Parfois convertis en salle de sport ou en école de musique, ces édifices religieux trouvent un second souffle grâce à la volonté du Consistoire et des élus locaux. Deux sont inscrits au loto du patrimoine.
Alors que des dizaines de petites synagogues rurales meurent en silence, faute de fidèles ou d’intérêt, l’Alsace est en train de se mobiliser pour sauver et faire revivre ses «édifices israélites».
Grâce à la Fondation du patrimoine, les synagogues de Benfeld (Bas-Rhin) et de Thann (Haut-Rhin) sont entrées dans la boucle du futur loto du patrimoine.
Elles figureront sur la longue liste des 250 monuments élus, et les Alsaciens y voient une marque de victoire sur l’oubli. Dans la région, tout le monde se souvient du projet de démantèlement de la synagogue désaffectée de Balbronn, qu’un Alsacien avait décidé de remonter en Israël.
La présence des Juifs en Alsace est très ancienne. Arrivés dans la vallée du Rhin en même temps que les légions romaines, les Juifs alsaciens et lorrains représentent, à la fin du XVIIIe siècle, plus de la moitié de la population juive de France.
Commerçants ou artisans, mais longtemps interdits d’activité et de séjour dans les villes, ils essaimeront les campagnes. Après l’épisode tragique de la déportation, ils rejoignent, comme beaucoup de Français, les grandes villes. Tandis que Strasbourg va s’enorgueillir de la Grande Synagogue de la Paix, ils laissent derrière eux des dizaines de petits lieux de culte et une myriade de cimetières, traces de leur ancienne présence.
«Renouer avec l’histoire»
Toutes les communes alsaciennes, ou presque, possèdent une rue des Juifs, quand ce n’est pas le souvenir de plusieurs familles dont plus aucun membre ne subsiste.
«La communauté juive a représenté jusqu’à 500 âmes. Le peintre Alphonse Lévy et le banquier Albert Kahn sont d’ici. Dans mon enfance, nous fonctionnions en bonne intelligence, se rappelle Jean-Paul Weil, le maire de Marmoutier (Bas-Rhin, 2600 habitants) Puis la vie juive a disparu, et sa mémoire avec.»
L’ancienne synagogue du village était, jusqu’à il y a quelques semaines, une salle de sport. Un autre lieu de culte a été transformé en école de musique: on a gratté les inscriptions hébraïques sur son fronton.
«Nous allons renouer avec cette histoire, déplacer les machines de musculation et ouvrir un centre culturel juif, explique le maire. Ceux qui oublient leur passé sont condamnés à le revivre.»
Régulièrement, avec une petite troupe de bénévoles – tous catholiques – il se rend dans le cimetière juif pour désherber entre les tombes. Petit à petit, ils ont récupéré des stèles «empruntées» par des habitants du coin. La pierre est toujours utile dans une ferme.
L’endroit possède encore des tombes du XVIe siècle à la stèle arrondie et aux inscriptions en hébreu. «Il est important de s’en occuper, car les cimetières abandonnés, a fortiori israélites, sont sujets au vandalisme», poursuit Jean-Paul Weil. En 2015, 400 tombes juives avaient été profanées à Sarre-Union par des adolescents en quête de sensations.
«La plupart des gens ne sont jamais entrés dans une synagogue. Lorsqu’on leur en donne l’opportunité, ils découvrent l’organisation d’un culte qui n’est pas si éloigné du culte chrétien » [NDLR : sic].
À Koenigshoffen, près de Strasbourg, les stèles récupérées ont été posées, debout, le long du mur. Cette fois-ci, c’est Yoav Rossano, chargé du patrimoine au consistoire israélite du Bas-Rhin, qui s’est occupé du rapatriement. Son recrutement, il y a deux ans, en dit long sur la volonté de la communauté de s’intéresser enfin à son patrimoine.
Le Consistoire, qui aimerait voir la vie juive alsacienne renaître, lui a donné carte blanche. Yoav Rossano sillonne donc la région au volant de sa voiture, véritable gardien du temple, surveillant les éventuels dégâts ou la montée de l’herbe.
Dans les villages, on a pris l’habitude de le voir débarquer pour récupérer les clés des synagogues, conservées à la mairie ou chez un commerçant.
Journées portes ouvertes
À la fois dans la vie locale et en dehors d’elle, la communauté juive n’a pas toujours voulu ouvrir ses portes au reste du monde. Contrairement aux églises, les lieux de culte juifs ont vécu le plus discrètement possible.
À coups de concerts du soir aux chandelles, ou de journées portes ouvertes – dont une, le 2 septembre dite Journée du patrimoine juif -, Yoav Rossano tente d’inverser la vapeur.
Il s’appuie sur Pierre Goetz, protestant et délégué régional à la Fondation du patrimoine. Ce dernier a impulsé un fonds dédié au patrimoine juif du Bas-Rhin, en 2013. Il est convaincu que l’Alsace, terre concordataire, doit traiter toutes les religions sur le même plan.
Pour lui, l’intérêt du public, si tant est qu’on sache l’orienter, ne demande qu’à éclore. «La plupart des gens ne sont jamais entrés dans une synagogue. Lorsqu’on leur en donne l’opportunité, ils découvrent l’organisation d’un culte qui n’est pas si éloigné du culte chrétien», témoigne-t-il.
La synagogue de Benfeld (1846), bijou d’architecture, avec ses grands lustres, son élégant balcon pour les femmes, des décors peints, un orgue [id. : sic] XIXe et des rouleaux de la Tora anciens, propose déjà des visites guidées. Celles de Thann (1862), inscrite aux Monuments historiques depuis 2016, de style néobyzantin, ou de Sélestat (1890) font de même.
Mais certaines sont trop dégradées pour s’offrir aux regards. Les pigeons volent dans la synagogue de Westhoffen, dont les murs sont lézardés. Ni les petites communes ni la communauté juive (il n’y a que 500.000 Juifs en France, dont 15.000 en Alsace) n’ont les moyens de remettre sur pied tous leurs édifices.
«Les petits-enfants de ceux qui sont partis à Paris ou à Strasbourg n’ont pas envie de réinvestir le village de leurs grands-parents. Ils se disent alsaciens, mais font enterrer leurs aïeuls ailleurs», regrette Jean-Paul Weil.
Les Juifs arrivés du Maghreb dans les années 1960 et 1970 n’ont par ailleurs pas de liens avec ce territoire et préfèrent souvent se concentrer sur les lieux franciliens. Le salut viendra donc de tous, comme pour les églises rurales.