Le Hezbollah et l’Intifada WhatsApp

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Le Hezbollah et l’Intifada WhatsApp

Analyse: Tandis que les manifestants irakiens se sentent assez enhardis pour brûler les drapeaux iraniens et scander des slogans anti-iraniens, au Liban même le Premier ministre hésitait à appeler le Hezbollah ou l’Iran par leur nom

La crise économique qui a entraîné des manifestants dans les rues du Liban dure depuis le “Printemps arabe” de 2011 ; tous les quelques mois, des manifestations éclatent, déclenchées par différents événements.

Une manifestation portait sur des ordures non ramassées, une autre sur une proposition d’augmentation des taxes et une autre encore sur des réductions de salaire pour les fonctionnaires et les militaires. Mais les manifestations qui ont commencé le mois dernier ont été plus importantes que jamais depuis la guerre civile libanaise de 1976.

Manifestations de masse à Beyrouth contre la politique économique du gouvernement (Photo: MCT) (Photo: MCT)

Manifestations de masse à Beyrouth contre la politique économique du gouvernement (Photo: MCT)

Ce mouvement a été surnommé “l’Intifada WhatsApp” en raison d’un effort du gouvernement visant à taxer les appels de messagerie instantanée, ce qui a réduit les bénéfices des entreprises de téléphonie mobile.

Les dernières manifestations ont éclaté alors même que le Liban fait face à une calamité économique avec l’une des dettes proportionnelles les plus élevées au monde : 85 milliards de dollars.

Le taux de chômage des jeunes Libanais avoisine les 36% et, alors que la population augmente, la croissance économique est inférieure à 1% depuis huit ans.

Les États-Unis ont imposé de lourdes sanctions à l’organisation du Hezbollah, soutenue par l’Iran, mais étant donné que ce groupe fait partie du gouvernement et est impliqué dans ses institutions, ces sanctions ont des conséquences néfastes sur l’économie, déjà défaillante.

Les Libanais protestent contre les mesures d'austérité (Photo: AFP)

Les Libanais protestent contre les mesures d’austérité (Photo: AFP)

 

L’organisation chiite détient trois portefeuilles gouvernementaux – y compris le ministère de la Santé bien financé – et le président chrétien du Liban, Michel Aoun, n’est guère plus que son pantin.

Les problèmes politiques et économiques du Liban sont inextricables. Le contrôle croissant exercé par l’Iran sur le pays et la puissance croissante du Hezbollah ont éloigné les investissements étrangers, ce qui a paralysé l’économie locale.

Fouad Siniora, qui était Premier ministre lors de la Seconde guerre du Liban en 2006, a déclaré que son pays souffrait de deux grands maux: l’un était la crise financière qui résultait du refus du gouvernement de mettre en œuvre des réformes indispensables, et l’autre était ses groupes ethniques distincts qui considèrent d’abord leurs besoins propres par rapport aux besoins du pays dans son ensemble.

Le Hezbollah est l’incarnation même de cet état de fait, opérant en tant qu’Etat dans l’Etat et menant un conflit en cours avec Israël aux dépens du peuple libanais, ce qui fera du territoire libanais un champ de bataille dans tout conflit entre l’Iran et Israël.

Les récentes manifestations sont le reflet de l’emprise du Hezbollah sur le pays et de la peur qu’en éprouve l’opinion publique.

Les manifestants ont pris pour cible les bureaux du mouvement chiite Amal, appelant à la démission de son chef, tandis que le Hezbollah et l’Iran n’étaient pas du tout menacés directement par la colère publique.

Bien que les Libanais comprennent que désarmer le Hezbollah fait partie de la solution à leurs problèmes économiques, ils sont paralysés par la peur. Le discours du dirigeant du Hezbollah, Hasan Nasrallah, samedi, mettait en garde les manifestants contre le fait de transformer leur manifestation en manifestation politique.

Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah

Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah

“Le secret de leur succès”, a-t-il déclaré à propos des manifestants, “est qu’ils s’abstiennent d’accuser les partis politiques ou de prendre des mesures politiques”.

Afin de garder ses distances avec tout débat sur le contrôle de l’Iran au Liban, Nasrallah a insisté sur le fait qu’aucune entité politique n’était responsable de la crise, affirmant qu’elle résultait de 20 à 30 années de négligence économique de la part de tous les partis et gouvernements libanais.

Mais si on cherche la preuve que les manifestations libanaises sont déjà politiques, on la trouve dans les manifestations en Irak, il y a seulement deux semaines.

De nombreux Libanais ont exprimé leur soutien aux manifestants en Irak et constatent de nombreuses similitudes entre les manifestations qui se déroulent dans les deux pays. Des manifestants sont descendus dans la rue pour condamner la corruption, la pauvreté et le contrôle de l’Iran sur leurs gouvernements.

Les milices chiites pro-iraniennes au Liban et en Irak défendent leurs propres intérêts sans supervision ni intervention du gouvernement. La seule différence notable est que la mainmise de l’Iran sur l’Irak n’est pas aussi complète qu’au Liban.

Il existe une opposition irakienne au gouvernement pro-iranien, principalement dans le sud appauvri situé entre Najaf et Basra. Les manifestants irakiens se sont donc sentis encouragés à brûler les drapeaux iraniens et à lancer des slogans anti-iraniens, tandis qu’au Liban, même le Premier ministre hésitait à appeler le Hezbollah ou l’Iran par son nom.

La crainte du Hezbollah que les manifestations dans le sud de l’Irak puissent être imitées au Liban est compréhensible. En fait, c’est pour cette raison que Nasrallah a choisi de ne pas critiquer les manifestants.

Sa principale préoccupation est que d’autres résidents chiites, ceux qui sont touchés par les sanctions américaines, décident de se joindre aux manifestations.

Manifestations de masse à Beyrouth contre la politique économique du gouvernement (Photo: EPA)

Manifestations de masse à Beyrouth contre la politique économique du gouvernement (Photo: EPA)

 

Les images de manifestants dans le sud du Liban, à majorité chiite, inquiètent le clerc pro-iranien. Les manifestants ont bloqué les routes et critiqué Nasrallah: “Vous nous avez affamés et ensuite, vous vous êtes joint le gouvernement de Hariri”, ont-ils crié.

Les manifestations au Liban se poursuivent et Nasrallah doit se demander si Hariri les utilisera contre le Hezbollah et son chef.

Car si elles échappent à tout contrôle, elles pourraient exploser au visage du Hezbollah.

Dr. Yaron Friedman | Publié: 10.25.19, 19:18

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