Quand Beyrouth est poussé par le Hezbollah… vers un accord avec Israël.
Les différentes éliminations des dirigeants du Hezbollah et du Hamas les mettent dans une position de faiblesse. Les deux entités terroristes appellent soit ouvertement, soit discrètement, à l’aide. Le Hamas est à court de terroristes et d’armes, alors qu’il est décapité en partie, et le Hezbollah sait que tout conflit armé avec Israël lui sera fatal. La survie du Hezbollah au Liban dépendra de la paix ou de la guerre avec Israël. Si Beyrouth se transforme en Gaza, ce sera le cimetière du Hezbollah.
Dans son discours vendredi, Hassan Nasrallah s’est dit prêt à des négociations après la guerre à Gaza. Trois jours plus tard, Nagib Mikati lui emboîtait le pas…
Hassan Nasrallah a donné le « la ». Vendredi, dans son dernier discours, le secrétaire général du Hezbollah a entrouvert la porte à un règlement politique avec Israël pour stabiliser à long terme le Liban-Sud. À peine trois jours plus tard, le Premier ministre sortant Nagib Mikati lui a emboîté le pas. Dans une interview accordée à la chaîne al-Hurra, il a assuré son appui (et même celui du parti chiite) au « choix de la paix » et précisé les conditions de Beyrouth pour aboutir à un accord. Ce même Nagib Mikati affirmait pourtant, au tout début du Déluge d’al-Aqsa, que la décision de la guerre et de la paix n’était pas entre les mains de son gouvernement. Cette ouverture importante intervient à l’approche d’une visite à Beyrouth de l’émissaire américain Amos Hochstein, chargé de désamorcer l’escalade entre le Liban et Israël.
À quel prix ?
Parce que si le Premier ministre a choisi une chaîne américaine pour évoquer la « solution diplomatique » au conflit en cours depuis le 8 octobre, c’est parce que les destinataires de ce message se trouvent surtout à Washington. Soucieuse d’empêcher un embrasement au Liban – et de mettre rapidement fin à la guerre entre Israël et le Hamas –, l’administration de Joe Biden multiplie les efforts diplomatiques et fait pression sur Tel-Aviv. Dans ce cadre, le secrétaire d’État américain Antony Blinken est arrivé lundi soir en Israël, dans le cadre d’une tournée régionale qui l’a également emmené en Turquie et en Arabie saoudite, pour des discussions « ardues » autour d’une désescalade. Concernant le Liban-Sud, le plan US, porté par Amos Hochstein, repose sur une délimitation de la frontière terrestre entre le Liban et Israël et le règlement des 13 points encore litigieux. On parle même d’un retrait des Israéliens des fermes de Chebaa, territoire occupé par Tel-Aviv, mais contesté entre Beyrouth et Damas. Le retour de ce petit bout de territoire – perdu par la Syrie suite à la guerre de 1967 – « sous la souveraineté libanaise », est cité par Nagib Mikati comme la principale condition pour un accord. En échange, il affirme que le Hezbollah serait prêt à se retirer de la région entre le Litani et la frontière, conformément à ce que prévoit la résolution 1701 du Conseil de sécurité. De leur côté, les membres du cabinet de guerre de Benjamin Netanyahu semblent cantonnés à une logique beaucoup plus belliqueuse, multipliant les menaces à l’encontre du Liban.
Israël voit une fenêtre en ce moment pour en finir avec la menace du Hezbollah, afin de ne pas refaire la même erreur faite avec le Hamas, en laissant croitre les capacités de l’ennemi, rendant plus difficile par la suite toute action de représailles
La perspective d’une guerre imminente ainsi que les assassinats en série de dirigeants de l’« axe de la résistance » semblent ainsi rendre le statu quo intenable. Le Hezbollah semble également conscient du fait que les Américains pourraient lui payer (ainsi qu’à son parrain iranien) un prix politique conséquent en échange d’une désescalade. La rhétorique inédite employée par le trublion chiite lors de son dernier discours confirme d’ailleurs cette tendance. Lui qui menaçait d’annihiler tout simplement Israël et de détruire Tel-Aviv affirme désormais ne pas « viser les civils » de l’autre côté de la frontière, se réjouit du fait que la solution à deux États soit à nouveau d’actualité et emploie pour la première fois les termes « négociations », « accord » et « solution ».
Répartition des rôles
Mais comment négocier sans paraître comme n’ayant pas tenu parole après avoir affirmé que l’heure des négociations ne sonnera qu’après la fin de la guerre à Gaza ? Le parti chiite parait avoir fait le choix de se cacher derrière le « Liban officiel », représenté par le Premier ministre. Cela lui permet notamment de donner un gage de bonne volonté aux Américains et de leur dire que si escalade il y a, ce serait la faute des Israéliens. Réputé pour sa proximité avec le Hezbollah, mais aussi avec les capitales occidentales, Nagib Mikati semble donc fait pour ce rôle. D’ailleurs, il n’aurait sûrement pas pris une position aussi sensible sans le feu vert du tandem chiite Hezbollah-Amal, son principal soutien politique. Contactés pour confirmer, les proches des deux formations refusent en vrac de commenter l’affaire. « En général, la coordination avec M. Mikati est constante sur tous les dossiers, remarque Kassem Kassir, un analyste proche des milieux du parti chiite. Sur ce dossier en particulier, le Hezbollah travaille également en étroite collaboration avec l’ancien directeur de la Sûreté générale Abbas Ibrahim et le vice-président de la Chambre Élias Bou Saab. » Ce dernier s’est entretenu mardi avec Amos Hochstein à Rome, en amont de la visite de ce dernier à Beyrouth, prévue jeudi.
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cette répartition des rôles est employée avec habileté par le Hezbollah. En octobre 2022, la démarcation de la frontière maritime entre Israël et le Liban était, dans la pratique, un accord tacite entre les Américains et le Hezbollah. Quand bien même ce dernier se cachait derrière l’État libanais, Hassan Nasrallah répétant dans tous ses discours de l’époque ne pas être impliqué dans les négociations « qui ne concernent que les autorités » dont il respecte la décision. Cela n’a pas empêché le leader chiite, une fois l’accord scellé, de le présenter comme une victoire pour son parti, presque un cadeau désintéressé de Haret Hreik aux Libanais. Et tout semble indiquer que le parti chiite va faire de même cette fois-ci. Lors de son allocution, Hassan Nasrallah a pris le soin de souligner que si le Liban est aujourd’hui « face à une opportunité historique pour libérer son territoire », c’est « grâce au soutien de la résistance à Gaza ». Même au cours de cette guerre, en novembre dernier, M. Mikati avait déjà appelé à la mise en place d’un « plan politique » pour éviter une escalade qui plongerait le Liban encore plus dans le conflit. « Il faut reconnaître le droit d’Israël et des Palestiniens… Je suis convaincu que cela poussera le Hamas et le Hezbollah à se désarmer », avait-il affirmé dans un entretien accordé au magazine britannique The Economist, présentant un plan de paix pour… le conflit israélo-palestinien. Rien que ça.
JForum.fr et AFP