Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps
Quand on parcourt le Golan, le sentiment de vide prédomine. Certes le paysage accidenté ne se prête pas à des constructions de logements mais au moins, contrairement à la Cisjordanie, aucun territoire n’est contesté par des Arabes, à l’exception de quelques villages druzes. Et pourtant le Golan est une zone stratégique avec les frontières syriennes et libanaises, aujourd’hui polluées par la présence du Hezbollah et des Iraniens qui rêvent toujours d’en découdre avec Israël. Les paysages sont effectivement magnifiques et cela serait criminel d’offrir la région aux bétonneurs.
Le statut du Golan semble devoir rester inchangé comme s’il était promis à être rendu dans le cadre d’un accord de paix avec la Syrie. En effet, pour Israël, les enjeux du Golan sont devenus économiques plutôt que stratégiques, confirmés par la discrétion de la concentration militaire, du moins très peu visible. La technologie semble avoir pris le pas sur la présence humaine. En raison des accords de cessez-le-feu, stipulant une limitation du matériel lourd (tanks, artillerie et aviation), la grande partie des moyens de défense israéliens est regroupée à l’intérieur de la «ligne verte», la frontière de 1948.
Seule la saison des pluies modifie l’aspect d’abandon des champs de rocaille. La verdure s’est développée à perte de vue et les nombreuses vaches dans les pâturages donnent au paysage un décor de Normandie. Mais le vide caractérise le plateau du Golan. Seuls 47.000 habitants dont 3.000 Musulmans, 19.000 Druzes et 25.000 Juifs installés depuis 1967 occupent la région. Les implantations ne se sont pas développées comme en Cisjordanie car l’histoire du Golan n’est pas riche en légendes juives et en histoire religieuse. Il était habité, à l’époque de Moïse, par les Emorrites puis il fut ensuite donné à la tribu de Mקnashé. Le roi David en refit la conquête et l’intégra au royaume d’Israël. Cette absence de repères bibliques n’encourage pas les sionistes religieux à y développer des points de peuplement.
L’économie du Golan représente à peine 0,5% du PIB israélien selon les estimations officielles, soit un milliard de dollars par an, mais de nombreux symboles président à un certain art de vivre. Hormis la période du Covid, de plus en plus d’Israéliens et d’étrangers sillonnent la région. Israël étant exigu, le Golan reste le rare endroit où le dépaysement est assuré aux Israéliens en quête d’émotions écologiques car tout y est sauvage. Mais signe d’un avenir incertain, aucun grand hôtel n’a été bâti mais quelques chalets de type savoyard accueillent les randonneurs en été et les skieurs en hiver sur les pentes enneigées du Mont Hermon. Le succès des chambres d’hôtes est tel que les réservations sont enregistrées une année à l’avance.
Malgré les usines de dessalement de l’eau de mer, la question de l’eau reste toujours cruciale. Les affluents du Jourdain qui alimentent le lac de Tibériade, y trouvent leur source et fournissent 35% de l’alimentation en eau d’Israël. C’est après un parcours passé au cœur de la roche que l’eau Eden jaillit naturellement. L’alternance des couches géologiques, véritable filtre naturel de matières minérales, garantit à l’eau sa pureté et une minéralisation équilibrée. Sa mise en bouteille représente un revenu annuel de 150 millions de dollars. Grâce aux accords de partenariat avec le français Danone, une partie de cette eau est même exportée vers différents pays européens.
Le kibboutz Yéron, créé au Golan après 1967 et proche de la frontière libanaise, s’est lancé le premier dans la production vinicole. De nombreux œnologues ont alors été formés dans les écoles françaises lorsque les études ont montré que la terre basaltique était propice à la culture de la vigne. Aujourd’hui sept millions de bouteilles sont produites tous les ans et elles sont pratiquement vendues alors que le raisin est encore sur pied, fournissant ainsi un revenu annuel de 50 millions de dollars dont la moitié à l’exportation. Les variations de températures, l’altitude de 1.000 mètres et l’arrosage naturel par la fonte des neiges ont permis l’introduction de cépages de qualité : Merlot, Cabernet-Sauvignon, Riesling et Chardonnay.
Le succès a entrainé la création d’une ville nouvelle, Katzrin, fondée autour des vignes qui fournissent un tiers de la production vinicole du pays. Un nouveau cru succombant à la mode Bio, le domaine Bashan, vient d’être primé internationalement et exporte la moitié de sa production. Les vins Yarden, Gamla et Golan prouvent que de gros progrès ont été faits dans les chais, permettant aux Israéliens, jusqu’alors adeptes de Coca-Cola, de s’initier à la consommation de vins.
La culture des pommes faisait l’objet d’un consensus politique original puisque les agriculteurs druzes étaient autorisés à exporter leur production en Syrie. Une fois par an, la frontière s’ouvrait vers la Syrie pour laisser passer les marchandises au point de passage de Quneitra. La diplomatie des pommes du Golan pouvait préfigurer un embryon d’accord économique avec la Syrie. 10.000 tonnes de pommes, le quart de la production évaluée à 7 millions de dollars, étaient envoyées en Syrie. Mais l’Iran et le Hezbollah, installés à la frontière, ont décidé autrement et tout est actuellement distribué sur les marchés israéliens. La cerise, produit de luxe en Israël, a aussi fait son apparition depuis quelques années mais sa production reste limitée à 600 tonnes.
Traditionnellement produite par les Arabes, l’huile n’était pas exportable en raison de sa qualité médiocre et des méthodes de pression artisanales. Les Juifs se sont engouffrés dans cette brèche mal exploitée après avoir poussé des immigrants d’origine française à suivre des cours de formation auprès des pressoirs de Provence. Ils ont importé le matériel de pressage adéquat et ont commencé à produire une huile de première qualité pouvant défier les européennes. Le succès les a même contraints à faire venir les olives de toutes les parties du pays, du Néguev et de Cisjordanie en particulier, afin de promouvoir une production suffisante.
Israël ne disposait pas de pâturages dignes d’un élevage intensif. Le Golan les lui a fournis grâce à la qualité des sols bien arrosés par la fonte des neiges et grâce à la température modérée qui règne au moment des grosses chaleurs. Des fermes dotées de haute technologie ont été installées, souvent par des Juifs d’Afrique du Nord considérant le retour à la terre comme une mission presque messianique. Des puces électroniques greffées sur la peau des bêtes assurent le pédigrée de l’élevage. Des processus guident, à tout instant de la journée quand elles le souhaitent, les vaches laitières vers des centres de traite automatique donnant à l’exploitant des statistiques précises sur la production de chaque bête et sur la qualité de son lait.
Ainsi, 40% de la viande consommée en Israël proviennent du Golan. L’État a ainsi réduit les importations de viande congelée en provenance d’Amérique du Sud. Aujourd’hui, les étals des supermarchés regorgent de viande fraiche de qualité. L’industrie laitière n’égale pas la qualité française bien que le savoir-faire importé ne manque pas, ni la technologie d’ailleurs. Mais la qualité du lait et l’alimentation des bêtes semblent être en cause dans la fabrication des fromages. Les pâturages normands et certaines races bovines manquent au Golan pour le hisser au sommet de la qualité. Le camembert n’a que le nom et pas le goût. De toute façon, depuis la cession du fleuron de l’alimentation Tenouva aux Chinois, la production est exportée entrainant parfois une raréfaction de certains produits laitiers dans le pays à l’instar du beurre, devenu une denrée rare.
Contrairement à la Cisjordanie, le Golan a été annexé en 1981 sans faire des Druzes des citoyens israéliens. Ils le refusent par dogmatisme. Ils n’ont aucune revendication territoriale ni aucun lieu saint mais ils défendent le pays où ils sont nés. Pour eux ils vivaient en Syrie et ils défendront l’autorité syrienne sur le Golan. D’ailleurs leurs enfants n’apprennent que l’arabe à l’école, l’hébreu étant une langue étrangère au même titre que l’anglais. Les différents gouvernements ont laissé se propager l’idée que le Golan, malgré l’importance de ces symboles et l’incidence économique indue, n’est cependant pas vital pour Israël. Haaretz s’interrogeait : «Un domaine vinicole et une usine d’eau minérale prospères sont-ils suffisants pour que nous annexions une terre occupée, qui n’a d’autre valeur que celle de ses raisins et de ses eaux transparentes? Après tout, à l’époque des missiles, on ne peut plus parler sérieusement du plateau du Golan comme d’un actif stratégique».
Le premier ministre Naftali Bennett semble vouloir réactiver la question du Golan expliquant lors d’une conférence, le 11 octobre 2021, que son développement était «dans l’intérêt national». Il envisage donc de créer deux nouvelles implantations, dotées d’éoliennes, aux côtés des quatre villages druzes, Majdal Shams, Buqata, Massada, Ein Qiniyye, à l’image de ce qui se fait en Cisjordanie, pour doubler la population juive. Pour lui : « Le développement du Golan est dans l’intérêt national. Il ne suffit pas de dire le peuple est avec le Golan, le gouvernement doit aussi soutenir le Golan». Une initiative à suivre de près.