Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
La méthode forte avec Gaza ne réussit pas toujours sauf ponctuellement pour faire cesser les attaques depuis Gaza et l’envoi de ballons inflammables sur le territoire israélien. Cette méthode reste stérile à long terme. Certes le gouvernement vient de réagir vite et a bombardé des infrastructures du Hamas, des usines d’armement et des camps d’entrainement, pour montrer sa détermination. Mais au-delà de ces péripéties dramatiques, les dirigeants israéliens, parmi les plus nationalistes, ont compris qu’il fallait envisager un dialogue avec les islamistes qui sont installés durablement dans la bande. Il faut permettre à la population de rêver et d’espérer car si elle n’a rien à perdre, elle suivra les yeux fermés ceux qui l’enferment dans le désespoir depuis 2007.
Le nouveau gouvernement semble vouloir modifier sa stratégie en faisant comprendre au Hamas qu’il a intérêt au calme sécuritaire pour obtenir des avancées politiques et économiques de la part d’Israël. Les dirigeants israéliens sont convaincus qu’en lâchant du lest, les Gazaouis, une fois habitués à un certain confort relatif, comprendront qu’ils auront beaucoup à perdre avec une reprise des combats. La paix s’instaurera donc progressivement.
La droite est sceptique sur la volonté pacifique des islamistes. Elle ne veut jamais faire confiance aux Arabes. Pourtant il s’agit du meilleur moyen d’empêcher une nouvelle guerre avec le Hamas qui cherche une fuite en avant dans le chaos. Alors, les Israéliens ont multiplié les mesures d’apaisement. Des milliers de Palestiniens ont été autorisés à traverser la frontière pour travailler sous couvert d’activités commerciales. Les hommes d’affaires ont toujours eu une liberté de circulation, même dans les moments les plus tendus.
Depuis la prise du pouvoir en 2007 par le Hamas, Israël avait supprimé tous les permis de séjour pour les travailleurs ce qui a dévasté l’économie de Gaza et entraîné un chômage de plus de 50%. Mais la technique du donnant-donnant a été appliquée. Dans le cadre de négociations sous l’égide de l’Égypte, Israël a obtenu l’arrêt des tirs de missiles sur le sud du pays. En échange, il a augmenté le nombre de permis de «commerçant», et a autorisé le Qatar à distribuer ses dollars pour payer les fonctionnaires.
Cette stratégie est partagée par Avigdor Lieberman qui a beaucoup évolué, à la droite du Likoud, en abandonnant ses positions extrêmes. Considéré pendant longtemps comme un nationaliste irréductible pur et dur, un faucon favorable au Grand Israël, le ministre des Finances est devenu pragmatique en refusant d’être le dirigeant capable de mettre le Moyen-Orient en feu. Il a surtout intégré l’idée que la séparation avec les Palestiniens serait la seule solution viable.
L’échelon politique a donc décidé d’étendre la zone de pêche dans la bande de Gaza de 9 à 12 milles marins. Les frontières ont été ouvertes pour les marchandises arabes qui pourront non seulement circuler librement vers la Cisjordanie mais aussi vers Israël. Le meilleur poisson de ligne de la région va se retrouver sur les étals israéliens à la grande satisfaction des consommateurs qui paieront moins cher un meilleur poisson. De même pour les cultures maraichères qui, bloquées pendant plusieurs mois, pourrissaient faute de preneurs. De nombreux ateliers de confection vont rouvrir avec des commandes israéliennes qui donneront de l’oxygène à une population sans ressources mais expérimentée. Le gouvernement a autorisé dans un premier temps l’embauche de 10.000 Palestiniens de Gaza, parmi les meilleurs ouvriers du bâtiment, sachant qu’ils subviennent aux besoins d’au moins 40.000 familles.
Les Gazaouis pourront aussi importer du matériel médical, du matériel de pêche, des matières premières pour l’industrie et le textile à travers le terminal Kerem Shalom. L’un des promoteurs de cette politique est Avigdor Lieberman qui avait pendant longtemps suggéré de promouvoir les échanges car si les Gazaouis n’ont rien à perdre, alors ils choisiront les extrémistes du Hamas et du Djihad qui sont seuls à leur donner à manger. Il veut miser sur le développement des échanges afin que la population refuse la guerre. Effectivement, durant le dernier conflit avec Gaza, par comparaison, les Cisjordaniens n’ont pas bougé parce qu’ils risquaient le blocage aux frontières des 150.000 ouvriers qui financent chaque jour la vie de 600.000 familles. Ils savaient par ailleurs qu’ils n’avaient rien à attendre de manifestions stériles.
Israël y gagnerait aussi car il manque de main d’œuvre pour ses chantiers de construction. 45.000 logements sont construits chaque année au lieu des 55.000 nécessaires par manque de travailleurs. L’entrée de nouveaux ouvriers de Gaza, qui ont montré leur expertise dans la construction de tunnels, débloquera de nouveaux chantiers dans un pays qui souffre d’un déficit important de logements.
Tout est affaire d’intérêts. Il faut que cela soit du gagnant, gagnant. Les ouvriers sont attendus par les agriculteurs et les usines à la frontière de Gaza. D’ailleurs, les relations entre patrons juifs et ouvriers arabes ont toujours été maintenues malgré les aléas de la guerre puisque les patrons n’ont jamais cessé d’aider financièrement leurs ouvriers, bloqués à Gaza, en attendant des jours meilleurs.
Ce n’est pas nouveau. Israël fait tout pour apaiser les tensions avec le Hamas et pour améliorer la situation économique catastrophique à Gaza. Alors il diffuse le froid et le chaud. Les services de sécurité ont encouragé la stratégie d’apaisement pour aider la population à s’éloigner des extrémistes islamistes. C’est pourquoi des Palestiniens de Gaza entrent en Israël de manière déguisée pour travailler.
Du temps où il était ministre de la Défense, Lieberman avait déjà proposé en vain son programme pragmatique en prônant l’ouverture des frontières aux ouvriers palestiniens et aux marchandises de Gaza pour donner un peu d’oxygène et d’espoir à une population soumise aux Islamistes. Les officiers de l’État-major ont tous appuyé ce projet et ont donné leur imprimatur en ce qui concerne l’aspect sécuritaire. Ils pensent que cela pousserait la population à s’éloigner des options de terreur prônées par les radicaux islamistes.
Israël a donc mis en place un programme consistant à délivrer des centaines de permis aux «propriétaires d’entreprises» leur permettant de fouler le sol israélien. Des responsables palestiniens ont confirmé la délivrance de plus de 5.000 permis de «commerçants», en fait pour des ouvriers employés dans la construction, l’agriculture et dans certaines industries. Bien sûr, ni l’Autorité et ni le Hamas n’ont accepté de confirmer l’information.
Très récemment, des dizaines d’hommes en tenue d’ouvrier, transportant leurs affaires personnelles dans des sacs plastiques, loin de la description qu’on se fait d’un homme d’affaires au complet veston, ont été vus au passage d’Erez. Ils avaient un permis de commerce mais donnaient l’impression d’entrer pour la première fois en Israël. Selon des sources sérieuses, certains «commerçants» ont payé 500$ à une officine de Gaza pour recontacter des entreprises de construction pour lesquelles ils avaient déjà travaillé avant 2007.
Les autorités sont conscientes du risque sécuritaire mais elles comptent sur la lassitude d’une population victime de ses dirigeants. Le chef du conseil régional du sud, a confirmé qu’il était très favorable à recevoir des Gazaouis : «J’ai longtemps dit que nous devions leur offrir un avenir meilleur, et tant que les exigences de sécurité seraient satisfaites, ils devraient être autorisées à entrer. C’est la bonne direction. Et si cela se fait tranquillement, c’est aussi une bonne idée».
Le président du comité de liaison de l’Autorité palestinienne a confirmé que les quotas de permis de commerçant sont passés de 1.000 en 2007 à 5.000 aujourd’hui. Il a précisé que «l’Autorité palestinienne n’était pas impliquée dans la délivrance des permis et qu’il s’agissait d’accords conclus entre Israël et le Hamas». Cependant ces chiffres restent loin des 26.000 permis délivrés avant 2000.
Un responsable de la Chambre de commerce de Gaza, a révélé que la majorité de ceux qui détenaient un permis de commerçant sont des travailleurs. D’ailleurs, Israël a étendu la durée des permis de trois à six mois et abaissé l’âge minimum d’admissibilité de 30 à 25 ans : «C’est bon pour Gaza, mais c’est un effet très limité. Nous avons besoin de 15.000 à 20.000 travailleurs pour pouvoir ressentir les effets de cet assouplissement».
Un propriétaire arabe d’un magasin de vêtements de luxe ruiné, a utilisé son permis de commerçant pour se faire embaucher à Ashkelon comme ouvrier du bâtiment à 2.000 shekels (600$) la semaine. Il passe la semaine en Israël dans un appartement surpeuplé et retourne à Gaza le week-end pour le passer avec sa famille. Les services sécuritaires tiennent à distinguer les ouvriers des terroristes. Ils estiment que le meilleur combat contre les extrémistes du Hamas et du Djihad islamique passe par une aide massive pour résorber le nombre de chômeurs qui sont une cible facile pour les organisations terroristes parce qu’ils les font rêver en les incorporant dans des groupes de terreur.
Quand on pense aux milliers de dollars gaspillés en roquettes par les gens du Hamas, partis en fumée au propre comme au figuré, il est facile d’imaginer comment ces sommes auraient pu être utilisées pour le bien des Gazaouis. Les Palestiniens ont les dirigeants qu’ils méritent mais il faut changer les mentalités. Beaucoup d’Israéliens ne font pas confiance aux Arabes de Gaza et ne croient pas à des relations sereines avec les islamistes intoxiqués depuis de nombreuses années. Mais ils ne veulent pas admettre que les Gazaouis sont en fait des victimes d’un système oppressif et qu’ils béniraient ceux qui les sortiront de leur carcan et de la misère. Si l’on ne tente rien, nous resterons dans les actions de destruction, dans le cycle dramatique attaques et représailles, dans un monde permanent où ne rodent que la mort et le malheur. Les mentalités doivent changer. Israël face à sa puissance militaire et économique veut être le premier se montrer généreux.
La conclusion au ministre de la Défense Benny Gantz : «Dans le même temps, nous nous occupons également de l’aide humanitaire à la population de Gaza. Nous continuerons de le faire, en coopération avec nos partenaires égyptiens, les Nations Unies et d’autres organismes internationaux. Mais nous exigeons la paix et nous permettrons développement de la bande de Gaza seulement après le retour des garçons chez eux. S’il y a un besoin d’action militaire et d’une campagne à l’avenir, nous n’hésiterons pas».
NDLR : Le présent article est intéressant, car il se fait l’écho d’une critique positive face aux démarches du pouvoir israélien actuellement. C’est vrai qu’il n’est pas important de savoir si cette conduite repose sur une faiblesse totale face à tout problème, amenant le gouvernement à lâcher complètement prise par rapport aux exigences de Ra’am en faveur des Bédouins du Néguev, ou d’un plan réel et sérieux. Nous avons quelques doutes…