Michel Bacos, le capitaine qui pilotait l’avion d’Air France qui avait été détourné sur Entebbe, est décédé le 26 mars 2019 à l’âge de 94 ans. Il a été enterré à Nice sous la Hatikva à sa demande.
Commandant de bord d’Air France, membre des Forces françaises libres pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’était illustré lors du détournement du vol 139 d’Air France reliant Tel-Aviv à Paris, le 27 juin 1976. Pendant une escale à Athènes, un terroriste palestinien déroute l’avion vers Entebbe (Ouganda), où trois comparses le rejoignent. Jusqu’à la libération de l’avion par un commando israélien six jours plus tard, il refusa d’abandonner l’avion et les 246 passagers menacés d’être exécutés.
« Nous avons entendu de l’agitation dans le poste de pilotage depuis la cabine des passagers. J’ai demandé au technicien du vol, qui était avec moi, d’aller voir ce qui en était la cause. Nous ne savions pas ce qui se passait. »
Wilfried Böse, le terroriste allemand, nous attendait de l’autre côté de la porte du poste de pilotage verrouillé. Il a mis le technicien au sol et a pointé son arme sur ma tête. Il était aussi équipé d’une grenade. J’ai compris immédiatement que l’avion était en train d’être détourné et que nous n’avions aucune possibilité de nous défendre. Nous n’étions pas armés, et nous avons dû obtempérer.
Aujourd’hui, Michel Bacos, le commandant de l’avion d’Air France qui a été détourné à Entebbe, est âgé de 92 ans, mais l’histoire reste gravée dans sa mémoire, et c’est sans difficultés, comme si cela s’était passé il y a quelques mois à peine qu’il nous en parle.
Avant notre entretien dans son appartement, qui surplombe la magnifique baie des Anges à Nice dans le sud de la France, sa femme a demandé à ce que les questions lui soient transmises avant, histoire de lui laisser le temps de rassembler ses souvenirs. Bien que le vieil homme ait préparé par écrit ses réponses , il abandonne très vite ses papiers…
Bacos, pilote expérimenté, était en charge du vol 139 qui a quitté l’aéroport Ben Gourion pour Paris, le 27 Juin 1976, avec une escale prévue à Athènes.
Lorsque l’avion atterrit dans la capitale grecque, quatre terroristes montent à bord : deux Palestiniens du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) et deux Allemands de la Fraction Armée Rouge, tous transportant des armes et des explosifs dans leurs sacs.
«Le détournement a été effectué quatre minutes après que l’avion ait décollé d’Athènes en direction de Paris», se souvient Bacos.
Böse était assis derrière moi avec son arme pointée sur ma tête. Chaque fois que j’essayais de regarder dans une autre direction, il appuyait le canon de son fusil contre ma nuque.
» Quand nous avons atterri à Benghazi (Libye), je suis resté dans le cockpit. J’ai demandé au pirate qu’il autorise mon technicien à superviser le ravitaillement de l’appareil sur la piste. En effet, l’avion était moderne et les techniciens au sol libyens ne savait pas comment faire le plein. Böse a accepté. »
« Sur notre chemin vers Benghazi, Böse avait préparé un discours en l’honneur de (Mouammar) Kadhafi et l’a lu par notre système audio, donc diffusé à tous les passagers. Quelques minutes après son discours, nous avons reçu la confirmation d’atterrir à Benghazi. Böse m’a demandé en anglais d’effectuer l’atterrissage en douceur, car les portes de l’avion étaient piégées avec des explosifs afin d’ empêcher les passagers de fuir.
En sortant de l’espace aérien libyen, « les tours de contrôle (à Benghazi) nous ont salué sans que nous ne puissions répondre. C’est à ce moment qu’ils ont réalisé que nous avions été détourné, après qu’ils aient constaté sur le radar notre changement d’ itinéraire. Nous ne dirigions vers le sud.
Après avoir atterri à Entebbe, les pirates de l’air se parlaient entre eux et semblaient très excités. Les passagers et l’équipage eux gardaient le silence. C’est seulement après trois ou quatre heures que les gens ont commencé à se parler. Personne ne savait à ce moment là ce qui allait se passer ».
« Nous avons d’abord été tous regroupés au même endroit. Ils nous ont apporté des matelas et nous avons dormi à même le sol.
Les pirates de l’air avaient quant à eux délimité et isolé leurs quartiers.
Les Palestiniens ont dit aux Allemands ce qu’il fallait dire aux passagers. Ils contrôlaient la situation. Les Allemands étaient là pour les aider.
Jusqu’à ce jour, Bacos est considéré par beaucoup comme l’un des héros du détournement d’Entebbe en raison de son refus d’abandonner les passagers israéliens et juifs à leur sort.
«À un moment, les pirates ont pris nos passeports et cartes d’identité, ont lu les les noms de chacun, et ceux qui avaient des noms juifs ont été séparés des autres. Les passagers non-juifs ont été libérés.
Les Allemands m’ont annoncé que nous allions aussi être libérés . J’ai rassemblé mon équipage et leur ai dit qu’il qu’il n’était pas question que nous quittions l’appareil et que nous allions rester avec le reste des passagers pris en otage.
Les membres d’équipage ont accepté immédiatement. J’ai dis à Böse qu’aucun d’entre nous ne quitterait Entebbe tant que des passagers seraient encore dans l’avion. Ancien officier des Forces Françaises Libres, je ne pouvais imaginer un instant laisser ne serait-ce qu’un seul passager. »
Nous sommes donc restés avec les otages juifs. « Nous n’étions pas autorisés à quitter la salle», se souvient Bacos. « Personne ne pouvait en sortir , et il nous fallait absolument garder notre calme, faute de quoi ils étaient capables de nous abattre. Nous n’avons eu aucun contact avec le monde extérieur:… Pas de téléphone, pas de radio. Personne ne savait ce qui se passait. Idi Amin, le despote ougandais, après avoir invité les terroristes à poser l’avion sur l’aéroport international d’Entebbe, est arrivé sur les lieux.
J’entendais ce qu’il a disait aux passagers, mais je ne lui ai pas parlé personnellement… je n’avais rien à lui dire. Je savais qu’il était fou. Des passagers lui ont demandé de l’aide. Il se posait comme médiateur, mais insistait pour que ces derniers s’adressent à lui en citant tous ses titres, qu’il s’était auto-attribué.
A chaque fois qu’il venait nous voir, il disait des choses comme: «Je suis votre ami, mais si vos pays n’acceptent pas l’ultimatum des Palestiniens, je vais donner l’ordre de vous exécuter. »
Le raid de Tsahal sur l’aéroport d’Entebbe a commencé le samedi soir (3 Juillet) à 11 h.
Bacos a été fortement marqué par les otages israéliens et leur certitude que jamais leur pays ne les abandonnerai.
Les pirates de l’air avaient été préparés à la possibilité d’une opération de sauvetage à l’intérieur de l’avion . Un des terroristes nous avait dit : « Si un commando arrive, peu importe le pays d’où il vient, nous les repousserons et ensuite nous reviendrons pour vous tuer. »
Lorsque l’opération de sauvetage a commencé, Böse est entré dans la salle des passagers et a dit: « Ne bougez pas ! » Il a pris sa mitraillette, a brisé les fenêtres et a tiré. Il ne pouvait pas voir quoi que ce soit. Les soldats de Tsahal ont identifié la source des coups de feu et lui et la femme pirate allemande ont été abattus.
« L’un des Palestiniens s’est tourné vers les otages pour les tuer. Il a vu une passagère israélienne (Ida Borochovitch.) et lui a tiré dessus. Les soldats de Tsahal l’ont identifié et l’ont tué. Deux jeunes passagers (Jean Jacques Maimoni et Pasko Cohen) ont commencé à sauter de joie en criant: «Israël est venu pour nous sauver.» Des hommes du commando ont pensé qu’ils faisaient parti des terroristes et les ont abattus.
J’ai demandé à ce que mon premier vol soit en Israël
Bacos a connu de nombreux moments historiques dans sa vie. Il a grandi en Egypte, où son père travaillait au canal de Suez. Quand il avait 17 ans, Bacos s’est faufilé dans les rangs des Forces Françaises Libres.
Dans les années 1960, il était en charge des vols reliant Berlin-Ouest (isolée) avec le reste de l’Allemagne de l’Ouest. C’est comme ça qu’il a d’ailleurs rencontré sa femme, Rosemary, qui était hôtesse de l’air allemande à l’époque.
Rosemary est très réticente à s’exprimer sur ce qu’elle a traversé durant cette semaine stressante de l’été 1976. « Un des pilotes d’Air France qui était en contact avec moi m’avait conseillé de ne pas écouter les rapports dans les médias. Il avait raison. Les rapports ont donné beaucoup de fausses informations. Ces jours étaient horribles. Je n’ai réussi à dormir qu’avec l’aide de somnifères. Dans la nuit de l’opération, le pilote, qui savait que je dormais, a attendu 6 h du matin et m’a ensuite appelé pour me raconter la mission de sauvetage. Il m’a dit que le détournement avait pris fin. Ce fut évidemment un grand soulagement.
Combien de temps il lui a fallu pour se remettre de ce traumatisme, et recommencer à piloter?
Environ deux semaines de repos. J’ai demandé à ce que mon premier vol soit en Israël, pour voir si j’éprouvais encore de la peur.
Ce vol s’est déroulé sans accroc et j’étais très heureux de revenir en Israël.
Etes-vous resté en contact avec l’un des passagers ou des commandos?
Je suis toujours en contact avec certains des passagers qui vivent en Israël et notamment avec le soldat Surin Hershko, qui a été grièvement blessé à la colonne vertébrale et est resté paralysé. Voilà un homme courageux. La première fois que je suis retourné à Israël après Entebbe, je suis allé directement à l’hôpital pour lui rendre visite. Il ne pouvait pas bouger. Je pensais qu’il ne voudrait pas me voir, mais je me trompais. J’ai emmené ma femme et mes trois fils avec moi.
ingt ans plus tard, Hershko a demandé à Tsahal de l’emmener à Entebbe pour qu’il puisse pardonner au soldat ougandais qui lui a brisé la colonne vertébrale.
Bacos montre une photo de lui et Hershko, posée sur une petite table non loin d’un médaille du mérite qui lui a été attribuée par le Comité Juif américain quelques jours avant. Sur une étagère à proximité il y a des décoration décernées suite à ses états de service et sa bravoure, ainsi que des pièces de monnaie commémorant l’Opération Entebbe.
« Un autre bon ami à moi était le commandant de l’avion Hercules qui nous a amené en Israël, Amnon HaLivni. Il m’a vu avant le décollage, assis sur le sol à côté du corps couvert de Yoni Netanyahou. Il m’a dit: ‘Votre place n’est pas là, mais dans le cockpit. Il est beaucoup plus confortable. Nous sommes devenus de bons amis, et sa mort m’a vraiment touché. J’étais à ses funérailles. J’ai perdu un ami proche. »
«J’ai aussi rencontré Benjamin Netanyahou, une fois, lors d’un événement, nous avions été invités à Paris. J’ai dit quelques mots sur le sacrifice de Yoni Netanyahou, et plus tard, il est venu vers moi et m’a serré la main. »