Le départ d’Hariri fragilise le Liban et menace Israël

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Par Jacques BENILLOUCHE – Temps et Contretemps

  Par dépit, par écœurement et par lassitude, l’ancien premier ministre libanais Saad Hariri, leader de la communauté sunnite, vient d’annoncer son retrait de la vie politique. Il ne supporte plus les magouilles politiques, les trahisons, les blocages politiques et le comportement aberrant de ceux qui jouent contre le Liban. Il était le seul à pouvoir fédérer autour de lui une population lasse de cette «libanisation» permanente et surtout du poids du Hezbollah, État dans l’État, qui a vassalisé  le président chrétien Aoun. Sans troupes et ni miliciens, Hariri a cependant réussi à imposer une certaine dynamique d’opposition aux islamistes et à maintenir la paix avec l’aide de l’armée restée fidèle.

    Leader du parti le Courant du futur, il a décidé de boycotter les élections législatives prévues en mai. Le fils de son père Rafic Hariri, assassiné en 2005, a été propulsé jeune sur la scène politique alors qu’il n’y était pas préparé. Il a depuis beaucoup appris. Mais la crise politique et financière a eu raison de sa patience face à un président entièrement aux mains de la milice chiite dirigée par Hassan Nasrallah.

  Le choc a été grand à Beyrouth à l’annonce de cette décision. Ses soutiens et ses militants ont envahi et bloqué les rues de la Capitale pour marquer leur surprise et leur amertume d’être abandonnés aux mains des milices alors que la guerre rode toujours. Le départ d’un pilier modéré du Liban risque d’effondrer un pays qui vacille déjà et va affaiblir une communauté sunnite qui ne pèsera plus lourd face à l’hégémonie du Hezbollah.

    Il a toujours adopté une attitude modérée dans l’intérêt de son pays et n’a jamais choisi les extrêmes ni participé à la guerre civile. Au contraire sa présence empêchait toute nouvelle. Il représentait le symbole de l’indépendance du Liban face à tous ceux qui voulaient le dépecer pour l’offrir en gages aux étrangers syriens ou iraniens. Les sunnites sont tristes face à ce qu’ils qualifient de trahison en période dramatique alors qu’ils sont seuls à présent. Le boycott des élections sonnera le glas d’une communauté qui sera réduite à sa plus simple expression et qui, comme les Chrétiens, subira le joug du Hezbollah.

   La confusion et la consternation instillent les esprits sunnites. Walid Joumblatt, leader druze, craint que ce départ n’ouvre la voie à une nouvelle guerre civile. Il a tout fait, en vain, pour convaincre Hariri de revenir sur sa décision. Pour lui «le retrait de Saad Hariri va donner libre cours à l’Iran et au Hezbollah au Liban. Avec son départ, le Pays du Cèdre perd un pilier de l’indépendance et de la modération». Hariri va à présent rejoindre ses domiciles de la place d’Iéna, à Paris, et d’Abou Dhabi, après avoir dénoncé «l’influence iranienne».

  Saad Hariri disposait d’une grande influence puisqu’il a occupé à trois reprises le poste de chef du gouvernement mais il s’est retrouvé seul après l’abandon des Saoudiens qui pouvaient seuls calmer les ardeurs de Chiites et qui finançaient le Liban exsangue. L’Arabie a compris depuis qu’elle n’avait plus les moyens de s’opposer à la puissance du Hezbollah. Hariri était d’autant plus amer que sa nationalité saoudienne aurait dû lui donner des arguments.

  Le départ de Saad Hariri est la conséquence d’un déséquilibre dans la politique libanaise qui menace l’unité du pays et de ses habitants. Plus rien ne s’oppose à la mainmise totale du Hezbollah et plus aucun dirigeant modéré ne pourra empêcher un conflit ouvert avec Israël.

  En 2018, il avait ouvertement annoncé que «Rien ne justifie une escalade de violence avec Israël. L’armée libanaise est en mesure d’assurer la sécurité à ses frontières et le gouvernement maintiendra sa souveraineté». Son départ était aussi justifié par la passivité des Occidentaux, et surtout de la France. Il s’était entretenu par téléphone avec le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, et avec un conseiller d’Emmanuel Macron pour demander «l’intervention des États-Unis, de la France et de la communauté internationale face aux développements de la situation à la frontière sud» où des échanges de tirs avaient eu lieu entre le mouvement chiite Hezbollah et Tsahal. Il n’eut qu’une fin de non-recevoir.

  Il n’était plus entendu et constatait son impuissance, voire sa solitude. L’avenir du Liban est de plus en plus sombre avec le risque d’une déflagration, à présent que l’élément modéré du gouvernement est parti vers d’autres cieux.

 

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