La chronique de Michèle MAZEL
C’est un scénario qui se répète trop souvent en France. Cela commence par un crime – meurtre ou attentat. Immédiatement, et dans un réflexe quasi-pavlovien, autorités et médias entonnent en chœur que rien, absolument rien ne permet d’envisager une quelconque piste terroriste et d’ailleurs il n’est pas question de faire intervenir le parquet anti-terroriste. Et puis petit à petit cette belle assurance s’effrite. On commence à évoquer une radicalisation «d’origine récente» puis on passe à des détails plus concrets avant de déterminer avec le même aplomb qu’il s’agit bien d’un acte terroriste.
La tuerie de la préfecture, qui a vu un individu présenté tout d’abord comme une personne sans histoire, travaillant depuis de nombreuses années à la satisfaction de ses chefs, égorger à l’arme blanche des collègues rencontrés au hasard a suivi ce modèle tristement familier. C’est pourtant l’occasion de démonter les rouages d’une tragédie qui aurait peut-être pu être évitée. Ecoutons Jean-François Ricard, patron du parquet antiterroriste cité par Le Monde le 7 octobre «Mickaël Harpon semble avoir approuvé «certaines exactions commises au nom de cette religion», il a manifesté «son souhait de ne plus avoir certains contacts avec des femmes» ou a également justifié «auprès d’un collègue de travail les attentats commis dans les locaux du journal Charlie Hebdo en 2015».
Converti à l’islam depuis 2010, l’homme se rendait le vendredi à la mosquée en djellaba. «Tous les voyants, dira Le Figaro le 6 octobre, étaient au rouge». Mais alors pourquoi ne s’en est-on-pas aperçu ? Ce n’était pourtant pas un simple fonctionnaire dans un quelconque ministère ; c’est au cœur du saint des saints de la préfecture de police que cet informaticien, titulaire de l’habilitation «secret défense» travaillait depuis plus de dix ans.
Deux de ses collègues ont pourtant bien parlé à leur supérieur hiérarchique – qui les a écoutés et leur a demandé de faire un signalement circonstancié par écrit. Ce qu’ils ont refusé. Pour plusieurs raisons semble-t-il. S’agissant de gens travaillant dans la même maison, personne n’a envie de passer pour un dénonciateur, encore moins sans doute de causer de tort à un collègue, un voisin de bureau ; accessoirement personne n’a envie d’avoir des ennuis avec le dit collègue.
Mais il y a une autre explication, beaucoup plus préoccupante. Porter témoignage contre un fonctionnaire musulman, c’est prendre le risque de voir le témoignage ébruité et d’être montré du doigt comme islamophobes. Une accusation particulièrement dangereuse par les temps qui courent. Alors ils n’ont rien fait ; plus grave encore, ledit supérieur hiérarchique n’a rien noté du tout sur la fiche d’évaluation de l’individu. Pour ne pas nuire à la bonne réputation du service ? Pour ne pas chercher des histoires ? Pour ne pas être soupçonné d’islamophobie ? Alors la bombe à retardement a commencé son compte à rebours jusqu’au sanglant dénouement.
Pour que le mal triomphe, écrivait le philosophe Edmund Burke il y a près de trois siècles, il suffit que les braves gens ne fassent rien.