Nous savons qu’un racisme frappe des immigrés en général, et certains de culture musulmane en particulier. En revanche, il me semble nécessaire de parler d’autres racismes que l’on rencontre très fréquemment dans les cités, et dont nous ne voulons pas entendre parler : l’antisémitisme, devenu un marqueur identitaire pour beaucoup de jeunes musulmans, et la francophobie.
On entend souvent dire que la parole raciste antimusulmane s’est libérée. C’est bien mal connaître l’histoire récente de la France. Sans remonter à la période coloniale, il suffit de se souvenir des blagues racistes anti-arabes débitées par des chansonniers dans les années 1960. Les mêmes blagues, qui à l’époque ne choquaient pas grand monde, seraient regardées aujourd’hui comme autant d’incitations à la haine raciale, et les chansonniers traînés devant les tribunaux. Même les attentats n’ont, heureusement, pas provoqué de soulèvement de haine. Les réactions les plus visibles ont été la multiplication de dépôts de bougies, et quelquefois de peluches, en même temps que de déclarations enjoignant de ne pas faire d’amalgame avec la population musulmane. Et combien de « Vous n’aurez pas ma haine ! », adressés aux djihadistes, n’avons-nous pas entendus…
« On refuse de voir l’idéologie intégriste, on retient la culpabilité occidentale. »
Par contre, la parole antisémite, elle, s’est libérée. En témoignent le succès des spectacles de Dieudonné ou les délires complotistes sur les réseaux sociaux, en particulier ceux d’Alain Soral dont les vidéos sur YouTube font des audiences spectaculaires (entre cent mille et trois cent mille vues). Leurs propos étaient inimaginables il y a quarante ans. Autres témoignages du retour décomplexé de l’antisémitisme : la violence qui a éclaté, en août 2014, pendant la bataille de Gaza, lors de plusieurs manifestations. Non pas l’agitation anti-israélienne, qui peut tout à fait se comprendre, mais la brutalité de slogans antisémites, et les voies de fait : des synagogues et des commerces juifs ont été vandalisés, et des Juifs isolés ont été molestés. La vague antisémite fut telle que Ban Ki-moon, s’en était inquiété : « Le secrétaire général des Nations unies a déploré la récente flambée d’attaques antisémites, notamment en Europe, en lien avec les manifestations concernant l’escalade de la violence à Gaza. »
Cette violence contraste avec l’absence de toute manifestation de quelque ampleur condamnant les crimes d’Al-Qaeda, de Bachar el-Assad ou de Boko Haram, dont les tueries font des milliers de victimes. Je mentionnerai également le fait que, depuis des années, les lieux juifs (synagogues, cercles culturels, écoles) sont visés par des attentats et doivent être gardés par la police, voire par l’armée ; et bien sûr, le brutal antisémitisme qui se déploie depuis plus de vingt ans dans les cités sensibles, comme l’a montré Les Territoires perdus de la République. Des professeurs y ont fait état de l’augmentation de manifestations agressives à l’égard des Juifs et des Français de souche. L’un des auteurs de l’ouvrage, Élisabeth Amblard, écrit : « On refuse de voir l’idéologie intégriste, on retient la culpabilité occidentale. […] Les identités meurtrières se disent de façon virulente : “Sale feuj, sale pute, sale française”. “Juif” se dit plutôt entre élèves arabes, suprême injure qu’ils s’adressent à eux-mêmes. Au-delà de l’injure, les coups : “Ma fille a une amie algérienne ; son frère l’a assommée car elle fréquente une Juive” (un professeur d’origine kabyle).1 » Le même auteur rapporte des paroles violentes d’un élève. Réponse d’un représentant du culte musulman : « C’est de l’ignorance ; on ne peut pas leur en vouloir. »Élisabeth Amblard ajoute : « C’est aussi le discours du MRAP…»
L’école, un monde perdu
Le rapport Obin confirme la réalité de cette situation : « On observe la banalisation, parfois dès le plus jeune âge, des insultes à caractère antisémite. Le mot “juif” lui-même et son équivalent “feuj” semblent être devenus chez nombre d’enfants et d’adolescents une insulte indifférenciée, pouvant être émise par quiconque à l’endroit de quiconque. […] Cette banalisation ne semble en moyenne que peu émouvoir les personnels et les responsables, qui mettent en avant, pour justifier leur indifférence, le caractère banalisé et non ciblé du propos, ou encore l’existence généralisée d’insultes à caractère raciste ou xénophobe entre élèves : […] une composante de la “culture jeune” en quelque sorte. D’autre part, les insultes, les menaces, les agressions, bien ciblées […] se multiplient à l’encontre d’élèves juifs ou présumés tels, à l’intérieur comme à l’extérieur des établissements ; elles sont généralement le fait de condisciples d’origine maghrébine. » Comme on l’imagine, « les événements du Proche-Orient ainsi qu’une sourate du Coran sont fréquemment invoqués par les élèves pour légitimer leurs propos et leurs agressions. Ces justifications peuvent aller jusqu’à assumer les persécutions ou l’extermination des Juifs. L’apologie du nazisme et d’Hitler n’est pas exceptionnelle […] même parfois dans des propos ouvertement tenus à des instituteurs, professeurs et personnels d’éducation. Ces agressions n’épargnent pas […] d’autres élèves, comme cette collégienne turque nouvellement arrivée en France et devenue le souffre-douleur de sa classe parce que son pays “est un allié d’Israël”. Il est […] devenu fréquent, pour les élèves, de demander sa religion à un nouvel élève ou à un nouveau professeur. Nous avons constaté que beaucoup de professeurs ne refusaient pas de répondre à cette question. »
Le rapport précise que, dans certains établissements, la scolarisation d’élèves juifs ne se faisait plus qu’au prix de la dissimulation de la judéité de ceux-ci, le principal seul en ayant été informé par les parents qui lui demandaient discrétion et vigilance. Cependant, le patronyme de ces élèves ne le permettait pas toujours. « Quoi qu’il en soit, dit encore le rapport Obin, si le racisme le plus développé dans la société reste le racisme anti-maghrébin, ce n’est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme antijuif. Il est en effet […] une stupéfiante et cruelle réalité : en France les enfants juifs – et ils sont les seuls dans ce cas – ne peuvent plus de nos jours être scolarisés dans n’importe quel établissement. »
Pas né de la dernière pluie
Idéologie tiers-mondiste oblige, cette nouvelle forme d’antisémitisme qui émane de la part de personnes qui sont indubitablement victimes de discrimination et de racisme nous avait paru une chose inimaginable. Pourtant, l’antisémitisme existe bel et bien dans le monde arabe, et depuis très longtemps, et non, comme on se plaît souvent à le croire, depuis la naissance d’Israël et la non-naissance de la Palestine. Certes, l’antisémitisme d’extrême droite est toujours vivant, mais aussi abject soit-il, il ne tue pas. Aujourd’hui ceux qui tuent des juifs parce que juifs sont des islamistes et ils le font au nom de l’islam.
Pour ce qui est des Blancs, Michèle Tribalat dénonce, depuis plusieurs années, la multiplication, dans les banlieues, d’agressions anti-blancs, et une francophobie de plus en plus ostensible depuis les attentats de janvier 2015. Ces attaques représenteraient la moitié des violences racistes en France, mais ce phénomène, dit la démographe, reste toujours sous-évalué. Comme dans plusieurs établissements scolaires des quartiers sensibles, les bons élèves sont fréquemment agressés comme autant de « pédés » et de « bouffons », ceux-ci, à l’instar des élèves juifs, ont fini par quitter leurs écoles, jusqu’à pratiquement disparaître des zones difficiles – phénomène qui n’a pas manqué d’approfondir la fracture géoculturelle…
Source www.causeur.fr