Par Francis MORITZ – Temps et ContreTemps
Illustration : Le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping
La Chine et la Russie unissent leurs forces pour répandre la désinformation. Le défi n’est pas tant la propagation de la désinformation que de déterminer ce qui constitue une désinformation en premier lieu. Toute réponse pertinente à ce défi devra tenir compte non seulement des mensonges, mais aussi de la manipulation de la vérité. Lorsque Xi Jinping rencontre le président Vladimir Poutine à Pékin le mois dernier, les deux dirigeants signalent au monde que leur relation est entrée dans une nouvelle ère. Dans leur déclaration, les deux présidents évoquent la redéfinition de l’ordre international, par une proposition-clé pour «l’internationalisation de la gouvernance d’Internet», qui devrait être soumise au contrôle d’États souverains. Le conflit en Ukraine n’a fait que rapprocher la Chine et la Russie dans leurs campagnes de désinformation respectives contre l’Occident.
Ils partagent, en partie, une théorie selon laquelle les États-Unis et l’U.E. utilisent l’information et la technologie pour exercer une influence sur leurs adversaires. Poutine et la Chine répriment la liberté d’expression, les médias indépendants et les libertés sur Internet, en grande partie pour contrer le risque posé par des sources alternatives d’information disponibles à leurs concitoyens et pour étendre ces méthodes à l’échelle mondiale.
Même si leurs intérêts divergent, ils collaborent sur le contenu et la forme du narratif fourni à leur opinion publique qu’ils alimentent par une désinformation similaire, sans hésiter à interdire les médias ou internet d’origine étrangère. Depuis l’invasion, la Russie a provoqué le départ de pratiquement toute la presse d’opposition et celle des médias étrangers.
Pékin pratique un jeu d’équilibriste en évitant de soutenir pleinement l’invasion tout en relayant la propagande russe dans le même temps. La Chine a ainsi diffusé les déclarations du Kremlin sur la présence d’armes biologiques américaines en Ukraine. Ce qui rappelle les preuves présentées au Conseil de sécurité par les États Unis pour envahir l’Irak, autres temps, mêmes mœurs.
Xi Jinping est dans l’idée que premier homme fort depuis Mao Zedong, lui seul, peut conduire le peuple chinois à son grand retour sur le devant de la scène. Ce narratif appelé par Xi, le «grand rajeunissement», est l’idée que ce retour est menacé par une conspiration occidentale, la Chine a lancé une offensive, par le biais des médias d’État et d’autres, contre «l’hypocrisie» des valeurs occidentales et leurs «contrevérités sinophobes» Dans son ambition, la Chine a trouvé l’allié russe qui possède sa propre formidable industrie de la désinformation. Les deux parties se sont beaucoup rapprochées et cherchent à établir le concept nouveau de «cyber-souveraineté».
Poutine a été l’un des premiers à adhérer à la vision chinoise de la cyber-souveraineté. Au cours de la dernière décennie, un certain nombre de réunions de haut niveau ont eu lieu entre les hauts responsables chinois de l’Internet et leurs homologues russes. En 2019, la Russie a accueilli des responsables chinois comprenant Fang Binxing, l’informaticien ayant joué un rôle déterminant dans la création de l’infrastructure de censure d’Internet en Chine. Poutine a signé une loi sur «l’internet souverain» qui est entrée en vigueur en novembre 2019 pour renforcer le contrôle sur le secteur Internet et permet au gouvernement de couper l’Internet russe du reste du Web. Les mesures prises contre Twitter, Facebook, Instagram et d’autres, réduisent d’autant l’accès aux sources alternatives.
En juin 2019, Xi et Poutine avaient annoncé que leur coopération sur l’information et la gouvernance de l’internet représentait un élément clé, afin de «maintenir la paix et la sécurité dans le cyberespace sur la base d’une participation égale de tous les pays». On ne saurait être plus clair. À la suite Huawei a tenté de promouvoir un nouveau système de protocole Internet (IP) à l’UIT, l’agence des Nations Unies. Sa proposition était de modifier le système actuel décentralisé en faveur d’un système de réseaux faiblement interconnectés qui permettrait aux gouvernements de fermer et/ou de filtrer tout le trafic. La proposition a été rejetée à l’époque. Mais la Chine reste déterminée et devrait, avec le soutien russe, présenter une nouvelle proposition de système centralisé.
La Chine cherche à projeter sa «propagande extérieure» appelée aussi «guerre sans fumée». Elle a multiplié la désinformation sur la Covid, sur l’efficacité des vaccins occidentaux, sur le génocide en cours au Xinjiang. L’invasion de l’Ukraine a encore intensifié leurs campagnes de désinformation. Pour les usines chinoises de désinformation, la propagande russe est une mine d’or. Alors que Poutine ordonnait à son armée d’entrer dans le Donbass, une directive chinoise ordonnait aux médias de ne pas rapporter d’informations «désavantageuses pour la Russie ou favorables à l’Occident». Les accords de partage conclus entre ces sources médiatiques et leurs homologues russes signifient que ces communiqués sont rédigés par la Russie qui depuis 2013 poursuit un partage des informations et de leur diffusion y compris encore récemment.
Les Occidentaux n’ont pas voulu voir ces derniers mois la prolifération des récits russes dans le cyberespace chinois, prémisses de l’invasion de l’Ukraine. Compte tenu des restrictions imposées par les médias chinois et les autorités Internet sur la crise en Ukraine, et compte tenu du régime de désinformation russe, il n’est pas surprenant que de nombreux Chinois ressentent de l’indignation face à ce qu’ils considèrent comme l’agressivité injustifiée de l’OTAN contre le partenaire le plus fidèle de leur pays. Quand le journal Global Times, a rapporté des remarques du ministère russe des Affaires étrangères sur la façon dont des «accidents» pourraient se produire avec l’OTAN compte tenu de la fourniture d’équipements tels que des missiles antichars à l’Ukraine, la majorité des commentaires dans les médias sociaux chinois soutenaient la Russie et même adoraient Poutine. Glorieuse Russie ! Glorieux Poutine !
Malgré la prévalence de ces opinions extrêmes dans le cyberespace chinois, certains observent des signes indiquant que la Chine espère calmer la situation en s’abstenant de condamner la Russie, ce serait une indication de son désir de rester en quelque sorte une tierce partie neutre et d’éviter de s’aliéner les nations qui soutiennent l’Ukraine. On entend des choses contradictoires sur les intentions chinoises. Mais la plupart des sources crédibles disent que Pékin a pris la décision d’aider la Russie, tandis que d’autres affirment le contraire. Si la Chine aide la Russie, les experts craignent que nous ne soyons entrés dans un nouveau monde. Les Chinois pourraient fournir des pièces de rechange pour des systèmes d’armes compatibles et de petits drones, puisque de nombreux systèmes d’armes chinois proviennent directement de conceptions russes, y compris des avions, des hélicoptères et des transports de troupes blindés. L’accès russe à des centaines de drones de ce type fournirait un plus grand niveau de surveillance et de transparence du champ de bataille de l’Ukraine. On parle aussi de la position pro-russe de l’Inde. Ces deux pays représentent près de la moitié de la planète.
Ami lecteur, ne prenons pas les mots pour des idées, méfions-nous des jeux de rôle des intervenants, exégètes, experts, analystes de tous poils, ceux qui prennent des postures, ceux qui discourent, tous soudain révélés et surtout tous ceux qui n’ont rien à dire mais qui tiennent absolument à le faire savoir.