Par Loris Boichot, Louis Hausalter et Tristan Quinault-Maupoil
ENQUÊTE – Les partisans du chef de l’État ne digèrent toujours pas sa dissolution surprise, qui les a plongés dans l’inconnu. Au point que certains tournent déjà la page du macronisme.
Leurs détracteurs prennent un malin plaisir à continuer de les surnommer « les Mormons ». Ils étaient la garde rapprochée du candidat Emmanuel Macron en 2017, les artisans de sa victoire surprise. Des soldats dévoués corps et âme à leur chef, qui ont intégré le cabinet élyséen ou des ministères au début du premier quinquennat. Ces dernières années, tous ou presque ont pris le large, essentiellement en rejoignant le secteur privé. Aujourd’hui, ces tenants de l’épopée originelle observent de loin le séisme provoqué par « leur » président avec sa décision de dissoudre l’Assemblée nationale. Et comme de nombreux Français, ils oscillent entre effarement et incompréhension.
« Je ne le reconnais plus, s’alarme l’un de ces fidèles de la première heure. Je peux comprendre la mécanique intellectuelle qui conduit à la dissolution, son sentiment d’être entravé. Mais le faire maintenant, à la veille des Jeux olympiques, ça fout un bordel monstrueux et ça offre une tribune aux extrêmes. » Un autre est encore plus sévère : « Pour moi, la psychologie offre la seule clé de lecture cohérente. Une légère défaite aux législatives de 2022 avait provoqué six mois de déprime. L’énorme claque des européennes produit une décompensation brutale. Et s’il perd de nouveau ces élections, D’ sait ce qui se passera. » Un troisième, sans vouloir s’étendre, ne cache pas avoir reçu nombre de messages paniqués de l’écosystème macroniste : « Les inquiétudes sont multiples, exprimées et largement partagées. »
Dans le paysage politique, le camp présidentiel est celui qui a ressenti le plus douloureusement le choc de la dissolution. Et une semaine après, il peine encore à reprendre son souffle. À réaliser que ce 9 juin, qui ne devait être qu’une pénible soirée électorale, restera sans doute comme la bascule vers la fin d’une ère. Alors on ressasse ce moment de stupeur, cette incrédulité partagée. « Je n’y crois pas, ce serait suicidaire », confie la secrétaire d’État à la Ville, Sabrina Agresti-Roubache, quand elle a vent de la rumeur peu après 20 heures. Au même moment, Emmanuel Macron cherche à joindre Gérard Larcher pour procéder à la « consultation » prévue par la Constitution. Le coup de fil dure trois minutes, le président du Sénat encaisse. « Donc c’est une consultation par téléphone ? », fait-il mine d’interroger, histoire de signifier au chef de l’État ses manières expéditives.
Haro sur «les savants fous» de l’ombre
La consternation s’est prolongée quand les macronistes ont découvert les photos du moment où le président explique sa décision aux ténors de la majorité, puis à l’ensemble du gouvernement convoqué à l’Élysée ce soir-là, mises en ligne par la photographe officielle, Soazig de la Moissonnière. On y voit les visages déconfits des ministres, à commencer par le premier d’entre eux, Gabriel Attal. Non seulement Emmanuel Macron fait tapis avec le sort de ses troupes, mais il veut en plus que l’on voie leur ahurissement. « Je ne comprends pas pourquoi ils font ça », lâche un familier de l’Élysée. « À court terme, c’est pour la gravité du moment. Et à long terme, c’est pour l’Histoire », justifie-t-on au pôle communication de l’Élysée, tenu à l’écart du circuit de validation des clichés publiés, un domaine sensible et réservé.
La dissolution est la décision d’un seul homme. Ce que je constate, c’est qu’elle a créé dans notre pays de l’inquiétude, de l’incompréhension, parfois de la colère – Bruno Le Maire.
Mais en macronie, on tempête surtout contre « les savants fous » qui, dans l’entourage présidentiel, auraient suggéré ou encouragé cette décision. Et les élus de terrain s’inquiètent plus que jamais d’un Élysée déconnecté. À un interlocuteur qui lui rapportait récemment l’élan pro-Rassemblement national sur son territoire après « l’alliance » avec Éric Ciotti, Emmanuel Macron s’est montré surpris qu’elle ne profite pas plutôt à son camp. « Question naïve mais vraiment de bonne foi », a-t-il concédé. Comme si le président ne saisissait pas l’ampleur du rejet. De quoi faire perdurer le sentiment d’une décision prise sans en avoir mesuré la portée. Ainsi, dans l’entourage présidentiel, aucune cellule n’a été chargée d’expertiser l’hypothèse pourtant plausible d’une cohabitation, avec ses implications juridiques et les marges de manœuvre que pourrait garder le chef de l’État. Il faut dire que le cabinet présidentiel n’a plus de conseiller institutionnel depuis le départ en février du titulaire du poste, Éric Thiers, qui n’a jamais été remplacé.
Puisque plus rien ne sera comme avant, certains n’hésitent pas à l’acter publiquement. Quitte à alimenter l’atmosphère de fin de règne. La dissolution « est la décision d’un seul homme », s’est démarqué Bruno Le Maire, dimanche sur Franceinfo. « Ce que je constate, c’est qu’elle a créé dans notre pays de l’inquiétude, de l’incompréhension, parfois de la colère », a ajouté le ministre de l’Économie, qui se projette déjà dans l’après-Bercy. Sur le flanc gauche, l’ancien ministre Clément Beaune, particulièrement menacé dans sa circonscription du centre de Paris, a lui aussi pris ses distances dimanche, en sous-entendant qu’il ne siégerait plus dans le groupe Renaissance s’il était réélu. « Libre », celui qui fut conseiller d’Emmanuel Macron préfère souligner ses « points communs avec les écologistes ou les socialistes ».
«Chez les conseillers, ça distribue des CV»
Déjà, les uns et les autres recomposent l’après, sans intégrer le président dans leurs plans. Ceux qui font campagne tentent aussi de mettre à distance cette figure repoussoir. En déplacement dans le Val-de-Marne, lundi, Gabriel Attal s’est fait interpeller par un passant : « Faudra dire au président qu’il ferme sa gueule ! » « On vote pour le premier ministre », a répondu le chef du gouvernement sortant, du tac au tac. On cherche en vain la photo d’Emmanuel Macron dans les tracts imprimés à la va-vite par les candidats de son camp. Même les Jeunes avec Macron, qui frisaient l’idolâtrie, préfèrent mettre Gabriel Attal en avant sur leur affiche. « Le président est affaibli, c’est Gabriel l’homme fort de la majorité », juge le député MoDem Richard Ramos. L’Élysée semble avoir compris. Plus question de trois interventions d’Emmanuel Macron par semaine, comme lui-même l’annonçait aux ministres le soir de la dissolution. « Il restera à la juste distance », dit prudemment son entourage.
Dans cette ambiance de sauve-qui-peut, nombre de macronistes ont commencé à prospecter pour trouver un nouveau job. Plutôt que des tracts, « chez les conseillers, ça distribue des CV », glisse l’une d’entre eux. « Je vais chercher un poste dans une grande boîte », assume un haut gradé d’un cabinet, qui s’est brusquement intéressé à la nouvelle réforme de l’assurance chômage pour évaluer son indemnisation. Jusque dans la garde rapprochée de Gabriel Attal, certains ont commencé à sonder des cabinets et des grands patrons. Même le très investi Ambroise Méjean, président des Jeunes avec Macron, hésite à continuer au-delà de la campagne. À l’image de nombreux permanents du QG de Renaissance.
Un certain écœurement a aussi gagné les troupes en voyant le patron du parti, Stéphane Séjourné, se parachuter dans les Hauts-de-Seine, l’une des dernières terres peu hostiles. Ou l’un de ses conseillers, Vincent Caure, atterrir lui dans la confortable circonscription des Français du Royaume-Uni et d’Europe du Nord. Une ministre se souvient de la consigne passée par Emmanuel Macron à son gouvernement, le soir de la dissolution, d’aller au combat. Ceux qui sont députés sortants ont obtempéré, mais aucun autre ne s’y est risqué, à part Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Agriculture, candidate dans le Pas-de-Calais. Pour le reste, « soit ils n’y vont pas, soit ils vont dans le 92 », peste une ministre repartie à la bataille.
400.000 procurations
Il faut dire que « la donne a complètement changé sur le terrain », constate un autre ministre élu avec 8000 voix d’avance en 2022. Le patron philippiste des députés Horizons, Laurent Marcangeli, ne cache pas être « très pessimiste ». Dans sa ville d’Ajaccio, la liste Bardella a raflé 45 % des voix. « C’est un référendum qui refuse de dire son nom, estime-t-il. Le président veut faire trancher un différend avec le Parlement par les Français », « Les deux alliances formées par les extrêmes écrasent tout et ne laissent plus de place pour le choix de la raison », s’inquiète pour sa part Christophe Jerretie, ancien député MoDem de Corrèze, terre pourtant réputée modérée.
C’est un référendum qui refuse de dire son nom. Le président veut faire trancher un différend avec le Parlement par les Français Laurent Marcangeli, patron philippiste des députés Horizons
En réponse, l’Élysée diffuse tous azimuts des éléments censés rassurer. Et notamment les indicateurs annonçant un engouement pour les législatives. Plus de 400.000 procurations ont été réalisées la semaine dernière, selon le ministère de l’Intérieur. « Il y a un sursaut. Les consulats ont enregistré énormément de mises à jour de données pour voter par voie électronique », ce qui est possible pour les expatriés, note le ministre de l’Industrie Roland Lescure, député des Français d’Amérique du Nord. « On aura une participation de présidentielle », esquisse l’une de ses collègues, sans être certaine que cela profite à son camp.
Pendant que ses troupes s’interrogent, ruminent, tentent de sauver leur mandat ou leur carrière, Emmanuel Macron déroule imperturbablement son agenda. Ce mardi, il se rend au Mont-Valérien puis à l’île de Sein (Finistère) pour l’anniversaire de l’Appel du 18 juin. Vendredi, l’Élysée ouvrira comme chaque année ses portes à l’occasion de la Fête de la musique. On ignore si Gilbert Montagné, l’un des artistes invités, interprétera On va s’aimer ou J’ai le blues de toi.
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MOHAMMED BADRA / AFP Emmanuel Macron, ici assistant à la cérémonie marquant le 83e anniversaire de l’appel à la résistance de Charles de Gaulle lors de la Seconde Guerre mondiale, au mémorial du Mont-Valérien à Suresnes (Hauts-de-Seine), le 18 juin 2023.