«On a senti que c’était d’une inhumanité sadique»: l’attaque du Hamas en Israël racontée par le consul général de France à Tel-Aviv
Dans un entretien au Point, Matthieu Clouvel-Gervaiseau retrace les heures qui ont suivi l’attaque du groupe terroriste, qui a fait 1400 morts en Israël
Le 7 octobre au matin, le consul général de France à Tel-Aviv, Matthieu Clouvel-Gervaiseau est informé par des Français résidant dans le sud d’Israël «d’envois massifs de missiles autour de Gaza». Ce jour-ci, ses contacts «sont inquiets : ce qui se passe semble beaucoup plus violent que d’habitude». Sur la route du consulat, le diplomate doit s’abriter sous un immeuble. «C’est plus global et plus fort», comprend-il immédiatement.
Dans une interview accordée au Point , le diplomate français passé par Calcutta, Bruxelles et Los Angeles raconte les terribles heures qui ont suivi l’attaque du Hamas en Israël, où vivent 180.000 Français. Samedi 7 octobre, les membres de la branche armée du groupe terroriste qui contrôle la bande de Gaza, les Brigades Ezzedine Al-Qassam, déferlent en territoire israélien pour y semer la mort. Selon les autorités israéliennes, plus de 1400 personnes ont été tuées, majoritairement des civils. Parmi elles, 40 sont de nationalité française. Et huit ressortissants sont toujours portés disparus ou retenus en otage dans la langue de terre palestinienne.
«Dès 7h45, nous envoyons un premier e-mail à tous les Français basés dans le Sud et le centre du pays, les prévenant de tirs nourris de roquettes et en leur rappelant, en français, que faire en cas de tirs de missiles», détaille à l’hebdomadaire Matthieu Clouvel-Gervaiseau. C’est au même moment que de premières vidéos lui parviennent, certaines montrant des terroristes du Hamas à bord de Jeep dans des villes israéliennes. «À 8h30, nous envoyons un SMS à tous les Français des régions d’Ashkelon et à proximité de la bande de Gaza, pour les alerter que le Hamas s’est infiltré, et leur enjoindre de rester chez eux», ajoute-t-il. Premier problème : le consulat n’a en sa possession que les contacts de 350 ressortissants sur place, pas ceux des touristes et des non-inscrits au consulat.
« Sur le plan personnel, il faut le digérer… Nous nous sommes tous, à un moment donné, isolés dans un bureau vingt minutes pour reprendre nos esprits. »
Matthieu Clouvel-Gervaiseau, consul général de France à Tel-Aviv (au Point)
La suite du récit est glaçante. «Nous basculons en mode urgence absolue, et en mode «mère louve» : il faut protéger les Français, cette communauté de 180.000 personnes et les dizaines de milliers de touristes de passage, et les mettre à l’abri», explique le diplomate. Au consulat, toutes les équipes se mettent en branle, des «stagiaires» aux «jeunes volontaires internationaux», 80 personnes se mobilisent, alors que l’équipe est habituellement composée d’une «trentaine» de membres. Une cellule contacte les hôpitaux «pour recenser les blessés», une autre «harcèle» l’armée et la police pour «qu’on retrouve nos Français» et une troisième «répond aux appels et fait le lien avec les familles».
600 appels en un week-end
Les images des massacres commis par le Hamas arrivent à mesure que la cellule de crise se met en place. «[Elles] sont d’une barbarie telle qu’on n’en a pas vue depuis les années 1940, explique-t-il. On a senti tout de suite que c’était d’une inhumanité sadique, d’une violence et d’une barbarie jamais vécues depuis très, très longtemps.» Le diplomate ajoute : «Sur le plan personnel, il faut le digérer… Nous nous sommes tous, à un moment donné, isolés dans un bureau vingt minutes pour reprendre nos esprits.»
Les appels des familles, eux, sont déchirants. «Dans l’après-midi, de nombreuses familles dont les enfants participaient [à la rave party dans le désert du Néguev où 250 personnes ont été tuées] commencent à nous appeler. Leurs récits sont glaçants… D’autres familles, des kibboutz, appellent pour qu’on les aide à retrouver un frère, un oncle, des enfants, dont ils sont sans nouvelles», se souvient le consul général. Entre samedi 7 et dimanche 8 octobre, ses équipes recevront 600 appels. Tout un week-end «en mode automatique» à «fonctionner au jus de fruits et au café».
Le soir du samedi 7 octobre, entre 40 et 50 Français étaient toujours recherchés par le consulat. «Mes équipes harcèlent la Croix-Rouge, les hôpitaux, elles font le tour des stations de police… Côté israélien, nos interlocuteurs sont débordés. Nous devons prendre 30 ou 40 décisions par heure», explique Matthieu Clouvel-Gervaiseau. Dehors, les rues de Tel-Aviv sont désertes. «La sidération a mis tout le monde à genoux.»