Le grand défi

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« Bien-aimé est l’homme pour avoir été créé à l’image [de D’] ; c’est un surcroît d’amour que de lui avoir fait savoir qu’il a été créé à l’image [de D’], car il est dit : « Car c’est à l’image de D’ qu’Il créa l’homme. » Bien-aimé est le peuple d’Israël pour être appelé “enfants de D’” ; c’est un surcroît d’amour que de leur avoir fait savoir qu’ils sont les enfants de D’, car il est dit : « Vous êtes les enfants de Hachem votre D’. » Bien-aimé est le peuple d’Israël, car il lui a été accordé un objet précieux ; c’est un surcroît d’amour que de lui avoir fait savoir qu’il lui a été donné un outil précieux, car il est dit : « Car c’est un enseignement de valeur que Je vous ai donné ; Ma Tora, ne la délaissez pas » » (Pirqé avoth/Maximes de nos pères 3,14).

 

Lorsque l’on contemple avec attention le fil de notre histoire, on ne peut s’empêcher d’être frappé par la récurrence de certains événements, ainsi que par la dégénérescence des générations. Les exils se suivent et se ressemblent. Certes, le décor change, mais le « scenario » reste identique. De l’Egypte à Rome, en passant par Babylone, la Perse et la Grèce, la formule semble exactement la même : déficience spirituelle, antisémitisme, éloignement de la terre, dispersion, perte de l’indépendance.

C’est ainsi que depuis la galouth d’Egypte s’articule le processus de l’exil.

Ce principe, si présent dans notre histoire, pose une problématique fondamentale : quel est donc l’objectif de la galouth ?

Bien que cette situation résulte systématiquement d’une déficience spirituelle, il reste à savoir si l’exil intervient uniquement pour sanctionner un recul spirituel et nous forcer à combler les carences qui l’ont suscité. Au contraire, y a-t-il dans la galouth un projet positif, indépendamment de son caractère coercitif ?

En approfondissant la question, on est amené à considérer deux entités : l’individu d’une part, et l’ensemble de l’humanité de l’autre.

Concernant l’individu, nos Sages nous enseignent que chaque être est un monde en soi. Il porte en lui un projet, qu’il lui appartient de révéler au monde. La Guemara enseigne à ce sujet : « C’est pourquoi l’homme a été créé unique : afin de t’enseigner que détruire une vie équivaut à détruire un monde entier, et que soutenir une vie équivaut à soutenir un monde entier. C’est pourquoi chaque individu se voit dans l’obligation de dire : « Le monde a été créé pour moi » » (Sanhédrin 37a).

Chacun d’entre nous est donc l’élu de sa légende personnelle.

Le succès ou l’échec d’une vie s’évalue en fonction de sa réalisation, comme le professa rabbi Zoucha d’Anipoli (décédé en 1800) : « Dans le monde à venir, on ne me demandera pas : « Pourquoi n’es-tu pas devenu Moché rabbénou ? » On me demandera : « Pourquoi n’es-tu pas devenu Zoucha ? » »

 

Parvenir à cette réalisation suppose de partir à la découverte de soi-même. Or, ce n’est qu’en cheminant sur le sentier de la Tora que l’on peut mener à bien cette formidable aventure.

Rav Chalom Brezovsky (1911-2000), rabbi de Slonim et auteur du Netivoth Chalom, écrivit à ce propos : « Avant tout, chaque personne a le devoir de réfléchir et de rechercher la mission unique pour laquelle elle a été envoyée dans ce monde » (Netivoth Chalom, I, netivé da’ath, chap. 6,2, p. 30).

Cela suppose également de croire en soi-même. Ceci n’a rien à voir avec l’orgueil : il s’agit simplement d’intérioriser l’idée que nous avons été dotés de la capacité d’accomplir notre mission.

C’est d’ailleurs ce qu’enseigne rabbi Tsaddoq Hacohen dans Tsidqath HaTsadiq : « De la même manière que l’homme doit croire en D’, il doit croire en lui-même » (§ 154).

 

Enfin, ce n’est qu’en conservant les qualités qui constituent déjà sa nature qu’une personne se parfait. En réalité, la base du service de l’homme est constituée uniquement de ses traits innés. S’il les garde et les utilise correctement, sans jamais dévier de sa propre nature, il atteindra l’ultime perfection de son être. Il changera alors totalement en bien, de sorte que même ses mauvais côtés deviendront totalement bons.

Chaque personne a une qualité, naturellement parfaite chez elle. Elle ne comprend même pas celui à qui elle fait défaut. Par exemple, un individu naturellement patient méprisera quelqu’un de coléreux, s’emportant pour un rien. Ce dernier aura quant à lui une autre qualité, faisant défaut au premier. Chaque homme a reçu un trait positif particulier susceptible de le faire changer et de le rendre totalement bon. Ceci constitue tout son travail vers la perfection de son être (cf. ‘Alé Chour, vol I, p. 146).

 

Cela dit, nos Sages nous informent également de l’existence d’un projet global, qui ne se limite pas à l’individu et à son accomplissement personnel. Le Maharal de Prague explique notamment que le monde et l’humanité s’inscrivent dans un processus de perfectionnement supposé se conclure avec la venue du Machia’h. Cet aboutissement implique le retour à un niveau de conscience spirituelle originelle : il incombe à l’homme de s’engager dans le monde matériel comme s’il était réellement la source de sa subsistance, et de retrouver ensuite, de son plein gré, le même niveau de conscience spirituelle que celui du Gan ‘Eden avant sa faute. L’histoire juive constitue le processus qui ramènera le monde à cet état. Tout fut initié par nos ancêtres, Avraham, Yits’haq et Ya’aqov, et continua à travers leurs descendants, qui reçurent la Tora de plein gré et se consacrèrent à son accomplissement.

C’est à présent à nous qu’appartient l’honneur de conclure ce processus.

Or, sommes-nous aujourd’hui à la hauteur d’une telle mission ?

Surtout quand on sait comme les générations s’appauvrissent spirituellement, et qu’aujourd’hui, nous sommes très loin de sommités du judaïsme telles que le ‘Hafets ‘Hayim, le Gaon de Vilna, le Rambam. On ose à peine parler de Moché rabbénou !

Cet écart spirituel ne s’applique pas seulement par rapport à ces personnalités, mais aussi avec l’ensemble de leur génération.

Compte tenu de cette réalité inéluctable, nous nous  sentons en droit de nous interroger sur notre place dans l’Histoire – tout particulièrement, après avoir été désignés par nos Sages comme la génération censée amener le Machia’h et la gueoula finale !

Si le Rambam, le Gaon de Vilna ou le ‘Hafets ‘Hayim, avec leurs générations respectives, n’y sont pas parvenus, comment le ferons-nous ?

On trouve la réponse à cette question dans l’épisode de la Tora qui relate la lutte de Ya’aqov contre l’ange de ’Essaw. En effet, au terme de ce combat profondément spirituel, Ya’aqov demanda à l’ange de lui dévoiler son nom. Or, l’ange refusa et lui dit : « Pourquoi t’enquérir de mon nom ? »

Les commentaires expliquent que l’ange signifia à Ya’aqov que le nom de chacune de ces entités métaphysiques exprime sa mission divine. Or, pour l’ange d’’Essav, cette mission varie selon les générations.

Chacune est confrontée à un challenge spécifique. Bien que tous les exils aient une configuration identique, ils divergent dans leur essence spirituelle. Le rav Elhanan Wassermann, que D’ venge son sang, développe longuement cette notion dans ‘Iqveta deMechi’ha (le Talon du Machia’h) : toutes les générations ont un rôle unique et indispensable dans le processus du rétablissement d’un état de conscience spirituelle originelle. Il n’y a, de ce fait, aucune génération vaine ou en mesure de se substituer à une autre.

Ce principe s’applique évidement à notre génération qui, en dépit de son écart spirituel avec les précédentes, conserve une place essentielle dans le plan divin.

 

murailleNos Sages décrivent l’un des enjeux les plus importants de notre génération : la reconnaissance de la dimension réelle de l’homme en tant que serviteur de D’. Le rav Yits’haq Hutner désigne notamment l’exercice du libre arbitre comme l’un des challenges les plus fondamentaux de notre époque.

Alors que parmi les défis des périodes précédentes, on comptait l’idolâtrie, l’hellénisme ou l’athéisme, aujourd’hui, c’est la notion même d’Homme qui devient un défi.

Concevoir, accepter et vivre le fait que l’Homme soit le bien-aimé, chéri de Hachem, représente, aujourd’hui, notre principal projet. Notre challenge réside notamment, dans le fait d’admettre que D’ nous a créés à Son image, à Sa ressemblance. Il nous donne le pouvoir de révéler ici-bas ce qu’il y a de plus précieux en nous : la Gloire divine (Qidouch Hachem).

Le Talmud enseigne à ce sujet qu’à la fin des temps, la vérité disparaîtra. Or, rav Wolbe explique (‘Alé Chour) que la vérité est intrinsèque à l’âme humaine. L’âme juive constitue une parcelle du Divin. Or, Hachem est vérité.

Il nous appartient donc de dévoiler la vérité qui réside en nous, afin de clôturer dans la joie et l’allégresse cette merveilleuse épopée qu’est l’histoire de notre peuple.

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