond de ce puits d’encre – bor, avec cet « o » rond comme un trou – qui est la voix enfouie, la bouche ouverte du mort, la plongée au néant.
La leçon est rude, car elle prône le dénuement et le désabusement. C’est un sage chargé d’ans qui a écrit ce texte, quelqu’un qui a vécu, qui a joui de la vie, et des merveilles du monde, mais qui nous met en garde : rien n’est à demeure, tout est illusoire, et la vie est un songe – comme le dira aussi le dramaturge espagnol Calderón dans sa pièce La vida es sueño. Un songe qui peut être beau et merveilleux, mais qui est affecté d’une tare originelle : la durée limitée, la brièveté. L’homme s’inscrit dans le temps, pas dans l’espace qui est le lieu de la matière et des quatre éléments – l’air, le feu, la terre et l’eau. L’homme est un havel, c’est là toute la leçon. Et si l’on n’a pas compris, ce Monarque supposé, ce Grand entre les grands, insiste et martèle, en détaillant le programme des vanités :
J’entrepris de grandes choses, je me suis bâti des maisons, je me suis planté des vignes, je me suis fait des jardins et des vergers… je me suis fait des piscines… J’ai acquis des esclaves et des servantes… j’ai amassé pour moi de l’argent et de l’or… je me suis procuré des chanteurs et des chanteuses… Rien de ce que mes yeux désiraient je ne leur ai refusé : je n’ai privé mon cœur d’aucune joie.
Et soudain tombe le couperet du jugement désabusé – ce que l’on appelle sagesse :
Mais quand je me suis mis à considérer toutes les œuvres accomplies par mes mains et toute la peine que je m’étais donnée pour agir, j’ai constaté que tout était vanité et pâture du vent – hakol havel ouré’out roua’h – et qu’il n’est point d’avantage durable sous le soleil – ta’hat hachemesh.
Et si l’on n’a pas compris que l’homme n’est que contingence, inscrit dans la vanité du sablier, soumis à la durée du temps et à l’éphémère, alors Kohélet va nous le marteler, dans cette péroraison aussi connue qu’admirable, et tant de fois citée :
Il est un temps pour naître et un temps pour mourir, un temps pour planter et un temps pour déraciner…, un temps pour tuer et un temps pour guérir, un temps pour démolir et un temps pour bâtir ; un temps pour pleurer et un temps pour rire ; un temps pour se lamenter et un temps pour danser… un temps pour la guerre et un temps pour la paix…, un temps pour se taire et un temps pour parler…
Le temps, par définition, est compté et, donc, cette parole doit s’interrompre, car « D’ a fixé un temps pour chaque chose ». Et chaque chose, chaque être, et cette parole, cette encre qui sort de l’encrier ou se projette sur l’écran de l’ordinateur, n’est que « pâture du vent ». Telle est la sagesse de ce traité exemplaire, la leçon hébraïque, cette éthique du renoncement et du stoïcisme. Avec ce beau retournement final à l’adresse du scribe, comme s’il se donnait à lui-même une leçon de modestie : « Prends garde, mon fils, faire beaucoup de livres, cela n’a pas de fin », car à vouloir tout coucher par écrit, commente astucieusement Rachi, nous ne finirions jamais. Même l’écriture est vaine, parce que limitée, contingente autant que celui qui la trace et qui parle. On comprend par là-même la concision de ce traité de Kohélet, l’un des plus courts de tous les Écrits / Ketouvim.
Et par ces temps de retrait, de confinement, de masque, de retenue et de bouche cousue, Qohélet est d’une lecture profitable, utile, réconfortante. Car si l’homme (et quand je dis l’homme je veux dire l’humain, homme ou femme) veut rester cet homo erectus qui a développé son cerveau et réfléchi sur lui-même, il n’ira pas se perdre dans la vanité du divertissement et de l’oubli de soi. Joie de l’immense lecture de ce petit livre.
Une note personnelle et rassurante pour finir : mon oncle était laveur de morts – membre des hebri, disait-on au village. Lorsque sa sœur, ma mère, est morte et qu’on a suivi son corps jusqu’à la fosse, au cimetière de Pantin-Parisien (NDLR : Aï !), Samuel, mon oncle, qui avait déjà passé quatre-vingt-dix ans et portait une longue barbe blanche, a pris la tête du cortège, et là, se tournant vers moi, inondé de douleur, il a clamé et répété plusieurs fois : « Il ne faut pas pleurer, mon fils, la mort, elle est belle ! » C’est comme ça qu’il disait. Oui la mort est belle lorsqu’elle vient à son heure et au terme d’une existence accomplie. C’est bien cela la leçon de Kohélet, l’acceptation d’un destin. La jubilation d’être homme ou humain, un mensch accompli, d’être un Adam en ayant à l’esprit que ce mot signifie terre – adama –, c’est-à-dire poussière, autant dire éternité.
Albert Bensoussan