L' »armée du peuple », et l’avenir d’icelle
Essayons de comprendre quelque peu le fond du débat actuel, et ses incidences sur l’avenir.
Un point est clair : dans 20 ans, avec des familles comptant 6-7-8 enfants, le public orthodoxe parviendra à être la majorité des Juifs dans le pays. Du côté non-religieux, on a au mieux un enfant.
Ce point inquiète énormément les tenants de l’ancien régime, celui venu dans le pays, alors totalement engagé dans la Tora et dans la pratique, et y installant une conception occidentale de la vie politique, religieuse et individualiste.
Avec le temps, la quantité des gens appartenant à cette vieille école a diminué, d’autres Juifs sont arrivés, en particulier d’Afrique du Nord et des pays musulmans de l’Orient proche (Iran, Irak, Syrie), mais aussi d’Europe et d’Amérique, avec un bagage religieux clair et engagé.
Puis cela a été la période de la Techouva : un nombre important de Juifs sont revenus à la pratique, émanant des kibboutzim et des villes laïques, rejoignant le monde des Yechivoth et de la foi.
Tout cela a fortement ébranlé le pouvoir qui était celui de la Gauche et de ses membres, les gênant énormément, car ils se sentaient les fondateurs incontestés de l’Etat et de son système. Toutefois, ces gens ont su garder la main sur le pouvoir judiciaire, les media et l’armée, et par ce biais ils espéraient pouvoir continuer à gérer la vie publique dans le pays.
Vient la Droite grâce aux récentes élections, religieuse et traditionnaliste, et, comprenant comment la Gauche vise à conserver le pouvoir malgré la décision du peuple, et malgré les règles démocratiques qu’elle ne cesse de brandir, tente là de faire changer la situation, et c’est pourquoi une telle crise a éclaté autour de la réforme qu’elle veut mettre en place. On peut le comprendre : finalement, c’est par ce biais que la Gauche espérait faire perdurer son influence sur le système, et la perte de ces éléments correspond à la fin définitive de son pouvoir dans le pays. Pour entraver cela, elle se permet tout, tout y compris, comme les derniers des anarchistes, car c’est de toute leur idéologie qu’il est question.
On nous dit : mais sur le point précis de l’armée, vous vous contredisez, car vous n’y servez pas, et vous dites que vous allez arriver à diriger le pays dans quelques décennies. Comment ferez-vous dans ce domaine ? Notre peuple, sans armée…
Nous ne répondrons évidemment pas avec l’arrivée du Machia’h que nous souhaitons voir se réaliser, et bien avant encore, chaque jour… La question se pose dans le cas où cela ne se produit pas dans un proche avenir.
Il y a dans ce domaine un grand débat, qui a commencé voici une trentaine d’années, et il rejoint en fait celui qui se déroule actuellement. L’armée du peuple, ou une armée professionnelle, telle est la question.
L’armée du peuple, pourquoi ? Parce que la société laïque rencontre un très grand problème avec sa jeunesse : arrivés au bac, ou après les études en fac, ces jeunes n’ont qu’un seul but, c’est de quitter le pays et de s’éparpiller dans le monde, où la vie est effectivement plus facile (d’aucuns se rendent même aux Indes pour découvrir d’autres horizons, et souvent se plonger dans les sites les plus éloignés de nous, où règne le paganisme : ils cherchent de la spiritualité, ou au moins du spiritualisme, ce qu’ils n’ont évidemment pas trouvé durant leurs études laïques) ! C’est un phénomène très répandu, et très inquiétant pour tout le monde, y compris pour les parents pourtant totalement éloignés du Judaïsme. A ce stade, l’armée du peuple permet au moins d’apporter à ces jeunes un sentiment d’appartenance à leur peuple, et d’espérer qu’ils continueront à se sentir faire partie de la nation pour laquelle ils ont lutté trois ans durant, avec tous les dangers que cela peut représenter.
Ce phénomène est totalement absent dans le monde religieux : ses jeunes se sentent faire partie de leur peuple, ils n’ont strictement aucune raison de chercher leur avenir dans le monde ou de la spiritualité auprès de moines tibétains et n’ont pas besoin d’une armée qui vienne les éduquer !
Du reste, cette prétention de l’armée (car cela n’est vraiment pas son but en général) gêne le monde orthodoxe, car on peut bien imaginer quelles sont les bases de l’éducation qu’on peut livrer dans un tel cadre (et que ses dirigeants ne parviennent pas à changer).
Il faut bien pourtant que notre pays ait une armée ! Oui, mais qui nous dit d’engager des jeunots de 18 ans pour cela, et juste les former pour trois ans de service ! Proposons une armée professionnelle, dans laquelle les gens sont formés sérieusement et cet effort les aidera pour les décennies à venir ! L’armée sera de meilleure qualité, et le travail fourni sera plus intéressant.
On parle de cela au niveau de l’armée également, mais le principe de l’armée du peuple a le dessus, et là, on comprend pourquoi : il s’agit d’empêcher la fuite de la jeunesse non-religieuse du pays et de ses « valeurs ». On en arrive donc au grand débat qui s’est développé dans la région. Mais, si effectivement dans 20 ans la majorité des jeunes sera orthodoxe, une telle armée avec une telle conception sera totalement inutile et dépassée.
Il s’agit donc d’un débat vaste et profond, qui touche aux fondements mêmes de l’essence juive, et c’est pourquoi il est plus qu’intéressant.
Quant à exiger l’égalité dans les devoirs face à l’Etat pour tous, nous suggérons aux souteneurs de cette thèse d’agir également au sein de la jeunesse de Ramat Aviv, quartier duquel arrive Lapid, dont la moitié ne fait pas non plus l’armée…
Ya’akov Manela