Source : INSS Institut d’études stratégiques de l’université Bar Ilan, Tel-Aviv
Orna Mizrahi, Yoram Chvaïtzer
Les médias arabes se sont récemment préoccupés d’un éventuel déclenchement, cet été, d’un conflit entre Israël et le Hezbollah. Même avant la dernière escalade de la tension entre les États-Unis et l’Iran, il était constamment possible que l’Iran utilise le Hezbollah afin d’attaquer Israël. Toutefois, dans ses récents discours, le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est empressé de tempérer ces allégations, sans omettre d’envoyer des messages à Israël, afin que celui-ci s’abstienne de prendre des mesures à l’encontre de l’organisation chi’ite. Il a affirmé que le Hezbollah avait la capacité de frapper des sites stratégiques sur le territoire israélien ainsi que d’occuper des parties de la Galilée.
Ses déclarations reflétaient les difficultés du Hezbollah consécutives à son implication dans la guerre en Syrie, ainsi que son souci de l’érosion de la place du Hezbollah dans le système politique libanais, mais également à cause des problèmes économiques du Hezbollah consécutifs aux sanctions américaines contre l’organisation et son patron, l’Iran.
Cependant, même si le Hezbollah, à l’heure actuelle n’a aucun intérêt à une confrontation avec Israël, il n’est pas possible d’exclure une escalade provoquée par un enchaînement incontrôlé d’incidents frontaliers. C’est pourquoi Israël doit se préparer à toute éventualité dans le nord du pays.
La possibilité d’une guerre entre le Hezbollah et Israël a récemment été évoquée dans les médias arabes, en particulier ceux des États du Golfe, de la Syrie et du Liban. Cela à cause des déclarations attribuées à Nasrallah dans le journal koweïtien Al-Rai (21 avril), qui rapportait que lors d’une réunion à huis clos avec les officiers supérieurs du Hezbollah, Nasrallah avait affirmé « préparer une guerre avec Israël pour l’été 2019 ». Nasrallah a démenti ces déclarations, mais en même temps, il a envoyé un message dissuasif à Israël, soulignant la capacité du Hezbollah, malgré la destruction par Israël des tunnels offensifs traversant la frontière, à frapper Israël et occuper le nord de la Galilée,
Dans un discours prononcé lors d’une cérémonie marquant le 34e anniversaire de la fondation de l’organisation de scouts Al-Mahdi (journal Al-Miyadin du 22 avril), Nasrallah a démenti les informations du journal koweïtien et a déclaré qu’Israël ne lancerait pas de guerre contre le Liban, sachant que le front intérieur israélien n’était pas préparé à la guerre. Nasrallah a souligné la vulnérabilité d’Israël, donnant en exemple la roquette tirées depuis Gaza vers le centre d’Israël, au mois d’avril dernier et qui n’a pas été abattue.
Dans un autre discours (journal Al-Manar du 2 mai), que Nasrallah a prononcé en mémoire de Mustafa Badr al-Din, assassiné en Syrie en 2016, il a mis en doute la volonté d’Israël d’entrer en guerre à Gaza car,
selon Nasrallah, « Israël a peur d’entrer dans la bande de Gaza ». Et il a enchaîné : « si les forces israéliennes entrent au Liban, elles seront anéanties ».
Le chef du Hezbollah a fait allusion à la capacité du Hezbollah de détruire des cibles stratégiques israéliennes, telles des réservoirs d’ammoniaque à Haïfa. Ces coups seraient portés lors de l’invasion de la Galilée par le Hezbollah. Nasrallah a affirmé que la destruction des tunnels à la frontière israélo-libanaise ne portait pas atteinte à sa capacité de prendre le contrôle de la Galilée.
D’après Nasrallah les conditions géostratégiques actuelles ne lui permettent pas d’engager un conflit avec Israël. Donc pour sa part, le Hezbollah, à ce stade, est intéressé surtout à dissuader Israël. D’autant plus, que son implication continue dans la guerre civile syrienne nécessite une mobilisation de ressources de plus en plus conséquente. La guerre en Syrie a eu de lourdes conséquences pour le Hezbollah. 1800 de ses membres ont été tués et 8 000 autres blessés. L’organisation est contrainte de financer les familles des victimes et d’investir dans la réhabilitation des blessés. Nasrallah est aussi intéressé à la sauvegarde des acquis du Hezbollah dans le système politique libanais. Cela s’est traduit par les résultats des élections de mai 2018 et la formation du nouveau gouvernement, dans lequel les membres de l’organisation ont acquis une majorité de fauteuils ministériels. Le Hezbollah a un droit de veto sur les décisions gouvernementales et contrôle les principaux portefeuilles budgétaires. Une aventure militaire pourrait compromettre ces acquis.
Parallèlement à tous ces faits, apparaissent des signes d’aggravation de détresse économique du Hezbollah. L’organisation a été obligée de réduire les salaires et les avantages sociaux accordés à ses employés civils. En même temps, une forte réduction des soldes a été appliquée aux combattants, mariés ou non. Les salaires des prestataires de services du Hezbollah dans la communication, l’éducation et la médecine ont également été réduits. Certains employés d’institutions religieuses n’ont pas été pas payés depuis plusieurs mois. En outre, l’organisation a fermé plusieurs centaines de bureaux afin de réduire les charges et a cessé les embauches. Pour remplir les caisses le Hezbollah a fait appel au grand public pour stimuler des dons. Même des « fonds de charité » ont été complètement suspendus.
Les dégâts sont amplifiés par la situation économique difficile au Liban. L’utilisation des fonds publics, qui permettait au Hezbollah de dispenser des services sociaux à la population nécessiteuse est devenue impossible. Les tentatives du Premier ministre Hariri de promouvoir un « budget d’austérité », pour freiner le déficit abyssal, se sont heurtées à une opposition interne et n’ont pas réussi. Les sanctions américaines imposées à l’organisation et d’autres initiatives monétaires américaines visant à étrangler l’économie, telles que le récent appel (au gouvernement libanais) du département du Trésor américain de lui fournir des informations sur les circuits financiers du Hezbollah, complètent le sombre tableau des finances de l’organisation.
Aux difficultés propres du Hezbollah, s’ajoute le marasme de son « sponsor », l’Iran. Soumis à de lourdes sanctions américaines, le pays des ayatollahs a de plus en plus de mal à compléter le budget du Hezbollah. On estime que l’Iran transfère environ 700 millions de dollars par an, sur un budget total de 1,1 milliard de dollars, bien qu’il n’y ait toujours pas d’informations sur l’ampleur des compressions budgétaires.
Sur la scène politique, la pression augmente sur le Hezbollah, en particulier après l’adhésion britannique (février 2019) à des pays qui reconnaissent l’ensemble de l’organisation (y compris son aile politique) en tant qu’organisation terroriste. Ce sont les États-Unis, le Canada, les Pays-Bas et Israël. La reconnaissance américaine de la souveraineté d’Israël sur le Golan en mars 2019, a accentué la pression politique sur l’organisation. De plus, le débat renouvelé (bien que limité) sur l’appartenance des fermes de Chebaa au Liban ou à la Syrie, alourdit le climat entre les deux pays. Dans ce contexte, les déclarations du leader druze libanais Walid Joumblatt, affirmant dans une interview accordée à la télévision russe le 25 avril, que ces fermes n’étaient pas libanaises, ont fait vivement réagir le Hezbollah, qui rapidement a démenti ces affirmations.
Notons la molle réaction du Hezbollah, à la découverte et la destruction des tunnels pénétrant dans le territoire israélien. Cela pourrait indiquer une « frilosité stratégique » à engager un conflit avec Israël. Récemment (25 avril), la FINUL a annoncé avoir reconnu trois tunnels du Hezbollah pénétrant en Israël, et avait, en accord de la résolution 1701 de l’ONU, appelé à leur destruction, légitimant ainsi l’action israélienne.
Cependant, les défis économiques n’empêchent pas le Hezbollah de se préparer à un éventuel conflit avec Israël. L’organisation dispose de diverses sources de financement et au fil des années, elle a accumulé de nombreux actifs utilisables à cette fin. Par ailleurs, l’instabilité de la région nous interdit d’exclure une explosion, surtout si les intérêts de l’Iran prévalent sur ceux du Hezbollah. Ainsi, même si cela contredit les intérêts actuels des deux parties, Israël doit se préparer à la possibilité d’une guerre dans le nord. EG♦
Traduit et adapté par
Edouard Gris, MABATIM.INFO